L’université Paris-Dauphine veut augmenter très fortement les droits d’inscription

02/02/2008Par

L’information aurait dû rester confidentielle encore quelques semaines. Mais un document de travail interne à l’université Paris IX-Dauphine circule depuis peu sur Internet, divulguant l’intention de la présidence de gonfler certains droits d’inscription dès la rentrée 2008.

Si ce projet est validé par le prochain conseil d’administration, programmé le 25 février, les étudiants de L1 (première année de licence) devront bientôt verser jusqu’à 1650 euros annuels pour suivre l'intégralité des cours de leur filière (contre 250 aujourd’hui), ceux de Master 2 jusqu’à 3000 euros. Dans ce dernier cas, il reviendrait aux directeurs de Master de fixer le montant exact de l'augmentation, en tenant compte des futurs salaires des diplômés.

« Pour rester dans la course, nous avons besoin de plusieurs millions d'euros supplémentaires, justifie Laurent Batsch, le président de cette faculté de gestion renommée, concurrente des grandes écoles et bénéficiant déjà d’un statut particulier (« Grand établissement ») l’autorisant à sélectionner ses recrues. L’Etat peut-il me les donner ? Bien sûr que non, tout le monde le sait ! Il faut donc trouver des solutions pragmatiques ; avec cette mesure, j’escompte cinq millions d'euros complémentaires, qui seront alloués à l’amélioration des conditions de travail des 8500 étudiants.»

Déjà, un début de mobilisation se fait jour. Un site Internet (http://dauphinepourtous.free.fr) et un réseau sur Facebook pointent les risques d’une aggravation des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. Laurent Batsch a pourtant séduit et convaincu les associations étudiantes majoritaires à Paris-Dauphine, en insistant sur l’aspect « social » de sa réforme. Le barême envisagé, en effet, s'adapterait aux revenus des parents, « au point que 20% des inscrits bénéficieraient d’une exonération totale » (les jeunes issus de foyers gagnant moins de 33 000 euros par an).
 
« Le projet est aussi très attentif aux classes moyennes, assure Géraud de Ferrière, vice président du Conseil de la vie étudiante et représentant de la jeune liste Esprit-Dauphine.  Le système serait progressif, avec cinq paliers ». Même Léa Reguer, la représentante locale de l’Unef, principale organisation étudiante de France, minoritaire à Dauphine, a remisé sa répugnance initiale : « Si je reste opposée sur le principe, je trouve qu’on a évité le pire. Le jour du vote, j’ai plutôt prévu de m’abstenir».

Dame patronnesse

Mais pour Jean-Louis Fournel, porte parole de l’association Sauvons l’université, la progressivité et les exonérations ne sont qu’ « un habillage pour faire passer la pilule, dans la logique de la nouvelle politique compassionnelle. 20% de boursiers à Dauphine, ce n’est rien par rapport à la fac de Saint-Denis. C’est un raisonnement de dame patronnesse. Toute hausse des frais d’inscription doit être discutée dans un cadre national ». Depuis l’adoption cet été de la loi sur l’autonomie des universités (LRU), nombre de syndicats nationaux craignent en effet un désengagement de l’Etat et un report des coûts sur les particuliers.
 
« Cette dérive de Dauphine est gravissime, déclare ainsi Jean Fabbri, le secrétaire général du Snesup-FSU, première organisation chez les enseignants-chercheurs. Le président n’a pas à piocher dans les poches des familles ! ». Son angoisse : « La contagion à d’autres établissements et l’instauration d’un système à plusieurs vitesses, où les facs réputées jouiraient de moyens privilégiés parce qu’elles pourraient se permettre de faire payer ». De son côté, le président de l’UNEF dénonce « la méthode et le manque de transparence » : « C’est sur Internet qu’on découvre aujourd'hui les détails du projet ! », regrette Jean-Baptiste Prévost.
 
Cette probable hausse du coût moyen des études à Dauphine tombe mal, après les engagements pris par Valérie Pécresse cet été, lors de ses négociations avec les syndicats étudiants pour leur faire accepter la loi LRU. Même si la décision de Paris IX n’est pas une conséquence de ce texte, le document de travail s’y réfère indirectement dans son préambule : « Avec l’autonomie de gestion, le développement de l’université reposera sur sa capacité à lever des fonds complémentaires auprès des entreprises (fondation, formation continue, contrats de recherche) et des étudiants (droits d’inscription, apports des « anciens ») ». 

