Israël au Salon du livre : le Palestinien Elias Sanbar «ne comprend pas» l'appel au boycott
Le 28e Salon du livre, inauguré à Paris ce jeudi 13 mars, s'ouvre sur fond de polémiques. Israël est invité d'honneur avec un choix limité à de la fiction écrite en hébreu et traduite en français. Ce critère fortement contesté a provoqué des appels au boycott diversements suivis et commentés.
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« Ce que vous m’avez dit sonnait tellement hébreu à mes oreilles… » Ainsi le Président d’Israël, Shimon Peres, avant de se lancer dans un hymne langoureux et intarissable à Paris, répondit-il, le 11 mars, à l’Hôtel de Ville, au discours du maire de la capitale, Bertrand Delanoë. Celui-ci avait notamment évoqué l’épisode de la toute première conversation tenue en hébreu moderne par l’artisan de la renaissance de cette langue, Eliezer Ben Yehuda (1858-1922), à une terrasse de café du boulevard Montmartre. Bref, à l’occasion de la visite d’État du Président Prix Nobel de la paix, l’expression « c’est de l’hébreu », dans le sens d’incompréhensible, semblait ne plus avoir cours sur les rives de la Seine.
C’était bien entendu faire fi du souk, dans le sens de désordre, provoqué par le 28e Salon du livre inauguré aujourd’hui porte de Versailles — il s’y tient jusqu’au19 mars —, dont Israël est l’invité d’honneur. Un appel au boycottage a été lancé, diversement suivi ou commenté par les officiels et les auteurs, dans les pays arabes, en Israël et en France, où les chassés-croisés ne manquent pas de sel.
Ainsi le romancier égyptien Gamal Ghitani a-t-il estimé que les gesticulations de certains de ses confrères, montés au créneau à ce sujet, manifestent « une forme d’infantilisme politique qui aggrave notre manque de crédibilité ». Pour sa part, l’historien juif antisioniste Ilan Pappé, qui a quitté l’an dernier l’université de Haifa (« j’y étais boycotté ») pour celle britannique d’Exeter, se déclare « dans l’impossibilité morale de prendre part à un Salon dont le thème principal est le soixantième anniversaire de l’État d’Israël ». De son côté, l’Union juive française pour la paix, avec les éditions La Fabrique, seront présentes et organiseront des rencontres (avec Amira Hass, Michel Warchawski…), « non pour participer mais pour résister à cette opération de falsification : « honorer » un État qui, sous couvert de démocratie, discrimine ses citoyens non juifs, ignore toute obligation en tant que puissance occupante et pratique la punition collective à l’échelle de tout un peuple ».
Guet-apens
Tout cela ressemble à l’épisode biblique des trompettes qui firent s’écrouler les murailles de Jéricho — dont les archéologues ont démontré l’inexistence. Certaines des protestations qui fleurissent échafaudent en effet, pour les flétrir, des résolutions et des calculs en chaîne, qui tomberaient à pic pour servir les intérêts de Nicolas Sarkozy et d’Israël, à l’occasion d’un Salon guet-apens. La vérité s’avère plus… étourdie.
Israël — qui dispose chaque année, comme bien d’autres nations, d’un stand au Salon du livre — était candidat depuis longtemps au statut d’invité d’honneur. Le SNE (Syndicat national de l’édition), qui désigne l’impétrant, porta finalement son choix, l’an dernier, avant l’élection de Nicolas Sarkozy, sur ce pays demandeur, mais sans se rendre compte que 2008 marquerait le 60e anniversaire de sa création controversée ; à partir d’une ligne de cessez-le-feu résultant d’une guerre victorieuse pourtant déclenchée par ses voisins arabes.
Israël ainsi mis à l’honneur, il revint à trois partenaires d’établir la liste des écrivains qui seraient sollicités pour représenter leur pays tout en faisant vendre un grand nombre d’ouvrages (le Salon, par-delà son prestige, est une opération commerciale) : le CNL (Centre national du livre), le Bureau du livre français à Tel Aviv (mandaté par le Quai d’Orsay) et l’ambassade d’Israël à Paris. Face à la moisson riche et variée des publications de la puissance invitée, trois critères de sélection furent établis de concert : s’en tenir à de la fiction, écrite en hébreu et traduite en français, pour convier une quarantaine de représentants répondant à ces données.
