L'affaire Dreyfus est aussi une affaire d’homophobie

05/03/2008Par

Trois historiens révèlent que, pour forcer la décision des juges, Alfred Dreyfus fut aussi présenté comme lié à un réseau d'attachés militaires étrangers homosexuels. Leur  lecture minutieuse du «dossier secret» de l'Affaire est publiée dans la Revue Histoire Moderne et Contemporaine.

D’abord le produit d’un antisémitisme profond, la condamnation du capitaine Dreyfus par le Conseil de Guerre en 1894 fut également rendue possible par l’instrumentalisation d’un sentiment homophobe auprès de ses juges : c’est la révélation majeure de trois historiens dans un article de la dernière livraison de cette très sérieuse revue.

Grâce à leur relecture du fameux mais méconnu « dossier secret », c’est un véritable « scoop historique » que livrent Pierre Gervais, Romain Huret et Pauline Peretz. Aucun de ces historiens, tous américanistes, n’est pourtant spécialiste de la question – et c’est paradoxalement cette distance à l’Affaire, objet historiographico-politique de prédilection, qui leur a permis de renouer avec une pratique historienne qui doit toujours s’alimenter aux sources et, en l’occurrence, à des archives sans doute depuis trop longtemps désertées.

Tout commence à la fin des années 1980 par la lecture que fait Pierre Gervais d’un article publié dans l’un de ses magazines de chevet d’alors… le mensuel de bande dessinée Fluide Glacial ! Le jeune historien y découvre, sous la plume de Bruno Léandri, la tonalité érotique du « dossier secret » et le rôle apparemment non négligeable de la question homosexuelle dans l’Affaire Dreyfus. C’est l’absence totale de référence à cette dimension au moment des commémorations de la Révision qui le conduira, plus de quinze ans après, à convaincre deux de ses collègues à se lancer avec lui dans la recherche qu’ils publient ces jours-ci.

Etrangement, alors qu’il a joué un rôle décisif dans la condamnation de Dreyfus en 1894 comme lors de la cassation de 1899, le « dossier secret » n’avait jamais été complètement reconstitué après sa dispersion et son ensevelissement parmi quantité de pièces d’archives. C’est d’abord à cette tâche minutieuse que se sont attelés les trois historiens, désormais en mesure de publier une «reconstitution partielle » mais très significative de ce dossier commandé par le ministre de la guerre de l’époque, le général Mercier. On comprend mieux alors pourquoi ce dossier, par ailleurs illégal, a dû demeurer secret : la plupart de ses pièces présentaient « une dimension homosexuelle, et certaines ne disaient rien d’autre que l’homosexualité » affirment aujourd’hui les trois historiens. Ces pièces ce sont essentiellement des extraits d’une « correspondance homosexuelle à caractère érotique, adressée à l’attaché militaire allemand à Paris, le lieutenant-colonel Maximilien von Schwartzkoppen, par l’attaché militaire italien, le major Alessandro Panizzardi, et dérobées à l’Ambassade d’Allemagne par le service de contre-espionnage français, baptisé Section de Statistiques ». A l’instar, par exemple, de la lettre Davignon, qui commence par « mon cher bourreur» et se conclut par « adieu mon bon petit chien, ton A. », même les pièces déjà privilégiées jusqu’ici par l’historiographie (en France, Jean-Denis Bredin et Marcel Thomas semblent être les deux seuls à avoir prêté un tout petit peu d’attention à cette dimension de l’Affaire) se distinguent très nettement par leur tonalité homosexuelle. Pourtant cette dimension, demeurée secrète au moment de l’Affaire pour de très compréhensibles raisons à la fois diplomatiques, militaires et judiciaires, ne sera pas davantage creusée par la suite par les historiens, ce qui s’avère curieux, et renvoie probablement aux logiques politiques et historiographiques qui, tout au long du XXe siècle, ont structuré la mémoire collective mais aussi la connaissance de l’Affaire.

