Dépénalisation de la vie des affaires : un rapport officiel freine les ardeurs de l'Elysée

17/02/2008Par
Auteur: 
Erich Inciyan

Nicolas Sarkozy avait placé la barre très haut, devant les patrons du Medef : « La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur. Je veux y mettre un terme. » Dans la foulée, la ministre de la justice avait créé un groupe de travail sur « la dépénalisation de la vie des affaires». La date officielle de remise de son rapport à Rachida Dati a été fixée au 20 février. En avant-première, MediaPart vous en livre les principaux extraits.  

 

Deux mauvaises fées, la société EADS et la Société générale, ont veillé sur le groupe de travail voulu par Rachida Dati. A sa création, en octobre 2007, une malencontreuse enquête judiciaire visant des dirigeants du groupe d’aéronautique et de défense a rappelé l’existence des délits boursiers. Puis, comble de malchance, la commission d’experts a bouclé son rapport au moment où éclatait le scandale de la Société Générale. Cette fois, la coïncidence se doublait d’un joli cas d’école. Le directeur des affaires juridiques de la banque, Gérard Gardella, et l’un de ses avocats, Me Jean Veil, ont pu partager leurs expériences avec les autres membres du groupe de travail présidé par un haut magistrat, Jean-Marie Coulon.

 
De quoi relativiser les propos tenus par Nicolas Sarkozy, le 30 août 2007, devant le Medef. Rachida Dati avait renchéri :  « Le constat a été fait de longue date d’un risque pénal excessif. Ce risque entrave l’action économique ». Le cadre fixé par le pouvoir exécutif était donc bien défini. Même si les statistiques du ministère de la justice indiquent que les condamnations en matière économique et financière représentent moins de 1% du total des condamnations (environ 5.000 sur 592.000). Et même si les sanctions prononcées en France sont très faibles quand on les compare aux Etats-Unis où des peines de vingt ans de prison sont infligées pour des fraudes comptables (dossiers Enron, WorldCom)…

 
Prenant ses distances avec la « dépénalisation de la vie des affaires » attendue, le rapport du groupe de travail considère que « le noyau dur du droit pénal des affaires n’a pas à être modifié». Pas question, donc, de remettre en cause les principaux délits que sont l’abus de biens sociaux, l’escroquerie et le faux : « Toutes les infractions sanctionnant des comportements frauduleux doivent évidemment être maintenues ».

 
Tout espoir n’est pourtant pas perdu pour ceux qui voudraient bouter les juges hors du monde  des affaires. Sur la base du rapport, la ministre de la justice devra opérer des choix délicats.

 
Le plus emblématique concerne les abus de biens sociaux. C’est aujourd’hui la première infraction économique et financière - 4.633 condamnations pour ABS, de 1994 à 2000, au lieu de 8 pour délit d’initié, selon les statistiques du ministère. Pour les juges, elle offre aussi l’intérêt de pouvoir être utilisée comme un aiguillon, un délit « attrape-tout » qui permet de lancer une affaire puis de « ratisser » large afin de découvrir d’autres infractions. Elle a enfin donné lieu aux affaires les plus retentissantes (Noir-Botton, Elf, etc). 

 
On comprend que le patronat essaie de limiter les poursuites diligentées au nom de ces terribles ABS. Le moyen le plus évident serait de tailler dans le régime particulier de leur prescription (le délai au-delà duquel une action en justice ne peut plus être intentée). Pour les abus de biens sociaux, la prescription actuelle est de dix ans et démarre au moment où les faits sont dénoncés – et non pas au moment où l’infraction est commise, comme pour la plupart des délits. La jurisprudence a considéré en effet qu’il s’agit d’une infraction dissimulée, notamment par des manœuvres comptables, qui ne peut apparaître que tardivement - par exemple lors d’un changement de direction à la tête d’une société.

 
Or, pour le groupe de travail, « la découverte, dix ans après les faits, d’une infraction économique et financière, pose de nombreux problèmes, comme le soulignent les enquêteurs, notamment en termes d’établissement de la preuve (disparition de pièces comptables dont le délai légal de conservation est souvent de dix ans) ». C’est pourquoi le rapport préconise de ne pas limiter le débat sur la prescription au cas de l’ABS : il est proposé de revoir le régime de prescription pour l’ensemble des infractions pénales. 

Dans tous les cas, la prescription partirait du jour où l’infraction a été commise. Sa durée dépendrait de la peine encourue. Pour les infractions passibles de moins de 3 ans de prison, la prescription serait de 5 ans. Pour celles qui sont passibles de 3 ans ou plus (comme l’ABS),  on passerait à 7 ans.

