Enquête sur la crise financière des Caisses d’épargne 6. Une privatisation au coeur de l'économie sociale

02/02/2008Par

Au terme de cette enquête sur la Caisse nationale des caisses d'épargne (CNCE), que nous avons chroniquée toute cette semaine, on devine l'épilogue qui se dessine: l'Ecureuil est au plus mal. L’affaire ne fait guère de bruit, mais elle semble engagée : le vieux système français que cette entreprise mutualiste (en association avec La Poste) était chargée de défendre – la protection de l’épargne populaire, garantissant par ailleurs le financement du logement social – bat de l’aile. 
 
Les mesures auxquelles le groupe travaille confidentiellement pour surmonter ses graves difficultés financières risquent de hâter encore le cours des événements. L’évolution qui se dessine est double. Comme la CNCE est financièrement dans une passe difficile, des mesures sont en préparation, qui vont modifier assez fortement le périmètre du groupe ou faire entrer au capital des investisseurs, dont le premier souci ne sera pas la défense de missions d’intérêt général. En clair, l'identité même du groupe est en jeu. Dans le même temps, les règles du jeu du Livret A sont en passe d’être profondément modifiées. Somme toute, c'est une privatisation rampante, amorcée depuis plusieurs années, qui est en train d'aboutir. Une privatisation hautement sensible, au coeur de l'économie sociale.

A -Les pistes de restructuration financière

Dans le souci de respecter l’injonction de la Commission bancaire, une première solution se dessine, consistant à siphonner les caisses régionales. Concrètement, la CNCE devrait procéder, sans doute en février, à une augmentation de capital d’environ 3 milliards d’euros, à laquelle les caisses régionales seront sommées de participer. L’opération pourrait s’effectuer pour moitié sous la forme d’actions préférentielles et pour moitié sous la forme de titres hybrides. Mais au-delà, la CNCE étudie des mesures beaucoup plus radicales, même si elle nie, dans un communiqué, avoir besoin "de fonds propres externes".

  - La piste du fond souverain du Koweit.
Charles Milhaud a secrètement chargé la banque Merrill Lynch de trouver des nouveaux investisseurs pour entrer au capital de la CNCE. Cette banque est donc en contact avec le fond d’Etat du Koweit, dénommé Kuwait Investment Authority (KIA), celui-là même qui a rétrocédé à un prix très élevé à la CNCE une partie de sa participation dans la Banque tuniso-koweitienne (BTK), comme nous l'avons précédemment raconté. On devine pourquoi la direction de la CNCE a choisi la banque Merrill Lynch: celle-ci connaît bien KIA qui est en passe d'entrer... au sein de son propre capital, après le fond de Singapour. 

Le patron des Caisses d’épargne n’ignore pas les polémiques que pourrait générer l’entrée d’un tel fond dans une entreprise aussi chargée de symbole que l’Ecureuil. Chasser la Caisse des dépôts et consignations (CDC) du capital de la CNCE, en 2006, pour y faire entrer deux ans plus tard un fond souverain d'un pays du Golfe, dont l'opacité est l'un des signes distinctifs: l'embardée pourrait faire fortement polémique. Etudié depuis plusieurs mois comme l'a révélé Le Monde (23 décembre 2007), et évoqué à plusieurs reprises par le président du directoire devant des présidents de caisses régionales, ce projet pourrait donc finalement être écarté.

  - La piste de la Caisse des dépôts du Québec. 
Elle peut sembler mystérieuse car, à plusieurs étapes de l’histoire récente de la CNCE, on croise cet établissement qui n’a, en fait, des caractéristiques d’une caisse des dépôts que le nom. Lors de la création de Natixis, la Caisse des dépôts du Québec passe en effet des ordres pour souscrire des actions, à une hauteur certes modeste : 5 millions d’euros. Puis, comme on l’a vu, elle s’intéresse à CIFG (le "rehausseur de crédit" américain très exposé à la crise des subprimes, dont la CNCE contrôle la moitié du capital), avant de jeter le gant. Et pour finir, la voilà qui est secrètement démarchée pour renflouer la CNCE. De mystère, pourtant, il n’y en a pas, car cette Caisse des dépôts du Québec a, en France, un banquier très connu qui travaille pour elle, un dénommé… Jean-Marie Messier, le patron déchu de Vivendi Universal. Lequel Jean-Marie Messier, comme on l'a vu également, remplit par ailleurs des missions de conseil pour Charles Milhaud.

Très proche de Nicolas Sarkozy, qu’il a employé dans le passé comme avocat, « J2M » est l’un des hommes d’affaires que l’on voit actuellement le plus souvent à l’Elysée. Pourtant, cette solution d’une entrée de la Caisse des dépôts du Québec dans le capital de la CNCE pourrait aussi susciter d’interminables controverses, car elle soulignerait l’incohérence de la stratégie de l’Ecureuil.Là encore, pourquoi avoir chassé la CDC française du capital de la CNCE si c’est pour appeler au secours, deux ans plus tard, la CDC du Québec ?