Pour Jean-Louis Fournel, de Sauvons l’université, « Dauphine est un laboratoire. On y teste des choses dans un lieu où il n’y a pas de capacité de réaction. Ce qui se joue dans cette affaire, c’est la naissance d’un nouveau paradigme universitaire, autoritaire dans son pouvoir et libéral dans sa gestion ». 

Tout de passe-passe
Ce document, a priori confidentiel, daté du 11 janvier, récapitule en fait les propositions d’un groupe de travail ad hoc, créé par Laurent Batsch en septembre et présidé par Jacques Friedmann, ancien conseiller de Jacques Chirac. Pour Clément Mouhot, chargé de recherche au laboratoire Ceremade hébergé à Dauphine, opposé à la réforme, cette synthèse et le scénario présenté par Laurent Batsch passent sous silence le tour de passe-passe administratif auquel va devoir se livrer l’université, afin d’augmenter ses frais de scolarité. 

Les droits d’inscription ouvrant l’accès aux diplômes nationaux sont en effet définis chaque année par décret gouvernemental; aucune faculté, pas même un "Grand établissement", n’est juridiquement habilité à fixer librement ces tarifs. « L’Etat a un droit de regard dans le cadre du contrat passé avec les universités pour ce qui est des diplômes nationaux », martèle le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. 

En revanche, Dauphine a,comme les autres, toute latitude pour développer des diplômes universitaires propres (DU), dont elle fixe elle-même la tarification. Seuls les jeunes engagés dans ce type de cursus seront donc concernés par l’augmentation. Or Laurent Bastch reconnaît que ce devrait être «quasiment 100%» des étudiants de Licence, chacun choisissant Dauphine justement pour ses diplômes spécifiques, largement reconnus.

Cette priorité accordée aux DU, si elle devait se généraliser à d’autres établissements (vu les avantages financiers qu’ils déclenchent), pose la question du devenir du cadre national des diplômes d’enseignement supérieur. 

Jade Lindgaard et Mathilde Mathieu

Pour prolonger, écoutez Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine :

1. Pourquoi il « propose » aux étudiants de payer davantage, en échange de « prestations complémentaires »  («Contribuer plus, pour prestationner plus »):

2. Pourquoi les droits d’inscription des étudiants de M2 (seconde année de Master) pourraient être indexés sur leurs futurs salaires :

Les formations proposées à Dauphine sont en concurrence avec les écoles de commerce, presque tous privées et qui coûtent largement plus cher je pense (6000-8000 Euros / an je crois).

Que Dauphine augmente ses frais d'inscription (avec progressivité pour maintenir un semblant de mixité sociale) ne me pose pas de problème particulier. La France a besoin d'universités de renom pour supporter la comparaison des meilleures formations mondiales.
Le problème vient de l'accès des catégories populaires à ces formations de prestige. Deux solutions apparaissent : développer les systèmes de bourses afin que, justement, ces frais d'inscription ne se transforment pas en freins d'inscription ; et surtout que l'Etat donne (beaucoup) de moyens aux universités qui acceuillent en majorité ces étudiants issus de classes défavorisées.

Petit souvenir d'ancien combattant : pour avoir traîné mes guêtres quelques années sur les bancs de Dauphine, je rappellerai aux auteurs de l'article que Dauphine est situé dans le 16e arrondissement de Paris; si bien que la population estudiantine de Dauphine était il y a encore quelque temps (est ce que le "grand établissement" a changé quelque chose?) un savant dosage entre étudiants venus des meilleures familles de l'ouest parisien, sectorisés à Dauphine de facto, et élèves venus d'ailleurs via la procédure de sélection. Qu'on continue à donner quasi gratuitement une formation de qualité aux grands animateurs des rallyes du 16e me choque bien plus que le projet que vous nous décrivez là.
Sa généralisation à d'autres facs impose bien sûr une certaine vigilance (ceci dit, Sciences Po l'a déjà fait : avez vous été étudier ses effets?); mais je n'ai pas l'impression que le statu quo serve vraiment l'université française.

Que Dauphine fasse payer des droits d'inscription correspondant à la valeur marchande des diplomes qu'elle délivre pour ceux qui les obtiennent ne me choque pas du tout.Il faut evidemment des bourses et une progressivité.De plus quand on est en master à Dauphine les banques se bousculent pour faire des prêts étudiants.Quand en France acceptera t'on l'idée que les études de qalité ont un cout et qu'en fait ce cout est un investissement pour l'avenir?Nos universités iraient mieux si ceci était accepté ainsi que la sélection.Non tout le monde n'a pas les capacités pour faire de longues et brillantes études.Par contre un système de bourse pointu est à étudier.
Voyez ce qui se passe à Sciences Po.D'après ce que j'en sais c'est plutôt bien et le directeur a eu bien des oppositions dans ses rangs.Il n'a pas cédé Les études supérieurs coùtent très cher,quand s'en rendra t'on compte en France?Quand verra t"on la vérité en face?Ou alors elles sont comme maintenant très mal classées mondialement sous le faux prétexte démocratique d'accès à tous.Non tout le monde n'a pas les même capacités