Rien ne dit donc, contrairement aux arguments de certains partisans du boycottage, que c’est Israël qui imposa le critère de l’hébreu. Il pourrait plutôt s’agir de la marque d’un tropisme très français : ce centralisme linguistique propre à la patrie de Richelieu, des Jacobins, ou des instituteurs de la IIIe République souffletant les enfants bretonnants pour leur inculquer l’idiome national. Jointe par Mediapart, une responsable des questions culturelles à l’ambassade d’Israël à Paris met une délicatesse ostentatoire à ne pas confirmer cette piste, tout en nous glissant de ne point forcément l’exclure…
N’est-elle pas typiquement française aussi, la façon de se persuader que le choix de l’hébreu place dans un angle mort une partie follement vivace de la littérature israélienne ? Le traducteur Jean-Luc Allouche n’y va pas par quatre chemins : hors l’hébreu, guère de salut littéraire en Israël. Le pays cherche désespérément à intégrer la francophonie, mais la production dans la langue de Molière, sur place, s’avère « relativement minoritaire et folklorique, mis à part le poète Claude Vigée, né en 1921, cependant plus Français, voire Alsacien, qu’Israélien »…
Les auteurs anglophones ne jouent qu’un rôle infime. Les écrivains en langue arabe — même si 20 % de la population officiellement israélienne pratiquent cette langue — ne représentent que 2% des livres publiés chaque année. Jean-Luc Allouche cite feu Emile Habibi (1922-1996), mais la qualité d’une littérature israélienne en langue arabe n’est pas au rendez-vous. Demeure la question en suspens du russe, qui dispose d’une langue et d’une culture fabuleuses portées par une immigration massive, formant désormais un septième de la population israélienne.
Absurdité politique
Le critère de l’hébreu ne saurait donc passer pour une cause essentielle d’ostracisme. Comment alors penser la mise en quarantaine de l’État hébreu ? Pour Michel Valensi, fondateur des éditions de l’éclat, « c’est une démarche qui s’inscrit dans un simple refus de l’existence de l’État d’Israël, porté par le mouvement altermondialiste — pour le dire vite —, qui démontre ainsi sa méconnaissance de la situation et son absurdité politique. N’importe quel État sur la planète pourrait être déclaré banni d’une manifestation culturelle et je pourrais trouver quelques raisons d’évincer la France. Israël est un pays en guerre, qui n’échappe pas à la critique ; la population palestinienne souffre, notamment d’être prise en otage par ses prétendus dirigeants. Mais pourquoi les chantres du boycottage font-ils comme si le Salon du livre et ses invités était exclusivement représentatifs de la politique israélienne ? »
L’essayiste — et poète — Elias Sanbar, représentant auprès de l’Unesco du futur État palestinien, entend clarifier deux points : « Je ne comprends pas comment on peut boycotter des écrivains. Quand on aime ou pas une œuvre, on ne réclame pas son passeport à l’auteur. De plus, qu’est-ce qu’une littérature nationale ? L’expression peut à la rigueur désigner un héritage classique (la littérature française du XVIIe siècle) mais pas le domaine éclaté contemporain : je ne puis affirmer que j’aime, dans son ensemble impossible à définir, la littérature française actuelle. Cela dit, je suis au regret de constater que des auteurs israéliens ont accepté qu’un hommage fût rendu à leur œuvre dans un Salon du livre lié au 60e anniversaire de la naissance d’Israël et donc associé à l’expulsion du peuple palestinien. Je suis doublement peiné, dans la mesure où certains des auteurs qui se sont laissés enfermer dans cette propagande sont des militants de la paix, comme David Grossman, que je connais très bien.
« Pour moi, c’est la seule question qui vaille, ajoute Elias Sanbar. Ensuite, quand certains prônent, au nom d’une égalité illusoire entre auteurs, d’inviter des écrivains de langue arabe, cela me rappelle une anecdote politique révélatrice : lorsqu’Israël a construit, grâce à Alstom, une ligne de tramway composée de trente-huit stations qui achève l’encerclement de la Jérusalem arabe, il s’est trouvé des gens, en France, pour réclamer que les Palestiniens puissent bénéficier de ce moyen de transport ! Ne nous égarons pas dans les fausses questions et gardons l’essentiel à l’esprit. Tant que le conflit n’est pas réglé, célébrer les soixante ans d’Israël, c’est mettre le doigt sur la question inséparable : les soixante ans de la disparition palestinienne. Les auteurs invités ne sont pas les initiateurs mais ils sont responsables de n’avoir pas su distinguer la fusion ainsi établie entre leur œuvre et notre disparition. Ils obligent ceux qui leur parlaient à se retirer dans le silence. Du coup, sur ce fiasco annoncé, d’aucuns ouvrent à la fois la bouche et la porte à tous les délires. Je me souviens d’une lettre de Mahmoud Darwich à Yasser Arafat, voilà une quinzaine d’années. Il l’assurait de son engagement tout en l’exhortant : « Libérez mon poème de la conjoncture quotidienne ! » »
À lire également: l'hébreu moderne dans tous ses états
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Etonnant que cette article ne prenne pas en considèration la position de Benny Ziffer rédacteur en chef du supplément littéraire d’Haaretz, le principal quotidien israélien. Il est à l’origine de l’appel au boycott des écrivains israéliens au Salon du Livre de Paris qui ouvre ce vendredi.