  - La piste d’AXA.
Depuis de longues semaines, la direction de la CNCE étudie la possibilité de céder à AXA tout ou partie de sa participation de 16% dans la compagnie d’assurance CNP, filiale de la CDC. Politiquement, Charles Milhaud a en effet compris que l’Elysée verrait le projet d’un très bon œil : le patron du groupe, Henri de Castries, est en effet un proche de Nicolas Sarkozy, pour lequel il s’est beaucoup investi pendant la campagne présidentielle, notamment en élaborant une partie de ses propositions économiques. Des "fuites" ont été organisées dans la presse ces dernières semaines pour préparer les esprits à ce projet.

  Mais ce dernier bute sur d’innombrables difficultés. D’abord, au sein de l’Ecureuil, cette cession serait un traumatisme car l’alliance CNCE-CNP a toujours été présentée comme stratégique. Plus que cela : l’Ecureuil a toujours caressé le rêve de croquer un jour la CNP. Et puis, le projet de cession de l'assureur public qu'est la CNP au géant de l'assurance privée qu'est AXA (créé par l'un des "parrains" du capitalisme parisien, Claude Bébéar) a buté sur une maladresse. Ses concepteurs ont oublié que la loi de privatisation, en son titre II, faisait obligation, dans le cas de la CNP, de passer par un éventuel appel d’offres. Un appel d’offres auquel pourrait répondre AXA mais aussi ses concurrents.

  - La piste d’une fusion des organes centraux des Banques populaires et de la CNCE.
Dans le prolongement de la création de Natixis, elle s’inscrirait dans la logique des choix antérieurs. Mais elle n’a évidemment pas la préférence de Charles Milhaud. Cette quasi-disparition des Caisses d’épargne serait un spectaculaire constat d'échec. De la même façon, certains, au sein de la CNCE, défendent l’idée d’une vente du Crédit foncier. Mais là encore, quelques mois après le rachat de Nexity, la volte-face serait difficile à expliquer.

B- Les pistes de réforme du Livret A

Depuis plusieurs années, la banque de détail n’est plus la priorité de la direction de la CNCE. Et les turbulences que traverse l’institution constituent un climat favorable pour les grandes banques privées, qui depuis des années s’insurgent contre le système de rémunération de l’épargne populaire, dont l’Ecureuil avait la charge. Or, - et ce n’est évidemment pas une coïncidence - deux fortes remises en cause du système viennent d’être annoncées par Nicolas Sarkozy et François Fillon.

Le premier ministre a ainsi annoncé que la hausse du taux de rémunération du Livret A, à compter du 1er février, sera non pas de 4%, comme la formule automatique de fixation le prévoyait, mais de seulement 3,5%. En clair, la règle du jeu, qui indexait le taux de rémunération du livret sur celle de l’inflation et les taux d’intérêts à court terme, et qui avait toujours été respectée quand elle conduisait à une baisse du taux de rémunération du Livret A, est soudainement remise en cause quand elle conduit à la hausse. Dans les turbulences qu’il traverse, l’Ecureuil, qui co-gère le système, n’a évidemment pas soufflé mot.

De son côté, le chef de l’Etat a accédé à une très vieille demande du lobby des banques privées. Reprenant à son compte une proposition de Michel Camdessus, l’ancien gouverneur de la Banque de France, Nicolas Sarkozy s’est dit d’accord, le 11 décembre 2007, avec la remise en cause du monopole de la distribution du Livret A confié aux Caisses d’épargne et à La Poste. Tout juste a-t-il posé une condition : « L’élargissement de la distribution ne doit pas mettre en danger la collecte ». En bref, la « banalisation » du livret A, exigée de longue date par les banques en prélude à sa possible suppression, est sans doute en route.

Ces deux annonces ont suscité un très vif émoi dans le monde syndical et associatif. A l'inititiative de l'intersyndicale du secteur semi-public économique et financier (regroupant une bonne partie des syndicats des Caisses d'épargne, de la Caisse des dépôts, de la Banque de France, de La Poste, etc.) et de nombreuses associations (Droit au logement, AC!, Attac, etc.), une campagne nationale intitulée "Pas touche au livret", va être lancée, dont l'une des tribunes sera un site web, ouvert dans les prochains jours. Cette campagne a été présentée jeudi 31 janvier, à l'occasion d'une conférence de presse dont la vidéo ci-dessous présente quelques extraits. 



Conférence de presse - Livret A
envoyé par Mediapart

Nous avons par ailleurs interrogé sur cette question Michel Sapin, ancien ministre des finances et secrétaire national aux questions économiques du Parti socialiste. Lui aussi, dans la vidéo que l'on verra ci-dessous, dit son inquiétude face aux projets du gouvernement.