Merci pour toutes ces remarques. Le cas Dauphine est en effet complexe, à la fois spécifique et révélateur des débats en cours dans l'université française.
Au-delà de la question de la hausse des frais d'inscription, ce qui est intéressant dans cette histoire c'est l'interrogation qu'elle ouvre sur le devenir du cadre national des diplômes en France, c'est à dire le socle commun d'enseignement supérieur, au coeur du principe d'université. Dauphine a certes le droit d'augmenter le tarif de ses diplômes d'établissement mais pas de toucher aux droits d'inscription des diplômes nationaux, fixés chaque année par décret. Or c'est bien au prorata du nombre d'étudiants inscrits en diplôme national que l'Etat alloue à Dauphine comme aux autres universités ses crédits chaque année.
Au delà des opinions que les uns et les autres peuvent avoir sur la perspective de hausse des droits d'inscription (clairement écartée par Valérie Pécresse l'été dernier), le projet de la présidence de Dauphine pose donc bien des questions d'ordre juridique et de politique des savoirs.
Dernière précision : l'université Paris-Dauphine a le statut de grand établissement depuis 2004, qui n'est pas le même que celui de sciences po. La comparaison n'est donc qu'en partie éclairante.

"Au delà des opinions que les uns et les autres peuvent avoir sur la perspective de hausse des droits d'inscription (clairement écartée par Valérie Pécresse l'été dernier), le projet de la présidence de Dauphine pose donc bien des questions d'ordre juridique et de politique des savoirs."

Je trouve que vous noyez un peu le poisson. Questions d'ordre juridique, politique des savoirs, tout ça, c'est bien joli, mais ça reste hélas secondaire par rapport aux affaires de gros sous. L'université française est sous financée par rapport à ses homologues européens, et le degré d'exigence de cette fameuse "politique des savoirs" reste, amha, très largement inféodée aux ressources financières des établissements : concrètement, comment retient-on les meilleurs profs, comment assure-t-on une meilleure prise en charge des étudiants etc. sans avoir des moyens plus conséquents? Dans cette perspective, la question des droits d'inscription est fondamentale, et il faut arrêter de jouer à l'autruche au risque de laisser cette question aux seules mains des libéraux de tout poil qui n'ont que le modèle américain (avec des droits complètement hors de proportion) en tête. Bah oui, le principe de progressivité des droits ne me semble pas être un principe de droite.
Quant à l'accusation d'université à deux vitesse, sous jacente dans votre commentaire, elle me semble terriblement hypocrite : ça fait longtemps qu'il y a de facto un classement des facs, tout le monde connaît celles à éviter.

Bonjour Orson,

Ce que je voulais dire par là, c'est que le cas Dauphine pose une question plus vaste que la seule question des droits d'inscription : qu'est-ce qu'un socle commun d'éducation, comment on finance et organise la recherche (puisque Dauphine abrite aussi des labos de chercheurs), quid de la démocratisation universitaire...
C'est une évidence que l'université de Dauphine a plus de prestige que celle de Villetaneuse ou du Havre. Mais ce ne serait pas le moindre des paradoxes si en augmentant les frais d'inscriptions, Dauphine perdait en subventions publiques (dont elle dépend à 85% salaires inclus), et donc en financement...les éléments juridiques et financiers sont donc bien mêlés. Nous y reviendrons très prochainement sur Mediapart. Merci de votre lecture attentive.

Olivier, 38 ans, vivant à Francfort

Il y en a un peu marre de cette double hypocrisie typiquement française :
* pas de sélection à l'entrée des facs
* gratuité de l'enseignement
A l'arrivée cela se traduit par :
* des facs toujours déconsidérées par rapport aux grandes écoles
* les pauvres qui paient pour l'enseignement des riches, les classes populaires étant sous représentées dans l'enseignement supérieur.
Dauphine recueille typiquement les rejetons de grands bourgeois n'ayant pas assez bossé pour être acceptés en classes prépa.

Les études supérieures sont un investissement, mais pas seulement pour l'étudiant : également pour la société tout entière. Commencer dans la vie avec un emprunt à rembourser, dans un contexte où les jeunes diplômés n'ont pas forcément les portes grandes ouvertes ni des situations stables, ça n'est vraiment pas drôle.