Il le signale le 01/03/08] à "Nonfiction.fr" :
http://www.nonfiction.fr/article-781-polemique_sur_la_presence_disrael_a...
Merci pour ce lien, qui permet effectivement, à la fin d'un long entretien, d'apprendre que Benny Ziffer s'estime à l'origine de ce boycottage tout en regrettant son échec, puisque la plupart des écrivains conviés se sont déplacés à Paris. Lui-même est du voyage, mais en tant que journaliste, pour couvrir à la fois l'événement et son blocus, précise-t-il en pouffant...
Je vous écris du Salon, où je viens d'assister au discours de très haute tenue littéraire de Shimon Peres, prononcé juste après que le décor de l'espace d'Israël eut manqué de peu de lui tomber sur le crâne, sous la poussée furieuse des opérateurs de prises de vues, des photographes, des journalistes et d'excellences du monde de l'édition. Il y eut comme un chaos très biblique, mais le Président, visiblement, en avait vu d'autres...
Le titre proposé est peu représentatif de l'article dans son ensemble et ses multiples arguments à la fois pour et contre. On aurait pu tout aussi bien en faire "Un tel comprend l'importance de l'appel au boycott". Proposer un tel "haussement d'épaules" comme argument validant une prise de position contre le boycott, me semble emblématique des stratégies éditoriales de nombreux journaux, qui cherchent à montrer l'état d'Israël dans une lumière favorable à n'importe quel prix, souvent même au dépens d'une réponse plus complète, plus mesurée, à même d'être à l'écoute des injustices subies des deux côtés, d'éclairer des véritables sources des hostilités qui en résultent, de critiquer avec courage des politiques criminelles quand il s'en faut, de éclairer les possibilités d'une véritable politique de réconciliation, de vivre ensemble, de respect mutuel, et pourquoi pas d'amour véritable en fin de compte.
à lire également sur ce sujet:
Israël, le sens d'un boycottage, par Tariq Ramadan
LE MONDE du 28.02.08 :
http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_ite...
L'un des premiers à soulever cette question du boycottage — qui concerne aussi la Foire du livre de Turin en mai prochain — fut Pierre Assouline dans son blog "La République des livres", le 4 février 2008 :
http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/02/04/vers-un-boycottage-des-ecri...
Bonjour
je m'appretais à réagir quand j'ai lu le commentaire de jamesinparis. Tout à fait d'accord: le titre est peu en rapport avec l'ensemble de l'article. Il oriente l'article alors que celui-ci présente des avis divers sur un sujet complexe.
Le titre aurait tout aussi bien pu parler de la position d'une autre personne, ou prendre la même personne et mettre en relief la deuxième partie de la phrase: "je suis au regret de constater que des auteurs israéliens ont accepté qu’un hommage fût rendu à leur œuvre dans un Salon du livre lié au 60e anniversaire de la naissance d’Israël et donc associé à l’expulsion du peuple palestinien".
Attention à ne pas pratiquer le sensationnalisme et le racolage dans les titres! Ces pratiques, qui enervent pas mal de monde, sont dignes des medias "classiques" dont vous souhaitez vous distinguer! Pour ma part, elles m'on conduit à ne plus acheter certains de ces journaux.
On attend autre chose de mediapart!
Le hasard fait si bien les choses! Par hasard, l'annee ou Israel est invite est l'annee des 60ans de sa fondation. Quand on sait l'extreme excellence des Services de propagande culturelle de ce pays, on se met un peu a douter du " hasard."
Dommage seulement que la belle diversite d'expression qui existe dans ce pays, au niveau des langues et de la litterature, soit exclue de ce rendez-vous.
Nous n'irons pas a la Foire, mais nous continuerons de lire avec bonheur beaucoup des ecrivains de ce pays.