Il ne s’agit bien évidemment pas, pour les trois historiens, de remettre en cause les résultats de l’impressionnante historiographie de l’Affaire, dont de bonnes synthèses ont paru en 2006 (et notamment le livre de Vincent Duclert, Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote). Mais plutôt de l’enrichir en cherchant à « mieux comprendre les raisons pour lesquelles les supérieurs du capitaine le poursuivirent envers et contre tout, et surtout au moyen d’un « dossier secret » foncièrement illégal ».

Alsacien, juif, Alfred Dreyfus n’était pas homosexuel – et il eût été apparemment très périlleux pour ses accusateurs de tenter de le laisser entendre. Comment comprendre alors la stratégie de ces derniers lorsqu’à la demande de leur ministre, ils montent ce dossier secret volontairement très marqué par l’érotique homosexuelle ? Peu convaincus par l’idée selon laquelle cela n’aurait servi qu’à authentifier la correspondance, les trois historiens font une hypothèse de recherche différente, qu’ils parviennent brillamment à valider en démontrant que c’est un effet de scandale que recherchaient les instigateurs du « dossier secret », de manière à  « susciter la révulsion des juges à l’égard du réseau d’espionnage auquel Dreyfus était accusé de participer » et à finir par « arracher sa condamnation ».

Leur statut d’outsiders de ce champ d’étude a sans doute permis à Pierre Gervais, Romain Huret et Pauline Peretz de sortir des logiques qui pèsent sur l’historiographie de l’Affaire, logiques largement initiées par des institutions, au premier rang desquelles l’armée. Car c’est bien à partir de la connaissance produite par la procédure judiciaire que s’est ensuite écrite l’histoire de l’Affaire, les historiens se focalisant sur la démonstration de l’erreur judiciaire. Gervais, Huret et Peretz ont, au contraire, décidé de déplacer le regard en remontant avant même le jugement, en tentant de comprendre le processus mental des « méchants », en se demandant très sérieusement comment certains ont pu le croire coupable. Pour cela, ils sont remontés aux sources, ce qui, à en juger par les bordereaux d’émargements des cartons d’archives, ne se pratiquait plus beaucoup depuis leur ouverture au début des années 1960, et le livre sérieux de Maurice Thomas, L’Affaire sans Dreyfus, supposé avoir définitivement réglé la question des archives.

Au-delà de la justice, fondamentale bien sûr, l’Affaire Dreyfus offre en effet bien d’autres objets aux historiens curieux qui travaillent plus d’un siècle après. Des objets jugés jusque récemment moins académiques, moins respectables mais que l’histoire et les sciences sociales les plus innovantes ont su investir depuis au moins trente ans. Ainsi l’espionnage, par exemple, dont l’anthropologue Alain Dewerpe, auteur du magnifique Espion, rappelait que l’histoire était jugée « infantile ». Mais aussi, l’homosexualité, bien sûr, aujourd’hui nettement plus documentée mais trop longtemps négligée, comme l’a remarqué Florence Tamagne, elle aussi citée par les trois historiens.

L’article publié ces jours-ci dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine va produire l’effet d’une petite bombe dans le milieu des spécialistes de l’Affaire. Il serait pourtant dommage qu’on ne saisisse pas, par-delà les enjeux historiographiques précis et limités, l’importance de sa contribution à la compréhension plus large des liens entre antisémitisme et homophobie à l’époque. Car c’est là que réside l’enjeu intellectuel de ce texte. Comme le rappellent les auteurs, « vers 1900, les imaginaires antisémites et homophobes étaient en effet étroitement entrelacés » : les juifs et les homosexuels avaient en commun de se distinguer par leurs sexualités perçues comme déviantes ou par leurs signes extérieurs, l’un comme l’autre faisaient l’objet l’étude d’études pseudo-scientifiques chargées d’étayer une franche hostilité sociale. « De telles correspondances permettent de reconstituer un chaînon manquant dans les récits de l'Affaire, écrivent les auteurs. Car c'est justement ce lien entre judaïsme et homosexualité qui permet le mieux d'expliquer pourquoi le Conseil de guerre se vit confier, de manière illégale, un dossier vide, sur la base duquel Dreyfus fut jugé coupable. C'est parce que les deux notions se confondaient aisément dans des esprits antisémites et homophobes que l’homosexualité des deux attachés militaires put venir nourrir leur conviction de la culpabilité du juif Dreyfus. L'aspect homosexuel du dossier annonçait une trahison à la fois monstrueuse et nécessairement commise par un être déviant — quoi de plus naturel pour des antisémites forcenés que de découvrir qu'un juif était coupable, et quoi de plus difficile que de renoncer à cette fiction commode ? Mais l'élément homosexuel au cœur de l'accusation restait inutilisable publiquement, d'où le choix du secret. C'est donc bien tout un tissu de haines et de peurs, structuré autour de l'antisémitisme mais incluant d'autres dimensions — homophobie, xénophobie... — qui permet de mieux rendre compte de la constitution du dossier secret et de son usage à l'automne 1894. »