Mediapart.fr - Entretien avec Michel Sapin
envoyé par Mediapart
C’est l’épilogue, en tout cas, qui se dessine. Un groupe en situation financière grave à la recherche d’un plan de sauvetage ; un système de rémunération de l’épargne populaire fortement mis en cause : c’est tout le système de l’épargne réglementée - auquel est adossé un autre système, celui du financement du logement social - qui est en train de s’effondrer. Un système que depuis des décennies l’Ecureuil incarnait.
 
Lundi. En pleine crise financière, les Caisses d’épargne préparent la suppression de 4000 emplois.
            Le viol du pacte d’actionnaires passé avec la Caisse des dépôts.
Mardi. Au cœur de la crise des subprimes.
Mercredi. Une cascade de coûteuses opérations.
Jeudi. Opération à hauts risques en faveur de Lagardère.
Vendredi. Les agents secrets de Charles Milhaud
Samedi. Une privatisation au coeur de l'économie sociale

Tout au long de cette enquête trés documentée au niveau des "coups tordus" et manoeuvres secrètes ou machavéliques il est néanmoins trés troublant de n'avoir jamais évoqué la fédération des caisses d'épargne qui, si on en croit la loi , a des pouvoirs certains. De plus les dirigeants de caisses y siègent de même qu'ils siègent à la "cnce". Les clients des caisses y sont représentés démocratiquement. Alors que faut il penser de cet oubli, volontaire ou non ? ne manque t il pas un élément dans l'analyse qui vient d'etre faite qui du coup à mon sens décribilise quel que peu celle-ci? Il n'est pas possible de s'exonérer d'intégrer cet échelon important en déclarant qu'il est partie négligeable du débat car elle a été créée pour équilibrer le système et représenter les sociétaires. Désolé mais il manque quelque chose d'essentiel à tout cela.

Votre remarque est fondée. Toutefois, il faut savoir que les Sociétés Locales d'Epargne, représentant les clients, sont de simples chambres d'enregistrement.
Par ailleurs, la fédération des CE, détient un rôle tout symbolique.

A la date du 3 février, si vous faites une recherche dans la rubrique "Actualités" de Google en tapant la formule suivante "Pas touche au Livret A", vous constaterez que seul le site Mediapart et le site Boursorama (reprise de la dépêche de l'Agence France Presse) font état de la conférence de presse du 31 janvier organisée par le collectif "Pas touche au Livret A" (voir article ci-dessus et première vidéo).

Cela en dit long sur la capacité de la quasi-totalité des médias à ignorer délibérément un certain nombre de mobilisations qui se heurtent à des intérêts puissants ...

Pour celles et ceux que cela intéresse, une action pour la défense du Livret A est prévue le 6 février à 11 h 00 à la grande Poste du Louvre à Paris (face au siège parisien des Caisses d'épargne).

C'est à cette occasion que va réellement démarrer la campagne nationale
d'interpellation de l'opinion publique et des élus voulue et organisée par
le collectif "Pas touche au Livret A" .

Ce collectif rassemble déjà plusieurs dizaines d'organisations (syndicales, association de locataires, associations pour le droit au logement, pour la défense des droits fondamentaux, de lutte contre l'exclusion, pour la défense des services publics etc ...)

Finalement les 5 milliards de la SG arrivent peut être bien pour remettre en place les idées sur le devenir des réseaux mutuels :

- il y a assez de banques généralistes pour traiter des besoins correspondants de l'économie et pas grand chose à gagner à y adjoindre quelques nouveaux intervenants non préparés et sans légitimité, beaucoup à perdre par contre par leurs dirigeants de génie...
- les réseaux mutuels ont la légitimité dans leurs activités traditionnelles qui maintiennent du tissu social avec d'autres, dont les services publics, et il est plus honorable d'aller au bout de cette logique par la qualité et le prix du service que de choisir l'aventure koweitienne ou canadienne.

Bonne occasion pour notre président moins populaire de faire un peu de populisme utile.

pourquoi effectivement ne rien dire de la gouvernance qui reste le véritable echec de la loi de 1999.

