Sarkozy et le verrou de la non rétroactivité des lois

27/02/2008Par

La non rétroactivité des lois est posée par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (reprise en préambule dans le Constitution de 1958) : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Le Président Sarkozy, après son élection, s’est heurté, en prenant ostensiblement le peuple à témoin, à ce principe de non rétroactivité. C’était à propos d’un article de son « paquet fiscal » voté en août dernier, qui prévoyait que les emprunts contractés — même avant son élection — pour l’achat d’une résidence principale donneraient droit à une réduction d’impôt. Non, édicta le Conseil constitutionnel, une telle mesure ne saurait concerner les emprunts contractés avant le 6 mai 2007. L’avantage échappait ainsi à bien des Français, qui se trouvèrent alors fâchés avec la non rétroactivité.

Une seconde façon d’instiller un espoir en la rétroactivité est intervenue en décembre, lors du débat sur le rachat possible de jours de RTT. Le Medef, par la voix de sa présidente, Laurence Parisot, intervint dans le débat : « Ne cherchons pas à inventer un mécanisme rétroactif, incompréhensible et quasi impossible à mettre en place pour l'année qui s'achève. » Les Français découvraient à nouveau quel manque à gagner représente le strict principe de la non rétroactivité...

Aujourd’hui, avec le texte sur la rétention de sûreté défendu par Rachida Dati, Nicolas Sarkozy cherche à engranger les bénéfices de cette inoculation, dans l’esprit public, qu’une loi peut produire des effets bénéfiques remontant à une date qui se situe avant celle de son émission. Le Conseil constitutionnel réitère son refus et le Président tente de le contourner en saisissant pour avis Vincent Lamanda, le premier président de la Cour de cassation, qui ne se plie pas à la manoeuvre... Cependant Nicolas Sarkozy joue de la défiance créée vis à vis de la non rétroactivité, quand il déclare au Parisien : « J’aimerais qu’on ne mette pas ce principe de la rétroactivité au service des criminels les plus dangereux. »

Notons enfin et par ailleurs que la rétroactivité, en philosophie, désigne l’effet déformant que produit, pour l’examen des faits passés, la connaissance actuelle de leur devenir. Exemple : cette promesse électorale du candidat Sarkozy (chapitre 2 intitulé « Une démocratie irréprochable ») : « Je créerai une procédure d’habeas corpus, qui garantira que personne n’est envoyé ni maintenu en prison sans qu’une juridiction collégiale statuant en audience publique ne se soit prononcée. »

Excellent, vraiment excellent point de vue que celui que vous choisissez d'éclairer, la rétroactivité.

Car comment ne pas sentir, confusément mais avec un certain malaise, que cet exemple (parmi d'autres) s'inscrit dans une volonté générale de s'affranchir des bases, des fondements même de la République?

C'est tout juste si Nicolas Sarkozy s'en cache
(lui qui dit qu'il ne ment jamais, il sait en tout cas mentir par omission aussi bien que n'importe-qui...)
en tout cas je peux vous dire que parmi son électorat, pour en connaître personnellement à mon grand dam, c'est toute une certaine catégorie de citoyens qui sont là "caressés dans le sens du poil", tous ceux qui, dans leur aveuglement, voient en un Fidel Castro ou un Francisco Franco, par exemple, des sauveurs incompris de la grandeur de leurs pays.

Plutôt que de développer des projets de loi qui s'attaquent aux libertés fondamentales des individus et aux racines de la société démocratique et républicaine, il serait sans doute plus approprié de pousser sur ce terrain-là. Mais c'est compliqué. Et ca coûte de l'argent.

Enfin, c'est ce que je dis sur mon blog : http://tinyurl.com/2av3n2

Et il y a aussi le fait qu'il fait reposer tout ça sur le principe de précaution et sur la notion de droit des victimes. En gros il fait jouer l'écologie et la lutte contre les génocides pour déséquilbrer les libertés fondamentales.