Personne depuis Emile Zola, et son roman oublié de 1903, Vérité – une métaphore romanesque de l’Affaire qui raconte le drame d'un instituteur juif accusé injustement du viol et du meurtre d'un jeune garçon – n’avait mis aussi nettement à jour la matrice culturelle et intellectuelle qui généra cet événement de notre histoire. Un événement encore capable, plus d’un siècle plus tard, de faire l’actualité.

En ligne les annexes de leur articles : la reconstitution du dossier secret.

L’article de Pierre Gervais, Romain Huret et Pauline Peretz, « Une relecture du « dossier secret » : homosexualité et antisémitisme dans l’Affaire Dreyfus » est publié dans la Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, Vol. 55, n°1, pp 125-160, éditions Belin.

Article vraiment interessant.
C'est toujours surprenant d'apprendre que les archives ne sont que rarement entièrement explorées.
Reste les questions, que comprendre par la dispersion d'archives ? Sont-elles toutes au ministère de la défense ? Comment s'est effectuée ce travail de reconstitution ?
Les liens vers "reconstitution partielle" et "les annexes de leur articles :..." pointent vers l'interview de R.Banks.

Article vraiment intéressant qui nous montre que la mémoire n'est pas l'histoire.
Même un objet historique qui semble largement connu peut grâce à de nouvelles problématiques et de nouveaux regards (l'historien est un produit de son temps) révélé de nouveaux aspects.
Merci à Médiapart d'apporter le temps, le recul, la réflexion et de nous sortir de l'émotion et de l'instantanéité .

Pour ceux qui veulent aller un peu plus loin sur le sujet... en revenant en arrière : relire "Les origines du totalitarisme" d'Hannah Arendt et en particulier le tome "Sur l'antisémitisme" où Arendt faisait déjà l'étude de ce lien structurel entre les imaginaires antisémite et homophobe et y évoquait les aspects communs aux univers de réprobation dans lesquels baignaient les deux communautés, en France en particulier (voir sa lecture de l'oeuvre de Proust).

Cet article et l'étude évoquée par MédiaPart permettront de mieux mettre en lumière cet aspect dans le cas précis de l'affaire Dreyfus.

Quelle bonne surprise de voir mentionner ainsi Bruno Léandri et le Fluide Glacial des années 80
(le libre, l'indépendant, le pas encore racheté ou devrais-je dire "vendu"? non, ce serait exagérer)

Bruno Léandri, mais il n'était pas le seul à Fluide, "recélait" toujours tout un fatras d'excellentes références, toute une culture très eclectique de thèmes toujours bien lus.

L'article est intéressant et éclaire l'affaire d'un aspect peu connu du grand public.