Si le président du Directoire de la CNCE est "validé" par Bercy, une fois en place son pouvoir est sans limite : fédération sans aucun levier, conseil de surveillance composé de président de CEP eux mêmes cooptés par la CNCE, seule la CDC avait un rôle d'aiguillon. (la fédération a un vrai rôle au Crédit Agricole et la BFBP aucun pouvoir dans les Banques Populaires, ces deux organes fédéraux ayant soumis depuis longtemps leur fonction de holding au règles des sociétés cotées: CASA et Natexis)

En autorisant la sortie du seul contrepouvoir la cdc, les autorités de tutelle francaises ont créé le dernier établissement bancaire de 20 Md€ de capitaux propres avec une gouvernance du 19 iéme sècle.

les décisions actuelles : diversification onéreuse et aléatoire, incapacité à tenir les engagements dans le business, népotisme, etc sont prises sans aucun procesuss de pilotage moderne : comité d'audit, comité statégique etc... sans regard des marchés financiers et seules les agences de notation et les commissaires aux comptes veillent. Le pire est à craindre.

le nouveau lyonnais est là. vive le contribuable & l'épargnant populaire

Vous avez évidemment raison sur les défauts de gouvernance, sur le système de cooptation en vase clos, sur le rôle de contre-pouvoir qu'avait la CDC - et qui n'existe donc plus...
A cet égard, la responsabilité de la puissance publique est grande compte tenu du pouvoir d'agrément du président du directoire de la CNCE dont dispose le ministre des finances.

...eh oui, chers Amis !!! Bien d'accord avec vous, "pas touche au Livret A".

Vous oubliez simplement, dans ce réveil tardif, que la règlementation Européenne ...oblige la France à verser le Livret A dans "la libre concurrence bancaire" ! Et que CETTE DECISION A ATE APPROUVEE ET SIGNEE PAR LE GOUVERNEMENT FRANCAIS !!! Il faut cesser d'accuser Bruxelles de tous les maux. La CEE ne fait qu'appliquer les décisions et orientations politiques des Gouvernements.

Il est donc essentiel que les Associations et politiques, soucieux de l'intéret général et du maintien (développement ?) des services publics, soient beaucoup plus vigilants sur les actions de notre Gouvernement à Bruxelles. En tirant les signaux d'allarme à temps !...

Le Livret A peut encore etre sauvé. C'est vital, socialement, pour la France. Il suffit d'instituer un "SERVICE D'INTERET GENERAL FINANCIER" pour le logement social et le financement des collectivités locales.
Bien entendu, une telle décision, très politique, irait à l'encontre de l'ultralibéralisme militant de la Droite française ...et de la droite de la Gauche ! On ne peut, à la fois, chérir ses obligés et se mettre réellement au service du peuple !...

Peut-on espérer une forte mobilisation populaire pour sauver le Livret A ? ...lorsque les Banques expliqueront à leurs clients que "c'est exactement la meme chose pour vous qu'à la Caisse d'Epargne ou à la Poste ...mais beaucoup plus pratique" ? Sauf à bien expliquer, pour rendre le client plus citoyen...

BANQUES SOLIDAIRES
Pour ceux qui souhaitent mettre leur argent dans un sytème solidaire, je signale :
Crédit Coopératif, et sa filiale la NEF, qui financent des opérations à travers le monde, et la Banque Populaire, la meilleure actuellement pour les crédits des particuliers sur l'amélioration de l'Habitat écologique.
Source : l'excellente revue mensuelle gratuite Bio-contact.
Une manière de ne pas rester totalement désarmé.

Si, pour l'essentiel, cette enquête est bien documentée, une erreur factuelle manifeste s'est toutefois glissée dans ce dernier (?) chapitre: si la banalisation du Livret A est aujourd'hui en débat, c'est essentiellement du fait de la volonté acharnée du Crédit Agricole qui a piloté une féroce bataille à Bruxelles, avec l'aide d'un des meilleurs cabinet d'avocats d'affaire de Paris, Veil Jourde. A l'issue d'une procédure entamée dès l'annonce de la création de la Banque Postale en 2005, le CA, rejoint par BNP Paribas et ING Direct, a obtenu de Nelly Kroes qu'elle exige de la France d'autoriser la distribution du Livret A par l'ensemble des banques de détail. C'est donc bien une décision de la Commission Européenne qui est le facteur déclencheur de la banalisation du cher Livret. Il n'est pas certain du tout que les autorités de concurrence française ni le gouvernement actuel aient souhaité se colleter avec ce projet hautement impopulaire et sans grand sens économique.

Ce que vous dites est exact mais n'infirme pas mon constat: si prompt à dénoncer la Commission européenne et la Banque centrale européenne, Nicolas Sarkozy aurait pu, là encore, dénoncer cette injonction de Bruxelles, sur pression du lobby des grandes banques françaises. Or, non seulement il ne l'a pas fait, mais il a précipité la décision. Ce qui n'est en vérité guère surprenant. De longue date, Nicolas Sarkozy défend les positions du rapport Camdessus, à l'origine de cette réforme. Et il a une grande proximité avec Michel Pébereau, le président de BNP Paribas.

lanber

la présentation de cette affaire CNCE me semble être faite sous l'angle opposition droite-gauche.
Est-ce une illusion?

Pourquoi n'a-t-on pas l'accés à la page du lundi concernant la préparation de 4000 suppressions d'emploi au sein des Caisses d'Epargne ?