A Marseille, la gauche s'est libérée de l'héritage Defferre

08/03/2008Par

La deuxième ville de France, dirigée depuis 1995 par Jean-Claude Gaudin, vice-président de l’UMP, pourrait basculer le 16 mars prochain. Donné largement battu cet automne, son adversaire socialiste, Jean-Noël Guérini, a su fédérer une gauche jusqu’ici divisée et combler son déficit de crédibilité, se taillant sur mesure un costume de rénovateur. Au soir du premier tour, dimanche 9 mars, il a obtenu quelque 39% des voix (résultats complets en bas de page). Reportage.

Mercredi 5 mars, juché sur une tribune, la mèche ballottée par le mistral du Vieux-Port, le candidat du PS, tribun maladroit mais désormais confiant, lance son « meeting itinérant » : Marseille sillonnée en cinq heures, à pied, en métro, en scooter, avec une étape et un discours dans chacun des huit secteurs électoraux. « Un concept unique au monde, qui termine de ringardiser Gaudin! », clame Patrick Mennucci, son directeur de campagne, bateleur et hilare.


Jean-Noël Guérini, candidat socialiste, en "meeting" dans le métro marseillais.

D’après une enquête TNS-Sofres publiée le 25 février par Le Figaro, Jean-Noël Guérini, président du conseil général des Bouches-du-Rhône et sénateur, challenger improbable au départ, détrônerait Jean-Claude Gaudin avec 51% des voix au second tour.
    
Une heure plus tard, sous la tente qui lui sert de quartier général, Renaud Muselier, premier adjoint au maire de Marseille et député UMP, sonné, ressasse les sondages, recrache des chiffres, bataille contre l’arithmétique. Tête de liste dans les 4ème et 5ème arrondissements, il est donné perdant (de peu), dans ce quartier traditionnellement gaulliste. Comment la droite locale, réputée indéboulonnable, confortée par l’excellent score de Nicolas Sarkozy à la présidentielle (55,72%), a-t-elle pu dévisser ainsi? Agacé, Renaud Muselier gribouille, en guise de réponse, ce tableau:

Sur la première ligne, la cote de popularité du Président de la République en décembre et février, qui dégringole. En dessous, celles de JC. Gaudin à Marseille et R. Muselier dans son secteur, qui  décrochent.

« Sans commentaire! », peste l’élu, atterré par « l'impact Sarkozy», qui plomberait le «beau bilan» de l'équipe sortante (la rénovation du centre, l’inauguration du tramway, un chômage ramené de 21,6% en 1995 à 12,5%, le succès des zones franches, etc). Le député ne reconnaît d'ailleurs aucun mérite à Jean-Noël Guérini, « servi » par la nationalisation des élections : « Il a zéro talent, sinon celui de racheter les gens. Sur sa liste, déjà criblée de communistes, il aligne François Franceschi, ancien pasquaïen et membre du bureau national de l’UMP, un traître qui se fait remettre la légion d’honneur par Gaudin puis retourne sa veste trois semaines après ! Où sont la modernité, la cohérence ?», lance le bras-droit du maire –qui a lui-même retourné un socialiste, Philippe Sanmarco, ancien dauphin de Gaston Defferre. Voici la réponse de Patrick Mennucci, directeur de campagne du PS:

Ce stratège a imposé son candidat très tôt sur le terrain, planifiant des visites dès le mois de septembre, alors que Jean-Claude Gaudin (68 ans) tardait à embrayer, s’attardait à Paris, suivait Nicolas Sarkozy jusqu’au Vatican. « Il a installé sa crédibilité petit à petit », glisse Patrick Mennucci. Méticuleux, improvisant rarement, Jean-Noël Guérini a trimballé ses micro-discours de terrains de boule en maisons de retraite, dans des pochettes dûment étiquetées, parfois doublées d’une version de secours. Surtout, cet autodidacte de 57 ans, ancien employé de l’office HLM de la Ville, a su ratisser son camp, rassembler des socialistes plombés depuis vingt-cinq ans par d’intestines querelles ; débaucher une trentaine de candidats communistes, sans jamais signer d’accord d’appareil ; gober les Verts enfin, affaiblis par plusieurs défections et ralliements au Modem.


