A Brest, la justice fouille la liste des appels téléphoniques d'un journaliste

12/01/2008Par

Hervé Chambonnière est journaliste au Télégramme de Brest. Il a 36 ans, et une mission: couvrir les affaires judiciaires. Mais depuis quelques jours, c'est plutôt la justice qui s'intéresse à lui. Et qui vient d'obtenir, une première en France, le relevé de ses conversations téléphoniques passées depuis son portable. A l'heure où Nicolas Sarkozy promet une loi sur la protection des sources pour 2008, MediaPart a enquêté.

L'affaire commence par le portrait d'une figure du « milieu » nantais des années 90, retrouvée morte et ligotée en 2006, dans l'estuaire de la Loire. L'article du Télégramme de Brest signé Hervé Chambonnière est complet. Documenté. Détaillé. Et c'est précisément ce qui agace les enquêteurs. Pour le parquet de Quimper, que nous avons joint, « l'affaire est particulièrement grave. Et l'article susceptible de porter préjudice au bon déroulement de l'enquête ». Quand il paraît, celle-ci est toujours en cours. La procureure de la République ouvre une enquête préliminaire pour viol du secret d'instruction.
 

Herve Chambonniere
Herve Chambonnière

Les choses ne traînent pas. En juillet 2006, Hervé Chambonnière est convoqué à la P.J. de Brest. Il se souvient de ce rendez-vous, «cordial», dit-il, aux allures de « convocation pour la forme ». Deux heures de discussion et Chambonnière se tait. Le journaliste en a le droit. L'article 109 du Code de procédure pénale stipule que  « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine». Puis le temps passe. Et rien ne se passe. Jusqu'au mois dernier. En décembre 2007, un an et demi après la publication de l'article incriminé, Hervé Chambonnière apprend par la bande qu'un avocat est convoqué à son tour par la police judiciaire. «Je laisse couler, dit-il. Et puis, deux semaines après, je croise un autre avocat. Qui me dit être lui aussi convoqué ». Ça commence à faire beaucoup.

Le second avocat, c'est Vincent Omez, du barreau de Quimper. Il fut pendant un temps le conseil d'un des mis en cause. Etonné par sa convocation en qualité de témoin, il se rend tout de même dans les locaux de la P.J. de Rennes. Et, là, nouvelle surprise: « Le commandant de police me montre les listings des conversations téléphoniques du journaliste. Il y avait tous ses appels: les entrants et les sortants. J'ai dit au policier que j'étais en relation régulière avec des journalistes, que c'était mon droit le plus strict, et que je m'en tiendrai là». Aujourd'hui encore, il s'interroge : « Je ne sais pas quel était l'objet exact de cette convocation. Rechercher une quelconque vérité ou m'intimider?» Hervé Chambonnière, lui, a son idée: « Le but était avant tout de faire peur aux avocats. C'était une manière de leur dire “arrêtez de parler aux journalistes”. Et aussi, probablement, une façon de vouloir m'impressionner. Auprès de certains avocats, le message semble être bien passé...». Et dans un sourire un peu dépité, il avance: «Si ça continue, on va être obligé d'acheter des téléphones à carte, non nominatifs...». 

La procureure de Quimper se défend, elle, de toute pression. Elle assure que sa réquisition pour obtenir le fameux relevé auprès d'Orange - l'opérateur qui équipe le journal breton –  reste « dans un cadre légal et régulier. » Anne Kayanakis évoque même un arrêt récent de la Cour de cassation pour justifier « une ingérence nécessaire et proportionnée à but légitime ». En clair, il s'agit de contourner la loi. On respecte le droit des journalistes de se taire mais... on fait tout pour savoir avec qui ils parlent! En totale contradiction avec la Cour européenne des droits de l’homme qui a déjà condamné à plusieurs reprises la France sur ce point, estimant que « sans protection des sources efficace, il n’y a pas de vraie liberté de la presse dans un pays démocratique». Le parquet reconnaît sans mal la contradiction: « Nous avons d'un côté un principe: l'exigence de la protection des sources journalistiques, pierre angulaire de la liberté de la presse. Et de l'autre, un autre principe: le secret de l'instruction. Il serait légitime que le législateur se pose des questions sur cette contradiction ». 