Il est absolument impossible que le SNE ne se "soit pas rendu compte" que cette nomination correspondait au 60ème anniversaire de la création d'Israël.
Cela n'est pas du tout crédible.
La littérature est une belle arme contre les dictatures et pour la liberté ; censurer la littérature ou, ce qui revient au même, la boycotter, ne peut qu’évoquer une longue série d’oppressions, des bûchers de l’inquisition aux bûchers nazis, où l’on brûlait d’abord les livres avant d’immoler les personnes ou de les envoyer dans les fours, jusqu’aux fatwas de la « République d’Iran » contre l’auteur des versets sataniques ou ceux des caricatures.
En 2005 quand la Russie était l’invitée d’honneur du salon du livre, personne n’a protesté au nom de la démocratie bafouée ou pour dénoncer les assassinats politiques…et c’était plutôt réconfortant : il convient d’ honorer les écrivains de quelque pays qu’ils viennent car ils sont les agents du dialogue, ils mettent les peuples en contact les uns avec les autres. La communication entre les peuples est la meilleure arme pour lutter contre la discrimination, contre le racisme, et pour la paix.
L’appel au boycott d’Israel au salon des livres est choquant. S’il n’est certes pas une surprise de la part des gouvernements officiels d’Iran et des pays arabes, il est scandaleux que certaines voix publiques, journalistes, intellectuels, non seulement ne le dénoncent pas, mais tentent de le justifier voire l’approuvent avec ou sans réserve. La coincidence de l’invitation avec les 60 ans de l’Etat d’israel n’est qu’un prétexte : n’y aurait-il pas eu les mêmes réactions si Israel avait été invité l’an passé ?
Et quand même on prendrait ce prétexte au sérieux : dénoncer la coincidence entre l’anniversaire de 60 ans de l’Etat et son invitation au salon du livre, revient à déplorer la création de l’Etat que célèbre cet anniversaire, c’est encore et encore vouloir délégitimer l’état d’Israël, ce que d’aucuns s’acharnent à faire depuis sa création. Or pour soutenir les Palestiniens, il convient de réclamer, avec les partisans de la paix : « une terre, deux Etats » Oui, mille fois oui, à la création d’un état palestinien, à permettre enfin la fin des souffrances que le peuple palestinien subit depuis trop longtemps. Pour y mettre fin, pour véritablement aider les Palestiniens, il faut aussi voir lucidement où sont les responsabilités de ces souffrances. Comme l’écrit Gérard Biard dans Charlie hebdo : « Le Hamas et le Hezbollah ne sont pas des mouvements qui se battent pour la construction d’un Etat, la Palestine, mais pour la destruction d’un pays, Israël. Ils ne luttent pas pour que tous les Arabes vivent en paix, mais pour que tous les Juifs meurent, ce qui n’a rien à voir » Finalement si la présence d’Israël au salon du livre gêne, n’est-ce pas plutôt l’existence même de l’Etat d’Israël qui dérange ?
S’il n’y avait pas eu de boycott au salon du livre, on aurait pu assister à de multiples rencontres d’écrivains Israéliens avec des écrivains iraniens, des écrivains arabes de tous les pays… apprenant à se connaître, à s’apprécier…. On peut toujours rêver…
La deuxième article de Antoine Perraud est aussi tendancieuse et critiquable que sa première , n'abordant si ce n'est pour l'infirmer la question du choix absolu d'une seul langue - le hébreu - comme seul représentant d'un pays où plusieurs langues sont parlées, et où l'état d'Israël pratique une politique d'apartheid vivement controversée au quotidien.
Si ce manquement journalistique n'est pas assez grave en soi, son article glisse vers le scandaleux tout simplement. "L’arabe, langue sœur par excellence , résume Jean-Luc Allouche, féconde l’hébreu et lui emprunte." Faut-il y voir un espoir de coudoiements pacifiques ? « Pour le moment, tempère Elias Sanbar, les mots hébreux arabisés portent avant tout sur des pratiques répressives et sur les injures, mais cet espoir n’est pas infondé… » Une "fécondation" donc par mots "répressifs" et "injures": quel meilleur argument pour justifier ce double apartheid ?
Les mots construisent des murs aussi. Que devant des tels murs, Mediapart se montre plutôt le terrain d'une ouverture, d'une humanité intelligente, aussi courageuse que féconde, où chacun est citoyen de première classe, et où tout le monde aura enfin le droit de rêver.