 
On perçoit que la tentation sera forte pour le pouvoir exécutif : se saisir de la proposition du groupe de travail sur « la dépénalisation de la vie des affaires »  pour limiter la réforme aux seuls abus de biens sociaux. Alors que son cabinet avait reçu le rapport, la ministre de la justice a semblé aller dans ce sens, le 10 février au Grand Rendez-vous d’Europe1, TV5Monde, Le Parisien : « Le délai de prescription, par exemple s’agissant de l’ABS, pourrait courir à compter de la commission des faits, sur un délai de 7 ans »…  

 
Parmi les trente propositions qu’elle avance, la commission prône notamment la mise en place d’une « action de groupe » à la française. Par le truchement  d’associations agréées, cette démarche permettrait l’indemnisation de collectifs de victimes concernées par des infractions de masse au droit de la consommation.

 
Au sujet des délits boursiers, le groupe de travail préconise de mettre fin au « cumul des sanctions pénales et administratives » en renforçant le rôle du parquet dans l’orientation des dossiers. Le schéma serait ainsi balisé : l’Autorité des marchés financiers devrait signaler au plus vite une opération douteuse. L’enquête de l’AMF et l’enquête judiciaire seraient alors menées en parallèle et en concertation. Puis le parquet orienterait la procédure vers l’un ou l’autre mode de traitement. Pour « les cas d’abus de marché les plus graves », la voie pénale serait privilégiée.

 
Cette fois, la question de la dépendance hiérarchique du parquet vis à vis du gouvernement est clairement posée par la réforme proposée. Elisabeth Guigou est la dernière des ministres de la justice à s’être engagée à ne pas intervenir auprès de « ses » parquets pour peser dans des dossiers particuliers.

 
Reste un gros point d’interrogation. Rachida Dati suivra-t-elle l’avis du président de la République ou celui des spécialistes réunis par la Chancellerie ? L’intitulé choisi par le pouvoir exécutif - « la dépénalisation de la vie des affaires » -  avait fait tousser plus d’un magistrat. « Il y a la commande et le résultat », commente Bruno Thouzellier, président de l’Union syndicale des magistrats (USM) et membre du groupe de travail.  De son côté, le Syndicat de la magistrature (SM)  a choisi de ne pas participer à une « commission taillée sur mesure », préférant recommander  une réforme d’ensemble visant à instaurer « une éthique de la responsabilité économique ».   

7 ans ou 10 ans,
prescription à partir du moment où on découvre le pot aux roses, ou prescription à partir du moment où l'affaire a vraiment commencé...

...moi, ce que je ne comprends pas dans ma petite tête de citoyen honnête qui croit qu'il faut tout faire clairement et dans les règles, pour avoir une économie saine et des résultats francs et non pipés,
ce que je ne comprends pas,
c'est pourquoi on a besoin d'une dépénalisation, tout simplement?

C'est quand même poser comme préalable au "fonctionnement normal des affaires", le fait qu'il y ait des manquements, des détournements etc, non?

Entre le soucis de dépénalisation des affaires économiques et celui de criminaliser l’immigration et la récidive chez les délinquants sexuels, que ce soit sous couvert de religion, de croyance en une génétique mal placée, ou dans son rêve de super mâle alias super commercial des intérêts privés, il y à comme quelque chose qui sonne le glas d’un humanisme large et désintéressé.
Ou lorsque l’on protège les délinquants économiques sous prétexte qu’ils feraient partie d’une élite d’action économique et que l’on surveille et punit une population ultra majoritaire sous l’appellation de l’ordre (installation de caméras généralisée, de radars plutôt de qu’instaurer des limiteur de vitesses sur les véhicules, P.V excessifs, rafles d’étrangers, sociétés de sécurités croissantes…) Il apparaît que la protection devient existante pour les forts, laissant aux faibles la sensation constante d’être présumé coupable en vivant dans une insécurité croissante ( propice à la consommation et au doute de soi…)
Certains traumatismes individuels continuent de se propager sur les masses et le capitalisme n’enraye pas cette tendance, il modifie seulement sa forme par l’intermédiaire de pressions et cadres économiques et juridiques.
Il vient immédiatement l’idée que le pouvoir du champ économique, lié à celui du champ politique et législatif, tiens aujourd’hui plus que jamais à maîtriser avec les moyens les plus grands ceux qui pourraient empêcher les richesses d’êtres plus équitablement partagées, tout comme à empêcher que la domination des plus puissants ne s’amenuise.
Domination qui reste pour moi purement pathologique.