D'où l'indignation de maître Omez: « Cette façon de cibler certaines professions – avocats et journalistes – me déplaît fortement, dit-il. Je pourrais considérer la démarche de la justice différemment si l'on procédait de manière normale, équitable. Si l'on entendait toutes les personnes impliquées dans cette instruction ». A savoir les gendarmes, le greffier, le juge, les avocats et même... le Parquet. Ce que la procureure de Quimper admet volontiers. Selon nos informations, pourtant, seuls les avocats et le journaliste auraient été, pour l'instant, entendus.

Chez Orange, on s'abrite derrière le Code des postes et communications électroniques, qui fait obligation à l'entreprise de collaborer avec la police. « En tant qu'opérateur, nous n'avons pas le choix et ne faisons pas de distinction – journaliste ou pas journaliste », se défend-on. Sauf que. Là encore, la loi a prévu des exceptions. Pour les médecins, les notaires, les huissiers ou les... journalistes, tous soumis au secret professionnel, « la remise des documents [à la justice] ne peut intervenir qu'avec leur accord ». Et, là encore, il semblerait qu'on ait pris des libertés: la direction du Télégramme de Brest assure n'avoir jamais donné son aval. D'autant qu'elle aurait été bien en mal de le faire puisqu'elle n'a même pas été sollicitée... Du côté d'Orange, on botte en touche: « C'est à la police ou à la justice de demander l'accord des intéressés. Et ça n'a manifestement pas été fait ».

Rappelons qu'il y a quelques jours, face à plusieurs centaines de journalistes, Nicolas Sarkozy avait déclaré depuis l'Elysée: « S'agissant de la protection des sources, qu'elle soit dans les locaux professionnels ou dans le domicile privé, ma réponse est oui. Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources. Chacun doit le comprendre, doit l'accepter. Il m'arrive d'être mitigé sur le respect d'une certaine déontologie professionnelle par certains de vos confrères. Je ne l'ai jamais caché et je l'assume. Mais [...] je préfère les excès de la presse à l'absence de la presse. Donc la réponse est très précise : en 2008 on fera ce texte. » Manifestement, il y a urgence.

Dans notre beau pays, une chose qui m'a toujours frappée est la manière dont certaines lois ne sont pas appliquées...
En ce qui concerne la protection des sources du journaliste, il est intéressant de mettre ce point en perspective avec l'indépendance du journalisme. Si les politiques n'ont jamais insisté pour que cette loi soit appliquée ou qu'ils ne l'ont jamais renforcée, plus le temps passe plus ils se rendent complicent de cette traque aux sources du journaliste.

Mais heureseusement, Sarkozy nous "promet" un texte en 2008! Nous sommes sauvés...
Sinon on fait quoi quand la DST fait pression sur Guillaume Dasquié pour qu'il livre sa source...?

Bonjour Julien,

A propos de Guillaume Dasquié, je me permets de vous renvoyer à son témoignage que MediaPart avait recueilli peu après sa garde à vue dans les locaux de la D.S.T.

http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/11122007...

Cet article était passé entre les mailles de mon filet!
Merci David ;-)

" S'agissant de la protection des sources qu'elle soit dans les locaux professionnels ou dans le domicile privé"
Citation de Sarkozy

Ce qui m'ennuie c'est que N.S. se rapproche trop de G.B. Jr., on court droit au désastre...

Sous couvert de sécurité nationale, on outrepassera toutes les règles de protection des individus, droits (de base) de l'homme et du citoyen; et aujourd'hui ce qui se passe avec la presse se passera avec le délit de sale gueule...

Il n'y a qu'a voir ce qui s'est passé après le 11 sep...

La caravane passe...

Cher Bédouin,

Petite précision ou plutôt même petit rappel: comme il est indiqué dans l'article, l'affaire a commencé avant l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Elysée. Puisque Hervé Chambonnière a bien été entendu «en juillet 2006». L'hyperprésident n'est pas encore omniprésident et sa présence est déjà telle qu'il est inutile d'en rajouter, non ?

