L’information aurait dû rester confidentielle encore quelques semaines. Mais un document de travail interne [2] à l’université Paris IX-Dauphine circule depuis peu sur Internet, divulguant l’intention de la présidence de gonfler certains droits d’inscription dès la rentrée 2008.
Si ce projet est validé par le prochain conseil d’administration, programmé le 25 février, les étudiants de L1 (première année de licence) devront bientôt verser jusqu’à 1650 euros annuels pour suivre l'intégralité des cours de leur filière (contre 250 aujourd’hui), ceux de Master 2 jusqu’à 3000 euros. Dans ce dernier cas, il reviendrait aux directeurs de Master de fixer le montant exact de l'augmentation, en tenant compte des futurs salaires des diplômés.
« Pour rester dans la course, nous avons besoin de plusieurs millions d'euros supplémentaires, justifie Laurent Batsch [3], le président de cette faculté de gestion renommée, concurrente des grandes écoles et bénéficiant déjà d’un statut particulier (« Grand établissement ») l’autorisant à sélectionner ses recrues. L’Etat peut-il me les donner ? Bien sûr que non, tout le monde le sait ! Il faut donc trouver des solutions pragmatiques ; avec cette mesure, j’escompte cinq millions d'euros complémentaires, qui seront alloués à l’amélioration des conditions de travail des 8500 étudiants.»
Déjà, un début de mobilisation se fait jour. Un site Internet (http://dauphinepourtous.free.fr [4]) et un réseau sur Facebook [5] pointent les risques d’une aggravation des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. Laurent Batsch a pourtant séduit et convaincu les associations étudiantes majoritaires à Paris-Dauphine, en insistant sur l’aspect « social » de sa réforme. Le barême envisagé, en effet, s'adapterait aux revenus des parents, « au point que 20% des inscrits bénéficieraient d’une exonération totale » (les jeunes issus de foyers gagnant moins de 33 000 euros par an).
« Le projet est aussi très attentif aux classes moyennes, assure Géraud de Ferrière, vice président du Conseil de la vie étudiante et représentant de la jeune liste Esprit-Dauphine. Le système serait progressif, avec cinq paliers ». Même Léa Reguer, la représentante locale de l’Unef, principale organisation étudiante de France, minoritaire à Dauphine, a remisé sa répugnance initiale : « Si je reste opposée sur le principe, je trouve qu’on a évité le pire. Le jour du vote, j’ai plutôt prévu de m’abstenir».
Dame patronnesse
Mais pour Jean-Louis Fournel, porte parole de l’association Sauvons l’université [6], la progressivité et les exonérations ne sont qu’ « un habillage pour faire passer la pilule, dans la logique de la nouvelle politique compassionnelle. 20% de boursiers à Dauphine, ce n’est rien par rapport à la fac de Saint-Denis. C’est un raisonnement de dame patronnesse. Toute hausse des frais d’inscription doit être discutée dans un cadre national ». Depuis l’adoption cet été de la loi sur l’autonomie des universités (LRU), nombre de syndicats nationaux craignent en effet un désengagement de l’Etat et un report des coûts sur les particuliers.
« Cette dérive de Dauphine est gravissime, déclare ainsi Jean Fabbri, le secrétaire général du Snesup-FSU, première organisation chez les enseignants-chercheurs. Le président n’a pas à piocher dans les poches des familles ! ». Son angoisse : « La contagion à d’autres établissements et l’instauration d’un système à plusieurs vitesses, où les facs réputées jouiraient de moyens privilégiés parce qu’elles pourraient se permettre de faire payer ». De son côté, le président de l’UNEF dénonce « la méthode et le manque de transparence » : « C’est sur Internet qu’on découvre aujourd'hui les détails du projet ! », regrette Jean-Baptiste Prévost.
Cette probable hausse du coût moyen des études à Dauphine tombe mal, après les engagements pris par Valérie Pécresse cet été, lors de ses négociations avec les syndicats étudiants pour leur faire accepter la loi LRU. Même si la décision de Paris IX n’est pas une conséquence de ce texte, le document de travail s’y réfère indirectement dans son préambule : « Avec l’autonomie de gestion, le développement de l’université reposera sur sa capacité à lever des fonds complémentaires auprès des entreprises (fondation, formation continue, contrats de recherche) et des étudiants (droits d’inscription, apports des « anciens ») ».
Pour Jean-Louis Fournel, de Sauvons l’université, « Dauphine est un laboratoire. On y teste des choses dans un lieu où il n’y a pas de capacité de réaction. Ce qui se joue dans cette affaire, c’est la naissance d’un nouveau paradigme universitaire, autoritaire dans son pouvoir et libéral dans sa gestion ».
Tout de passe-passe
Ce document, a priori confidentiel, daté du 11 janvier, récapitule en fait les propositions d’un groupe de travail ad hoc, créé par Laurent Batsch en septembre et présidé par Jacques Friedmann, ancien conseiller de Jacques Chirac. Pour Clément Mouhot, chargé de recherche au laboratoire Ceremade [7] hébergé à Dauphine, opposé à la réforme, cette synthèse et le scénario présenté par Laurent Batsch passent sous silence le tour de passe-passe administratif auquel va devoir se livrer l’université, afin d’augmenter ses frais de scolarité.
Les droits d’inscription ouvrant l’accès aux diplômes nationaux sont en effet définis chaque année par décret gouvernemental; aucune faculté, pas même un "Grand établissement", n’est juridiquement habilité à fixer librement ces tarifs. « L’Etat a un droit de regard dans le cadre du contrat passé avec les universités pour ce qui est des diplômes nationaux », martèle le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En revanche, Dauphine a,comme les autres, toute latitude pour développer des diplômes universitaires propres (DU), dont elle fixe elle-même la tarification. Seuls les jeunes engagés dans ce type de cursus seront donc concernés par l’augmentation. Or Laurent Bastch reconnaît que ce devrait être «quasiment 100%» des étudiants de Licence, chacun choisissant Dauphine justement pour ses diplômes spécifiques, largement reconnus.
Cette priorité accordée aux DU, si elle devait se généraliser à d’autres établissements (vu les avantages financiers qu’ils déclenchent), pose la question du devenir du cadre national des diplômes d’enseignement supérieur.
Jade Lindgaard et Mathilde Mathieu
Pour prolonger, écoutez Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine :
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/jade-lindgaard
[2] http://www.mediapart.fr/files/dauphine.pdf
[3] http://www.sauvonsluniversite.fr/
[4] http://dauphinepourtous.free.fr/
[5] http://apps.facebook.com/causes/view_cause/58892?h=pln&recruiter_id=6678577
[6] http://www.sauvonsluniversite.fr/
[7] http://www.ceremade.dauphine.fr/