Vous citez des propos tenus par Sakozy au Parisien, je rajouterais aussi cette phrase rapportée par le Canard enchainé d'aujourd'hui à propos de la rétention de sureté: "Les français sont pour une sévérité sans appel face au criminels dangereux et n'ont rien à foutre de la non-rétroactivité de la loi", en l'occurence de la loi pénale.
Ces propos sont scandaleux dans la bouche d'un chef d'Etat, qui semble avoir oublié sa fonction, et les principes fondamentaux de notre Droit qui pourtant lui ont été enseignés durant sa formation pour devenir avocat...
Le principe de non rétroactivité de la loi pénale est consacré par l'article 112-1 du Code pénal qui dispose que "sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction au jour ou ils ont été commis". Cela signifie qu'une personne ne peut être ni condamnée, ni poursuivie sur le fondement d'une loi nouvelle pour des faits qu'elle aurait commis avant la mise en vigeur de cette loi. Cette règle vaut autant pour le cas d'une nouvelle incrimination, que dans celui d'une nouvelle sanction.
Portalis affirmait que"Le législateur ne doit pas frapper sans avertir: s'il en était autrement, la loi, contre son objet essentiel, ne se proposerait donc pas de rentre les hommes meilleurs, mais seulement de les rendre plus malheureux"... Sarkozy devrait relire ses classiques (sans parler de Rachida Dati qui semble même ne les avoir jamais lus).
Ce principe connait des exceptions comme le cas de la rétroactivité in mitius qui a valeur constitutionnelle. En réalité lorsqu'on parle de non rétroactivité, on parle de la loi plus sévère. Cela s'explique par l'esprit libéral qui caractérise notre système pénal, qui protège de jure le prévenu.
Il semblerait qu'avec les reformes de Dati (comme les peines planchers ); et les propos tenus par Sarkozy sur l'idée de juger les fous (pourtant pénalement irresponsables) au pretexte d'un prétendu devoir de deuil des familles victimes (devoir de deuil purement hypothétique...et dans tous les cas, n'ayant pas sa place dans un prétoire mais dans un sofa chez un psychologue), ou les propos s'agissant des "prédateurs"... notre système risque (ou est entrain) de succomber dans ce mouvement de victimisation du droit pénal auquel nous assistons depuis quelques années( cf. les nombreux ouvrages de l'avocat Thierry Lévy à ce sujet), au détriment de la nécessaire protection de notre Etat de Droit, protection qui passe par la garantie des droits des accusés, des condamnés, et le respect des pincipes fondamentaux de notre République.

Ce sujet est important, délicat à traiter, il serait enrichissant d'avoir à Mediapart un débat sur ce thème avec des personnalités du droit comme Thierry Lévy ou Badinter...afin de démontrer que la question n'est pas de savoir si l'on est du camp des "victimes" ou des "assassins"; mais savoir si l'on est pour ou contre la défense de notre Etat de Droit...

Ce sujet pourrait aussi amener à une reflexion sur la conception lâche retenu par la CESDH concernant la non rétroactivité, avec l'article 7 , article qui trouve son origine dans la volonté de juger les criminels nazis pour crime de guerre.
L'alinéa 1er précise le concept de légalité, mais son alinéa 2 vient le contredire de manière flou en admettant l'idée de l'existence d'un droit naturel des "nations civilisées". Cette nuance est importante, et dangereuse. D'un point de vue politique cet article de la CEDH provient d'une très bonne intention, celle de juger les criminels nazis. D'un point de vue juridique cet article paraît établir un concept dangereux et contraire au principe exposé dans le 1.
Qu'est-ce qu'une nation civilisée? Pourquoi son Droit devrait-il être plus légitime qu'une autre? Comment interpréter cet article? Quel alinéa faire prévaloir?
Il aurait été préférable que le texte précise "contre les atteintes totalitaires" etc…

Pour finir après cette approche superficielle du sujet, je citerai le doyen Hauriou, qui disait que "la fin ne justifie pas les moyens (...) et le but ne crée pas nécessairement le droit".

kairos

Votre mise au point est très éclairante... Que pensez-vous de la notion de "dangerosité"? N'est-elle pas promise à une bel avenir? Ainsi, en vertu de ce principe de dangerosité, ne faut-il pas placer sous mesure de sureté un chauffard alcoolique tant qu'il n'est pas désintoxiqué? Et je suppose que les exemples peuvent se multiplier...

Olivier, 38 ans, vivant à Francfort

Toujours cette rhétorique Sarkozienne qui commence à me faire vomir :
* "Vous ne pensez pas, Mme Chabot, que c'est ma responsabilité de Chef de l'Etat (ça marchait aussi avec Ministre de l'Intérieur) que d'empêcher les criminels de menacer les vieilles dames ?"
Autre version :
* "Comment vous allez expliquer, Mme Chabot, à la maman dont la fille a été violée et tuée, que le criminel qui a tué sa fille a été relaché à cause de la non-retroactivité des lois ?"
Au passage, tous les beaux penseurs qui essaient de justifier des lois par un certain nombre de principes de base sont ridiculisés. Comment opposer des principes, des idéaux, des réflexions, des logiques au bons sens du café du commerce. Ce mec a vraiment tout compris: Ce mélange de populisme, de médias hyper-symplificateurs, de mise en avant des victimes, d'échec et de corruption des élites, de "vous ne voulez quand même pas revenir au communisme", est une vraie BOMBE dont la mèche est allumée. La seule erreur que Sarko a commise ces 6 derniers mois (mais à mon avis il est déjà en train de rectifier le tir) est qu'il s'est trop éloigné du peuple en pensant que le thème du pouvoir d'achat était derrière lui, et s'est rapproché de ces élites corrompues (voyages, Bolloré, mariage en 3 mois...)

Il est étrange que cette rhétorique du pouvoir ressemble parfois mot pour mot à celle du chef des gangsters dans M le maudit, de Fritz Lang. Déjà en 1932

kairos

Pourquoi cette référence à la déclaration des droits de l'homme de 1789? N'est-ce pas l'article 2 du code civil qui est de principe: "La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif"?