Toutefois, il ne s'agit pas de révélations (scoop historique), comme il est dit au début de l'article.
L'homosexualité sous-jacente, comme en filigrane de l'affaire Dreyfus, est connue et décrite dans la littérature consacrée à l'Affaire, voire même dans quelques publications grand public.
D'autant que cet aspect social a été indubitablement une composante de l'Affaire.
Fait non signalé, les accusations portées contre le lieutenant-colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage français, héros de l'affaire Dreyfus de par son sacrifice à la Justice, sont parlantes.
Il a en effet été l'objet d'accusations explicites d'homosexualité, y compris dans la presse anti dreyfusarde, surnommé "Georgette" dans les milieux militaires.
La campagne eut à l'évidence pour objet de décrédibiliser cet acteur fâcheux pour les militaires de la réhabilitation de Dreyfus.

D'une manière plus générale, l'association homosexuel - espion (traître) dans les esprits du XIXe siècle et après, reste un sujet d'étude peu approfondi encore aujourd'hui.

Sur un plan critique, on peut faire trois remarques :

1- L'expression homophobie ramenée à l'affaire Dreyfus pourra sembler anachronique. C'est en effet un concept du XXIe siècle totalement absent de la pensée de la fin du XIXe siècle.
Personne ne songe, à cette époque, à défendre l'homosexualité qui est vue au mieux comme une forme de psychopathologie ouvrant la voie à toutes les déviances.

2 - On dit dans l'article, d'ailleurs de manière assez contradictoire, que Dreyfus n'était pas accusé d'homosexualité (il est même accusé d'avoir connu des femmes après son mariage dans l'acte d'accusation) mais que le contexte exprimé dans les pièces du dossier secret auraient été de nature à emporter la conviction des juges du Conseil de guerre (qui étaient aussi jurés).
Mais on sait de manière certaine (au travers de l'enquête de la Cour de cassation de 1906) que la conviction des juges s'est forgée sur la pièce "Canaille de D..." à l'exception de toute autre considération objective.
Affirmer donc que l'homosexualité émanant des pièces d'instruction a été déterminante dans la condamnation de Dreyfus apparaît franchement excessive.
L'affaire Picquart montre bien l'existence de la composante homosexuelle dans l'affaire, mais pas dans la condamnation de Dreyfus.

3 - Pour ce qui concerne le "dossier secret" il est important d'être précis.
Au procès de 1894, le dossier ne comporte que quatre pièces ou documents d'après les déclarations du président du Conseil de guerre à la Cour de cassation.
Entre 1894 et 1898, il croît de plusieurs centaines de documents (365 au moment où Cavaignac l'étudie et découvre le faux Henry).
Aussi le document pdf en annexe de l'article ci-dessus n'est-il pas une reconstitution du "dossier secret" de 1894 mais le début de la reconstitution partielle du "dossier secret" de 1898.
Alfred Dreyfus, qui y avait eu accès à l'occasion de son second procès, en 1899, l'a recopié in extenso.
On peut le consulter sur le site du Musée d'art et d'histoire du judaïsme :
http://dreyfus.mahj.org/docs/index.php

Hector

Je suis l'un des auteurs de l'article, et Sylvain Bourmeau m'a signalé votre commentaire comme méritant réponse précise. De fait vous résumez parfaitement l'état de l'historiographie sur l'Affaire, que vous avez l'air de bien connaître. Vous serez donc sûrement sensible aux précisions suivantes. Pour prendre en ordre inverse (et pardon aux lecteurs qui ne sont pas forcément passionnés par tous ces détails, j'essaierai de faire court):

- l'affirmation selon laquelle le dossier secret ne comportait que 4 pièces est un artefact historique postérieur à 1898, qui découle surtout du jugement du lieutenant-colonel George Picquart selon lequel des "pièces accessoires" existant dans le dossier en 1896 n'auraient pas été communiquées au Conseil de Guerre. Dreyfus, comme vous le dites vous-même, a copié la version de 1898, et non celle de 1894; le seul témoin fiable à avoir vu une version tout au moins du dossier de 1894 avant 1898 (en 1896) est bien Picquart, qui a vu 8 à 9 pièces, et non 4. Une précision: le Président du Conseil de Guerre de 1894 a affirmé à Rennes, non pas que le dossier contenait quatre pièces, mais qu'il n'avait fait attention qu'à la première, n'écoutant les autres que d'une oreille distraite. Bref, nous avons des raisons de croire (cf. l'article) que notre reconstitution est bien celle de 1894. Attention également: la copie en ligne du dossier secret au Mahj ne comporte que les cotes 1 à 116, donc la première partie du dossier secret de 1898, et exclut la deuxième, qui contient entre autres la correspondance homosexuelle.