Jean-Noël Guérini, 57 ans, déjà conseiller municipal à 26 ans

Pour affirmer son autorité, Jean-Noël Guérini a également osé un coup de poker : plutôt que de se présenter dans le Panier, quartier acquis au PS, il a choisi d'aller défier Renaud Muselier dans son fief. A Marseille, agrégat de clientèles, où l’homme politique de droite comme de gauche fait parfois figure de simple ventriloque, porte-voix d’une tribu, le chef a bluffé son monde. « En sortant du Panier, en renonçant aux logiques de territoires, Guérini a signifié la fin du localisme et de ses dérives ; il est au-dessus, il est ailleurs », déclare sans ciller Patrick Mennucci, retrouvant certains accents de la campagne qu’il avait menée en 2007 pour Ségolène Royal.

A la veille du premier tour, le candidat socialiste martèle urbi et orbi quelques chiffres : 28% de Marseillais en dessous du seuil de pauvreté, 40 000 RMIstes, des prix devenus fous sur le marché de l’immobilier, dopé par des réhabilitations confiées à des opérateurs privés. Le nez sur les sondages, indiquant que la propreté reste la préoccupation première des habitants (devant l’insécurité), Jean-Noël Guérini répète une même phrase à l’envi : « Il y a dans Marseille des rats gros comme des chats ! ». Et fait mine de s’interroger : « Vous trouvez ça normal, vous, que dans la deuxième ville de France, on passe des semaines à parler de crottes de chien et de papiers gras? »

En réponse, il promet de mettre fin au système atypique du "Fini-Parti", qui autorise les éboueurs marseillais à décamper dès le ramassage effectué, les encourageant de fait à tout bâcler. Défendu bec et ongles par Force ouvrière, syndicat majoritaire chez les cantonniers, le "Fini-Parti" paraît toutefois difficile à réformer sans déclencher de grève générale. Parce qu'elle a toujours su, depuis les années 1930, tisser des liens clientélistes avec toutes les municipalités successives, FO gèle toute rationalisation du ramassage… Jean-Claude Gaudin préfère ainsi prôner un « Fini-Parti vraiment fini », plutôt que sa suppression. «Vous voyez !, claironne Jean-Noël Guérini. C’est le pape du clientélisme ! ».

Stéphane Ravier, candidat du Front national, juge que « l’hôpital se moque ici de la charité » : « A Marseille, il faut parler de Glientélisme, avec un grand « G », comme Gaudin et Guérini ». A 38 ans, porte-parole d’une structure en pleine déliquescence, la tête-de-liste du FN pourrait toutefois créer la surprise le 9 mars et provoquer quelques triangulaires décisives, catastrophiques pour l’UMP.


Stéphane Ravier (FN), qui dénonce la construction d'une Grande mosquée, «vecteur d'islamisation»

Alors que Nicolas Sarkozy avait partiellement siphonné le réservoir de voix de l’extrême-droite à la dernière présidentielle, il a déçu depuis : « Nos électeurs qui avaient cru au "Le Pen light" ont déchanté, souligne Stéphane Ravier. Notamment les petits retraités, qui n’ont pas vu leurs pensions augmenter mais retiennent que Sarkozy dîne au Fouquet’s ». Geneviève, 60 ans, employée dans une boulangerie du quartier populaire des Chartreux, sympathisante du FN depuis 20 ans, avait ainsi «flanché» en mai dernier : « Mais là, je vais revoter FN. Pour le pouvoir d’achat des vieux, Sarkozy n’a rien fait ; pire, il a augmenté la redevance télé. Et puis les passe-droits de divorcé-remarié en 48 heures, ça m'a choquée »

Depuis quelques jours, l'entourage de Jean-Claude Gaudin a saisi l'ampleur du risque et multiplié les mises en garde appuyées: «Voter FN, c'est faire le jeu de la gauche...». Pour le professeur Daniel van Euwen, directeur de l’Observatoire méridional du politique, « la mobilisation de cet électorat protestataire, qui pourrait aussi se contenter de rester chez lui, est l'une des inconnues majeures du scrutin ».