Je citais la Déclaration de 1789 pour établir une généalogie : montrer ainsi la légitimité dans la longue durée d'un principe autour duquel tourne fort bien Hugo, d'un point de vue juridique, dans son commentaire très informé.
Un autre aspect, à la fois politique et psychologique, découle de cet acharnement du Président contre la notion de non rétroactivité : Nicolas Sarkozy ne semble pas admettre ce topos médiéval (cf. Bernard de Chartres : http://www.bief.org/?fuseaction=C.Titre&Tid=23629) qui voulait que nous fussions "des nains juchés sur les épaules de géants". La non rétroactivité, c'est admettre qu'il y eut plus haut et plus ancien que soi, c'est s'inscrire dans une Histoire au lieu de croire que tout procède de son tout neuf pouvoir, c'est gouverner au lieu de chambarder...
AP
Post Scriptum : attention, nous nous situons d'un point de vue pénal et non civil.

kairos

Avez-vous pris connaissance, dans le Nouvel Observateur, des propos de Pierre Mazaud, éminent juriste s'il en est, où celui-ci insiste sur la rétention de sureté comme mauvais principe? La rétroactivité n'étant pas, à ses yeux, le plus scandaleux, si j'ai bien compris... Qu'en pensez-vous?

Voici le lien de l'entretien avec l'excellent alpiniste et juriste Pierre Mazeaud, auquel vous vous référez :

http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2260/dossier/a367626.html

kairos

Certes... mais votre avis?

Mon avis ? Cet entretien express, de type "trois questions à", nous éloigne du sujet de ce papier, qui consiste à jeter un coup de projecteur sur sur la notion de non rétroactivité, notion que balaie d'entrée de jeu Pierre Mazeaud pour regretter que cette loi sur la rétention, qu'il juge mauvaise et confuse, soit entrée dans notre droit au risque de le rendre bancal.
AP

Il est exact que M. MAZEAUD ne répond pas précisément au sujet de l'article sur lequel nous débattons, relatif à la Non rétroactivité de la loi Pénale, mais son point de vue est intéressant pour le reste

- Qu'on le veuille ou non, le principe de rétention est selon moi une double peine pour un même fait, ce qui est banni de notre droit pénal, et à ce titre le Conseil Constitutionnel aurait pu biffer d'un trait de plume cette Loi comme anticonstitutionnelle

- Au lieu de cela, le Conseil estime que la rétention n'est pas une peine, alors qu'est ce que de priver des gens de libertés après avoir purgé leur condamnation pénale?

- En disant que ce n'est pas une peine, tout en disant qu'il n'y a pas de rétroactivité, il y a comme un hiatus selon moi

Je ne suis pas sur qu'il faille "mélanger" les différents aspects de la retroactivité qui sont évoqués dans votre article.
Pour le paquet fiscal, au delà des questions (pourquoi ? pour qui ? combien ? comment ? avec quel pognon ? ), se posait aussi la question pour les interêts d'emprunts à partir de quand ? La date choisie (l'election de mari de CB) est une côte mal taillée. La rétroactivité aurait pu se justifier en prenant en compte l'exercice fiscal.
Pour le rachat des RTT, au delà des questions (les mêmes), l'enjeu et encore moindre. Les effets de retroactivité sont souvent mis en oeuvre dans les accords collectifs patronat/Syndicats. On peut discuter de l'illusion de la mesure, plutôt que de sa retroctivité.
Donc les enjeux ne sont pas les mêmes entre ces lois et entre l'introduction de la notion de "dangerosité" dans la loi sur la détention de sureté et de la procédure engagée par l'ex-mari de Cecilia pour la faire passer en force et avec retroactivité.
Le second danger serait de laisser passer la notion de "dangerosité", ce serait ouvrir des portes et des approximations juridiques plus qu'inquiétantes.

Rétroactivité est l’ouverture flagrante à une justice à deux vitesses, vos élus s’échappent par la prescription, les riches peuvent payer X avocats pour faire exploser la prescription… mais voilà que le commun des mortels doit payer pour porter plainte alors qu’il s’est fait agresser, tabassé… et c’est le seul qui sera jugé rétroactivement !?

C’est vrai, comme vous le dites si bien, je suis devenu un homme dangereux car je fume ; tiens, je bois aussi du pastis et du bordeaux, je roule en voiture, je mange du lard et des fromages non pasteurisé, je me permets même de monter sur une échelle (accident de ménage le plus coûteux pour l’assureur accident) et le pire de toutes mes dangerosités… je ne regarde pas TF1 !!!

Ce Président de nature tel qu'il est essaiera de tout dévier,même les droits de l'homme,même des lois proscrites,car il pense avoir tout en main pour lui,mais il ne faut pas qu'il rêve de trop!

Quand notre président revient de façon répétée sur le princ ipe de non-rétroactivité alors qu'il connait ce principe par sa formation et, de plus, sur des sujets les plus consensuels possibles auprès de la population française, je ne peux pas m'imaginer que c'est par naïveté ou par impulsivité mais qu'il y a une raison profonde dissimulée. Je laisse chacun juge de la raison car ça reléve de l'interprétation des faits que chacun peut voir de maniére différente même si j'ai une interprétation personnelle très négative de ce manquement à ses devoirs du garant des institutions républicaines.