A dire vrai, la question - essentielle - de la protection des sources des journalistes se pose depuis de nombreuses années, sous la Droite comme sous la Gauche. C'est aussi à cela qu'il faut réfléchir...

En juillet 2006 n'était-il pas ministre de l'intérieur ?

On a un peu tendance à oublier que avant d'être président cette homme était déjà au commande d'un certaint nombre de dossier depuis longtemps...

Bien sûr, à cette période, Nicolas Sarkozy était ministre de... l'Intérieur.
Et non de la Justice.

Donc, lui reprocher une quelconque ingérence ici est à mon sens fallacieux. Répétons le: le problème, ici, est bien pour large. Il s'agit de savoir, à travers cette affaire, celle de Guillaume Dasquié, celle des récentes perquisitions au Point, au Canard Enchaîné, et autres, comment le métier d'informer peut-il s'exercer désormais en France ?

La question de la protection des sources des journalistes se pose en effet depuis de nombreuses années, et pas seulement en France. Régulièrement, la Commission euopéenne des droits de l'homme (CEDH), le Conseil de l’Europe et même le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ont rappelé que cette protection des sources constituait la pierre angulaire des libertés d’expression et d’information, garanties par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Je ne comprendrais pas, personnellement, que toutes ces atteintes répétées aux conditions normales de travail des journalistes (notamment les perquisitions et les interceptions de communications) ne fassent pas l'objet d'un recours immédiat auprès de la CEDH.

Mais peut-être est-ce le cas, pour ce qui concerne les agressions contre Dasquié et Chambonnière ?

La France a déjà été condamnée plusieurs fois. Elle doit continuer à l'être pour toute nouvelle attaque contre la liberté d'expression, si l'on veut sauver ce qui reste aujourd'hui en France de la démocratie.

Quelle est la probabilité que la DST soit en train d'essayer de pirater le site de mediapart ?
Pour avoir la liste des abonnés...qui seraient alors fichés...mis sous écoute etc...
En commençant par les abonnés en soutien...

La caravane passe...

Question technique

si le souhait de N. S. protègera bientôt nos sources,
le test arithmétique (à l'inscription) c'est pr prévenir les méchants automates de la DST ?)

Est ce qu'il n'y a pas deux genres de journalistes?
Ceux font leur travail
Ceux qui démissionnent
Il vaudrait mieux soutenir la 1ere catégorie
Pour la seconde,il suffit de voir la regression professionnelle dans les JT ou l'on a plutot affaire à une démarche sectaire que véritablement journalistique
"La protection des sources" est à double tranchant tout dépend comment elle peut etre utilisée par des gens peu soucieux de la déontologie journalistique remplacée par un sectarisme au service d'interets trés "privés"

Ces affaires sont des messages d'intimidation venant de notre président. ça commence comme ça...

M. Chambonnière, il faut l'aider, creuser avec lui quand c'est possible, et trouver pourquoi notre Etat s'intéresse à lui. Le citoyen a le droit de savoir. Je vote pour savoir. Je paie mes impôts pour savoir, pour avoir des lois qui me permettent de savoir, même si les enquêtes en cours sont génées (par quoi au fait? un gars plus fort que ceux qui sont payés pour? des indics éventés? un réseau mis à mal? des soupçons où le bien et le mal se mélangent? Cela prouve simplement que le réseau n'est pas au point, qu'il faut mieux faire). Oui il faut déposer un recours. Oui il faut obtenir cette réforme de la loi française, mais il faut surtout aider ces journalistes. Avocats, anciens cadres des services secrets, syndicat de la presse, militants pour la justice et les droits de l'homme, mobilisez-vous! (Idem les MSM, TV en tête, qu'ils abordent les vrais sujets en prime time s'ils ne veulent pas à terme voir toute leur audience filer sur le net dès qu'elle a un gramme de matière grise à tenter de faire fonctionner.)