Ma position sur la participation des étudiants à l'effort national de formation est la suivante. Rétablissons le service national honteusement supprimé (pardon suspendu) par MM. Chirac et Jospin. Vous voulez faire payer aux jeunes gens leurs études ? Très bien. Ne leur demandez pas d'argent ils n'en ont pas (en tout cas pas en propre), mais ils ont de l'énergie. Un service national effectué vers la fin des études donnerait lieu à une contribution des jeunes gens proportionnelle au coût des études qu'ils ont suivies, ceux ayant suivi des études supérieures pouvant remplir des tâches qui demanderaient une rémunération supérieure.

A l'heure où nous vivons une crise sociale grave et où le danger principal qui menace la France n'est pas une invasion type 14-18 mais une explosion sociale dont nous avons déjà eu quelques prémices (de plus en plus violents vous remarquerez), il est urgent d 'envisager une mobilisation importante que l'Etat ne pourrait se payer en rémunérant des fonctionnaires ou des contractuels.

En revanche, je partage l'avis de ceux qui appellent à un retour sur terre en ce qui concerne la sélection. Envoyer des millers de jeunes gens au casse-pipe dans des formations dont ils ne pouront rien tirer est un gaspillage et d'argent public et de temps pour ces jeunes gens (qui pourraient réussir dans des formations plus adaptées). Certes avoir le statut d'étudiant est plus valorisant que d'avoir le statut de chomeur. Mais on a trop abusé du concept.

Bonjour à tous ceux qui réagissent sur cet article ô combien épineux.

Je trouve que tous les arguments présentés ici se tiennent : investissement sur l'avenir, implication de l'étudiant, ...

Mais je tiens à rappeler quelques petits détails :

  • L'Université Paris Dauphine, même bénéficiant d'un statut particulier, reste un établissement d'enseignement supérieur PUBLIC
  • Il n'est pas envisageable qu'un problème comme celui du financement soit traité de manière individuelle. Certains ont parlé ici du fait que la gratuité de l'Université l'entrainait vers un manque de moyen récurrent. Et je veux bien adhérer à cette théorie. Mais en AUCUN CAS il n'est envisageable que Dauphine puisse décider seul. En effet si il s'agit d'un problème national, la réflexion de fond doit être menée au niveau national !
  • Le problème des DN (Diplomes Nationals : Licence, Master, ...) et des DU (Diplomes Universitaires "propriétaires" est primordiale. En effet, là où le bas blesse dans ce projet de réforme INTERNE c'est ce tour de passe passe. En effet, les droits des DN sont fixés nationalement par décret annuel. La seule latitude pour Dauphine sont les DU. Et là plusieurs choix :
    • Soit Dauphine supprime administrativement tout DN et dans ce cas (théoriquement) perd la totalité de l'apport financier public (car proportionnel au nombre d'étudiants inscrits dans un DN). Et cela n'est clairement pas tenable. De plus l'argument : Dauphine en "faillite" ne tient plus.
    • Soit Dauphine veut créer des DN à tous niveau avec un DU "complémentaire" ajoutant des heures de cours ... Et dans ce cas, la ministre l'a rappelé, Dauphine ne peut contraindre ses étudiants à payer le "complément" DU. Et dans ce cas 2 conséquences : doubles formations donc difficultés pédagogique et de mise en place administrative. Par ailleurs réelle sélection sur pré requis financier. De plus, Dauphine ne pourrait plus sélectionner sur dossier en entrée de 1ere année (comme actuellement) car un étudiant ne pourrait se voir l'obligation de prendre le DU. Si il prend le DN ie Licence1, il ne peut légalement pas y avoir de sélection.

Tout ça pour dire que c'est un problème complexe et que Mr Batsch fait montre d'un empressement surprenant et utilise des méthodes proches de l'amateurisme (changement de position, d'argumentation, de "montage DN DU", ... quasi quotidien, intimidations, pressions).

Un tel projet ne peut se faire dans ces conditions difficiles, sans dialogue ni sérénité. Transparence est mère de sagesse pourrait on dire.
Et l'Université se doit d'être exemplaire. Dauphine se doit de l'être car présentée comme Université pilote. Mr Batsch doit prendre ses responsabilités.

Alors messieurs, vos remarques et arguments sont pertinents et cohérents mais ne peuvent avoir de place que dans le cadre d'un dialogue serein et transparent... à l'échelon national.

Cordialement,
Antoine Claudé
Collectif DauphinePourTous
http://dauphinepourtous.free.fr