Même un certain dictateur libyen est dépénalisable sur le sol français.... Les rêgles ne seraient donc pas les mêmes pour tout le monde ? Et le système financier ?? Socialisation des dettes et privatisation des bénéfices. Voila un sport national qui consiste à redistribuer les dettes par tête de contribuable tout en laissant les patrons se partager les bénéfices records de leurs entreprises. Rien de neuf, sinon la constance avec laquelle le gouvernement rétrécie le champs de séparation entre l'exécutif et le judiciaire. La collusion entre gouvernants et patrons est d'autant plus acceptable par notre droit.
Pourquoi aux USA, patrie du libéralisme, les sanctions contre les patrons d'ENRON ont été exemplaires alors qu'en France nous souhaitons dépénaliser le droit des affaires ? Certains diront qu' aux USA, grâce à une certaine morale religieuse, les voyoux en cols blancs finissent par payer. En France, doutons que la foi du président ne suffise pas.
Il nous manque l'éthique.

Journalistes de Mediapart, puisqu'il s'agit d'un site d'informations "libres" réalisé par des journalistes, je pense que vous consultez chaque jour le site Agoravox.

Vous n'avez donc pu échapper à cet excellent article d'un de vos confréres ( Daniel RIOT) sur une affaire à scandale qui est une bombe sous les pieds du Président NS.

A lire et certainement tomber des nues, comme moi, citoyen benêt qui croit encore à cet ersatz de démocratie qui s'apparente chaque jour un peu plus à l'opium de peuple qu'autre chose.

Voila l'adresse du scandale des scandales :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=36085

Abonné ( un des premiers à répondre à la campagne emailing d'abonnement) je remercie nos amis journalistes de médiapart de s'inquiéter à fond de tout ça, car sinon je crois bien que je vais me désabonner avant même le lancement officiel de votre site.

L'info de votre collègue aurait du passer chez Médiapart, à vous de nous porter analyse, enquête, de faire parler les intéressés dans cette affaire.

Au boulot, vous avez décidé de travailler pour la liberté d'expression, non !! de n'être inféodé à aucune puissance politique ou économique, alors !

Bonjour, cher Christian,
Et merci d'avoir lancé cette alerte qui "interpelle" notre équipe et l'ensemble de la presse.

Oui, l'affaire que vous soulevez attend toujours son enquête fouillée. A lire l'article d'Agoravox que vous citez, on comprend vite que le dossier est d'une réelle complexité. Son auteur n'indique-t-il pas que "seule une enquête officielle" permettrait d'y voir clair? Le long témoignage de l'un des protagonistes, publié en appui, porte des accusations sérieuses et graves, qui conviennent aussi d'être examinées de près.

Bref, tout ceci exige un long et minutieux travail, "à charge et à décharge", car plusieurs parties prenantes s'opposent comme d'habitude dans un tel dossier. Saurons-nous mener à bien un tel travail, dans cette affaire Suez/GDF comme dans d'autres, à la hauteur des ambitions que nous pensons partager avec les adhérents de Mediapart ?

Nous le croyons, comme journalistes et comme citoyens. Mais sans nous cacher derrière nos petits doigts : ce genre d'affaires nécessite de "plonger" en profondeur dans un dossier. C'est souvent long et sans garantie de succès. Sans oublier que le droit de la presse, en matière de diffamation notamment, s'impose à nous.

Enfin, il me semble que votre réaction montre bien à quoi peut conduire une "dépénalisation de la vie des affaires". Alors que l'ouverture des frontières économiques et financières paraît mériter au contraire, y compris pour Albert Frère, une extension au moins égale des moyens d'enquêtes judiciaires ou boursières qui, tôt ou tard, finissent par être portés à la connaissance des citoyens.

Bien à vous,
Erich Inciyan

Cher Christian,

Bien sûr, nous attendons tous de Médiapart une information, une analyse! Mais, comme vous le notez si bien dans votre commentaire, nous attendons aussi de Médiapart une enquête. Et c'est là le plus important, non?
Car sans enquête, comment rassembler les preuves nécessaires pour corroborer ou désavouer les faits? Confirmer ou contredire l'information relayée par Agoravox?

J'attends donc moi aussi de Médiapart une analyse de cette information, mais refuse que la droiture de 'mon' journal en ligne soit bafouée dans une "course aux scoops"effrénée. Et au contraire, j'attends avec impatience le lancement officiel du journal quotidien et complet.

Cordialement