La seconde tient aux résultats du Mouvement démocrate (Modem) et à la stratégie de son candidat, Jean-Luc Bennahmias, entre les deux tours. « On sera au-delà de 5% le soir du 9 mars, donc en droit de fusionner avec l’une ou l’autre liste, claironne ce dernier. C’est moi qui ferai l’élection, en choisissant entre Gaudin et Guérini ». Ses critères et conditions? « J'exige un moratoire sur l'incinérateur de Fos-sur-Mer et refuse que le Modem hérite d'une délégation au développement durable, soi-disant transversale mais inefficace. Et j'opterai pour celui qui garantit le plus de transparence dans l'attribution des logements comme des marchés publics. Sinon, les programmes des deux candidats sont exactement les mêmes! ».

De fait, « la marque socialiste ne fait qu’affleurer dans le discours de Guérini, affirme le politologue Daniel van Euwen. La bataille n’est pas tellement idéologique ». Aux yeux de Jean Viard, économiste et sociologue, directeur de recherche au CNRS ayant rejoint la liste PS, « la nouveauté réside plutôt dans la volonté du candidat de normaliser et rénover la gauche marseillaise »

Héritiers de Gaston Defferre, premier magistrat de 1953 à 1986, les socialistes ont longtemps perpétué ses manières clientélistes et son "localisme" : défini par ses racines, l’élu appartient aux "siens", soigne ses favoris en redistribuant son quota d’emplois municipaux. Affaire de famille, presque domestique, la politique se transmet souvent de père en fils, comme un fonds de commerce, générant de véritables dynasties. Depuis des décennies (à l’exception de l’intermède Robert-Paul Vigouroux, dissident élu maire en 1986), la gauche marseillaise promeut ainsi des professionnels de la chose publique, enfermés dans une confrérie, développant un certain anti-intellectualisme.

« Si Jean-Noël Guérini vient de cette culture et s’est construit ainsi, il a récemment compris qu’il fallait ouvrir le jeu, plaide Jean Viard. Il s’appuie pour la première fois sur un trépied : les forces traditionnelles socialistes, mais aussi les intellectuels et les Arabo-musulmans ». Le candidat a ainsi placé Samia Ghali, issue des quartiers Nord, en numéro deux sur sa liste, chargé Jean Viard de présider au projet de réaménagement urbain Euroméditerrannée (en cas de victoire), puis "recruté" quelques figures scientifiques, telles l’astrophysicien Jacques Boulesteix. Des signes surtout susceptibles de séduire l’électorat "bobo", de capter ces "intrus" débarqués du Nord, souvent cadres, jusqu’ici négligés par les socialistes locaux : « De ce point de vue, la gauche marseillaise se rapproche des stratégies développées depuis des années à Lyon ou Paris, se banalise, se normalise», estime le politologue Daniel van Euwen.

Mais cette "rénovation" fait sourire l’anthropologue Michel Peraldi, directeur de recherches au CNRS et co-auteur de Gouverner Marseille (La Découverte, 2006, avec Michel Samson). « Je suis sidéré de constater la capacité des gens, y compris des intellectuels brillants, à croire en cette fiction, lance-t-il. On est dans un pur théâtre : les partis sont en réalité coincés par leur clientèle et le système, qui les surdétermine. Leur seule liberté, c’est d’apporter des figures nouvelles, de mieux "visagiser" le pouvoir »

Aux yeux du chercheur, les services de la ville,  «médiocres » car minés par des décennies de recrutements arrangés, ont de toute façon abandonné la gouvernance des grands projets à l’Etat. « Si Guérini gagne, il sera cantonné dans un rôle de simple régulateur, renvoyé à sa fonction de chef presque tribal, chargé d’arbitrer entre les communautés. Comme Gaudin depuis treize ans ».


