Toile et voile, araignée et attentats, retour sur une énigmatique «veuve noire»

26/01/2008Par
Auteur: 
Erich Inciyan

« La veuve noire d’Al Qaida : la France sera bientôt punie ». Ce titre barrait la Une du Parisien, lundi 21 janvier, sous une têtière « Terrorisme ». La photo d’une femme entièrement voilée de noir complétait l’ensemble. Telle quelle, l’information a fait grand bruit et a été reprise très largement dans la presse en ligne. Toile et voile, araignée et attentats… Allons  voir de plus près ce qu’il en est. 

La « veuve noire d’Al Qaida», d’abord. Le surnom désigne Fatiha Mejjati, une Marocaine de quarante-sept ans placée en résidence surveillée dans son pays. Veuve, elle l’est incontestablement. Son défunt mari, Abdelkrim, était l’un des Maghrébins les plus importants de l’organisation terroriste, au début des années 2000. Passant pour avoir organisé les sanglants attentats du 11 mars 2004 dans les trains de Madrid, il a été tué en Arabie saoudite l’année suivante. L’auteur de l’entretien avec Fatiha Mejjati, Jean-Marc Ducos, précise qu’il l’a rencontrée en juin, puis l’a contactée à diverses reprises, dont une fois la veille de la publication de l’article

Joint à Casablanca, le journaliste Taïb Chadi connaît bien Fatiha Mejjati. « La presse marocaine ne la désigne pas sous l’appellation de  veuve noire », commente ce rédacteur du Journal Hebdomadaire. Mais après tout, l’expression est jolie, même si elle évoque une araignée fort dangereuse. Le confrère marocain, qui la rencontre régulièrement et veut lui consacrer un livre, est plus réservé sur ses liens avec Al-Qaida et ses sympathisants salafistes marocains. « Chacun sait qu’elle est surveillée en permanence, même si elle est libre de ses mouvements. Cela m’étonnerait qu’elle puisse avoir le moindre contact avec des terroristes qui l’auraient mise au parfum d’un projet d’attentat. Elle n’a aucune information précise ».   

Fatiha Meijati abonde elle-même dans ce sens. Une équipe de France 24 lui a rendu visite dans son appartement de Casablanca, au lendemain de la Une du Parisien. Dans cette vidéo, la veuve relativise grandement l’entretien publié et assure notamment qu’elle n’a « pas déclaré que la France va être bientôt visée ». Avant d’ajouter : « Les autorités me surveillent sept jours sur sept. Je n’ai aucun lien, aucune information, aucun contact avec Al-Qaida ». Les services marocains ont-ils fait pression sur Fatiha Meijati pour qu’elle revienne sur son fracassant entretien au Parisien? C’est possible. D’autant que son fils aîné – incarcéré avec elle pendant des mois, en Arabie saoudite et au Maroc – vit à ses côtés et qu’il souffre de troubles psychologiques graves. Mais de là à qualifier successivement la « veuve noire » de « pasionaria d’Al-Qaida » et de « porte-drapeau de l’organisation terroriste »… 

« La parole de cette femme ne signifie absolument rien pour Al-Qaida. Elle ne parle que pour elle-même », considère Jean-Pierre Filiu, qui a écrit dernièrement « Les Frontières du Jihad » (Fayard, 2006). Et, relisant le titre du quotidien français, le professeur associé à Sciences-Po Paris relève : « Jouer avec des symboles pareils est un peu dangereux. Il y a toujours des risques d’attentats venant soit de l’organisation, soit de groupes auto-allumés qui s’excitent avant de passer à l’acte ». Le journaliste Taïb Chadi va dans le même sens : « La ferveur islamiste de Fatiha Meijati est très forte. Son discours ne change pas depuis des mois que je la fréquente. Elle est très ancrée dans ses convictions et se dit prête à tout pour lutter contre l’Axe du Mal. Et ce type de discours est répandu dans les milieux salafistes marocains »

Début janvier, déjà, des menaces visant la France avaient été diffusées sur un site Internet réputé proche d’Al-Qaida. Elles aussi avaient été largement reprises dans la presse. En langue arabe, des personnalités, maire de Paris compris, étaient visées, avec des photographies et des renseignements très sommaires sur des monuments comme l’Arc de Triomphe, présenté comme un « lieu historique ». Le site concerné, El-Ekhlas (le Salut, au sens de la Délivrance) est domicilié en Floride et ouvre un forum de discussions, le plus souvent en langue arabe. « Quand on lit leurs propos, les participants à ce forum ont visiblement utilisé Wikipedia en version arabe et témoignent d’une méconnaissance telle qu’ils ne sont sûrement jamais allés à Paris », relativise Jean-Pierre Filiu. 

Pour autant, ce genre de propos a l’intérêt de refléter un état d’esprit en vigueur dans les milieux islamistes radicaux. Car une sorte de « Jihad médiatique » planétaire a été lancé par Al-Qaida. L’organisation d’Oussama Ben Laden a produit et diffusé des centaines de documentaires multilingues. Sur Internet, on trouve des myriades de sites de forums, de débats ou de recrutement, ainsi que des  manuels terroristes, des films de faits d’armes en Afghanistan ou en Irak. « Al Qaida investit Internet aujourd’hui pour compenser sa faiblesse objective sur le terrain militant », analyse Jean-Pierre Filiu, qui suit de près la question.  Le chercheur a recensé pas moins de 4.500 sites jihadistes qui, « veuve noire » ou pas,  participent directement à cette propagande. 

merci pour la qualité de cet article. Il préfigure à mon sens un journal de haute qualité . Bon courage pour la suite

Cet article mesuré, qui va à contre sens d'une presse qui recherche le sensationnel à tout prix, est bien agréable à lire.
.

Merci pour cet article éclairant sur la "constellation" Al Qaida.

Je vous invite donc à regarder cette video "pas vue à la tv " et révélatrice du lien entre le pouvoir et les médias :

http://video.google.fr/videoplay?docid=-6305684796532777868

ou

Le silence assourdissant des médias sur ce qui nous attend dans les dix ans à venir.

A sabine Krauss,
Merci, c'est passionnant, et terrifiant.

Bonjour,

Si la "Veuve Noire" n'a que peu ou pas de liens avec Al Quaïda (qui au passage, est un ennemi "inventé et matérialisé" pour justifier de la querre contre le terroriste), alors pourquoi le Parisien a-t-il accordé tant d'importance à une pseudo-mitomane ?

N'est-on pas en train de préparer psychologiquement les français à des attentats dont les services de renseignement savent peut-être qu'ils arriveront dans ces 5 prochaines années ? Hypothèse tout à fait réaliste notamment à cause de la soumission de la politique étrangère française, traditionnellement "indépendante", à la politique hégémonique et meurtrière du pouvoir américain.

Sabine Kraus, merci pour ce lien ô combien intéressant mais néanmoins effrayant par rapport au fait que nos politiques ne visent en rien à assurer une transition "la moins douloureuse possible" du pétrole vers une énergie alternative permettant d'assurer un développement acceptable de nos sociétés.

Abdelkader