- Je ne sais pas où dans l'Enquète de 1906 il est démontré que seule la pièce "Ce canaille de D... " a emporté la conviction du jury de 1894. C'est effectivement ce que les militaires soutiennent en 1899, mais il est tout aussi certain que d'autres pièces que celle-ci ont été communiquées, et nul n'a donné à notre connaissance un compte-rendu du délibéré de 1894. Si les autres pièces sont celles que nous pensons, et à vrai dire même si nous nous sommes trompés et si les pièces communiquées sont celles traditionnellement citées dans l'historiographie que vous rappelez (mais c'est fort peu probable à notre avis...), on voit mal comment des officiers de l'armée, à une époque dont vous soulignez fort justement qu'elle est très hostile à l'homosexualité, n'auraient pas au moins eu des questions sur un aspect sexuel clairement apparent dans les adresses et les signatures.

- Homophobie est un terme anachronique, oui, la critique est juste. Il aurait mieux vallu dire "hostilité très forte à l'homosexualité". Vous exagérez un peu cette hostilité, tout de même: l'homosexualité était dépénalisée en France, et avait même quelques porte-paroles et défenseurs. Mais je vous l'accorde, l'attitude dominante était extrêmement hostile...

- Enfin, je suis un peu surpris par votre jugement selon lequel cet aspect était "décrit" dans la littérature. "Scoop" est certes sans doute exagéré, mais les meilleurs spécialistes de l'Affaire, Vincent Duclert et avant lui Marcel Thomas, ne consacrent à cette question, selon les ouvrages, qu'une page au mieux, plus souvent quelques lignes, et plus souvent encore n'en font pas mention. Certainement ils estiment que cet aspect n'a joué aucun rôle, et c'est précisément ce que nous discutons. Mais évidemment, tout le monde peut se tromper... même nous!

Voilà, en espérant que ces précisions trop longues rassureront les lecteurs: nous ne sommes pas des fantaisistes, et Sylvain Bourmeau avait bien fait son travail de vérification.

Pierre Gervais

M. Gervais,
Je vous remercie d'accorder de l'intérêt à ma modeste contribution , qui n'a d'autre but que de lancer un débat éventuel, et non pas de discréditer vos intéressants travaux.
Mais vous conviendrez que c'est dans la confrontation d'idées que nait la manifestation de la vérité historique.

Je reviens sur deux points fondamentaux de votre démonstration :

1 - Sur le dossier secret, on connait avec certitude le nombre exact de pièces livrées au procès de 1894. (1)
On le sait car les quatre pièces ont été accompagnées d'une note explicative aux juges dans l'enveloppe scellée remise aux magistrats.
Cette note fut rédigée par le commandant du Paty de Clam, le magistrat instructeur sous la dictée du Sandher, le patron du contre-espionnage de l'époque.
Du Paty avait conservé le brouillon qu'il présenta lors de la seconde révision en 1904(2).
Cela dit, cela dit, le général Mercier parle de "six ou huit pièces" au procès de Rennes.(3) Mais son témoignage, entaché de multiples imprécisions et contre-vérités est-il crédible ?

2 - Les juges du premier conseil de guerre ont tous témoigné lors de l'instruction de la seconde révision de 1903 à 1906. (4)
Alors que le colonel Maurel, président du Conseil de guerre, a affirmé que sa conviction était forgée avant les délibérés, les capitaines Roche et Frestaeter, le commandant Gallet et le colonel Echman ont tous déposé en sens inverse en contredisant fermement le colonel Maurel.
Ils ont tous affirmé que la pièce "Canaille de D." les avaient profondément marqués.(5)
Vous conviendrez que ces déclarations conjointes, de nature à gêner la défense du général Mercier, qui n'a cessé d'atténuer l'importance du dossier secret, sont dignes d'intérêt.