Renaud Muselier et Jean-Claude Gaudin en meeting, le 3 mars, au Dôme de Marseille: «Les sondages doivent être un signe de mobilisation générale»

Celui-ci n’a d’ailleurs pas dit son dernier mot. Jusqu’à la dernière heure, le maire laboure son terrain, secoue ses réseaux, rafraîchit les mémoires. Le  5 mars, Jean-Claude Gaudin passait ainsi la soirée dans l’église arménienne du 6ème secteur (où le FN paraît en mesure d’imposer une triangulaire) ; assis sur la scène, il écoutait Didier Parakian, candidat sur sa liste, énumérer les services rendus à la communauté (création d’un mémorial du génocide, bientôt d’un musée…). Et surtout annoncer la signature toute fraîche d’un contrat d’association entre l’Etat et l’école privée arménienne du quartier, « grâce à l’intervention directe de Jean-Claude Gaudin auprès du ministre de l’éducation nationale ». 500 personnes ont applaudi le maire à tout rompre, qui les a invitées à «venir voter »...


Résultats au premier tour (des listes dépassant 5%):

- secteur 1: Jean Roatta (UMP) à 39,94%, Patrick Mennucci (PS) à 39,21%, Armelle Chevassu (extrême gauche) à 7,57%, Jackie Blanc (FN) à 6,63%, Childeric Muller (Modem) à 6,08%

- secteur 2: Lisette Narducci (PS) à 54,9%, Jacques Rocca-Serra (UMP) à 26,32%, Roland Lombardi (FN) à 8,88%, Emmanuel Arvois (extrême gauche) à 6,09%

- secteur 3: Renaud Muselier (UMP) à 42,16%, Jean-Noël Guérini (PS) à 37,51%, Christophe Madrolle (Modem) à 6,3%, Gilda Mih (FN) à 6,28%, Camille Roux Moumane (extrême gauche) à 5,77%

- secteur 4: Jean-Claude Gaudin (UMP) à 52,09%, François Franceschi (PS) à 28,46%, Jean-Luc Bennahmias (Modem) à 7,75%, Mireille Barde (FN) à 6,46%, Louis-Michel Pirrottina (extrême gauche) à 5,24%

- secteur 5: Guy Teissier (UMP) à 48,81%, René Olmeta (PS) à 32,01%, Laurent Comas (FN) à 9,35%, Patrick Zaoui (Modem) à 5,78%

- secteur 6: Roland Blum (UMP) à 43,38%, Christophe Masse (PS) à 38,22%, Stéphane Durbec (FN) à 8,73%

- secteur 7: Sylvie Andrieux (PS) à 47,38%, Valérie Boyer (UMP) à 32,26%, Stéphane Ravier (11,8%)

- secteur 8: Samia Ghali (PS) à 52,3%, Bernard Susini (UMP) à 25,21%, Bernard Marandat (FN) à 12,66%


(Photos et vidéo: Mathilde Mathieu)

Pas mal, cela ne fait que relayer la complexité de cette élection, locale ou nationale? Personne n'est serein! En 2001, la gauche était aussi en tête dans les sondages au niveau national. C'est une élection surprise, ce qui en fait la beauté.

Comme étranger j’ai aussi habité à Marseille, il fut un temps…dans cette période il a fallu mettre en laisse (comme pour les chiens) les enfants de la «tour» qui voulaient prendre un peu d’air avec leurs mères (1978)… C’était déjà du temps de la «droite toute», qui était au pouvoir depuis des lustres…

Depuis j’ai déménagé à Hauteville qui n’est malheureusement pas plus sensée que la droite marseillaise…

Pour finir nous nous sommes installés dans la région genevoise, (Echenevex) qui était totalement différent de la droite d’ailleurs (de droite quand-même donc problèmes éventuels) !

Sachez que Marseille… et d’autres comme Lyon… ont un problème fondamental avec Paris, la démocratie y est très clairement inconnue… C’est un point de vue d’un type qui doit voter sur des bouts de trottoirs dans sa commune…

j habite marseille depuis longtemps apres avoir vecu a paris
la gauche a marseille est simplement composee de gens plus jeunes et de neo marseillais
la droite ne comporte que de pauvres gens sectaires et affairistes
le manque de curiosite et de remise en question seront responsables de leur defaite
ici les communautes se tolerent mais ne se melangent pas
la droite affectionne les respectables :armenienne , juive, corse
la gauche s occupe de celles qui restent arabe, comorienne, gitane
le resultat est mathematique