Je pense pour ma part que votre réflexion est intéressante, et qu'une étude approfondie et transversale des méthodes du contre-espionnage français dans l'affaire Dreyfus quant à l'usage "d'intox" à fin de manipulation des différents acteurs est tout à fait légitime.

Hector

Notes :
1 : in V. Duclert, Alfred Dreyfus, Fayard 2006, pp 327 et s.
2 : v. le témoignage de du Paty in Réhabilitation 1903-1906, T1 p.50
3 : Procès de Rennes, Compte rendu, T1 p. 162
4 : Cour de cass., de la justice dans l'affaire Dreyfus, V. Duclert, Fayard 2006, p. 127
5 : Cour de cassation, Réhabilitation 1903-1906, T. 1 pp. 281, 430, 230.

Cher Hector,
Merci pour vos commentaires, précis et argumentés. Ils ont lancé une discussion de très bonne tenue avec l'un des auteurs de l'article. Je regrette juste l'usage du pseudonyme. Vous en avez bien sûr le droit, mais compte tenu des enjeux (fort lointains convenez-en) et de la nature très scientifique de la discussion, il eut à mon sens été préférable d'intervenir en votre nom puisque vous semblez très bien connaître l'historiographie de l'Affaire.
Pierre Gervais vous a répondu sur toutes vos remarques, permettez moi d'apporter mes réponses à deux d'entre elles.

1. sur la question du scoop : j'ai écrit entre guillemets "scoop historique" pour souligner avec un peu d'humour aussi l'importance de ces révélations tardives. Révélations oui, puisque je ne visais pas par scoop l'arrière fond de l'homosexualité dans l'Affaire mais bien plus précisément ce qu'avance les auteurs et que vous semblez contester : le caractère décisif de la connotation homosexuelle de ce dosier pour la condamnation de Dreyfus.

2. l'anachronisme d'homophobie : certes au plan lexical il y a bien une anachronie, est-ce pour autant qu'un phénomène aujourd'hui désigné par ce terme doive attendre d'avoir un nom pour se manifester ? Je ne le pense pas. L'anachronisme est donc purement lexical.

Très cordialement,
Sylvain Bourmeau

Votre analyse montre bien à quel point les imprécisions actuelles de l'historiographie sont gênantes, et répandues! Vous trouverez dans notre article, que je ne peux que vous engager à lire, les éléments prouvant (et là il ne s'agit pas d'hypothèses) que le commentaire de Du Paty en 1904 tel que nous le connaissons actuellement est un faux post-1898. Vous y trouverez également les multiples preuves de l'existence de plus de 4 pièces dans ledit dossier dès 1896, c'est-à-dire avant ses "gonflements" ultérieurs, y compris les déclarations de Picquart, qui n'ont pas varié de 1898 à 1904 (en 1904, Mercier au contraire insistait pour s'en tenir à 4 pièces), et les raisons qui nous amènent à penser que ces pièces dites "accessoires", car non mentionnées dans ce commentaire, se trouvaient bien dans le dossier de 1894. Quant à l'insistance sur "ce canaille de D...", elle ne prouve nullement l'absence d'autres pièces; nous évoquons ces témoignages, déjà donnés à Rennes (ainsi que l'affaire "Georgette"). A noter que celui de Freystätter, seul dreyfusard parmi ces ex-juges, est assez nettement en contradiction avec la liste de 4 pièces utilisée aujourd'hui!
Cordialement,
PG

PS mon courriel est donné dans la Revue, n'hésitez pas à me contacter directement, répondre aux questions fait partie de mon travail!

Difficile de se faire une idée, la revue en question est introuvable.
Est-elle seulement sortie, et sinon quand ?

@+

Je tiens à signaler que je ne touche pas de pourcentage! Ce n'est pas le genre de revue que l'on peut se procurer facilement en kiosque, mais l'article est disponible à l'adresse suivante:

http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2008-1-p...

PG