Quand Albion traquait les sodomites...

04/03/2008Par

À Londres, jusqu’au 22 mars, se joue une pièce de théâtre, Plague Over England, qui retrace la catastrophe intime et publique vécue par John Gielgud après son arrestation, en 1953, pour « cottaging  » (ce terme désigne en Grande-Bretagne la drague homosexuelle dans les lieux d’aisance). Le comédien, alors âgé de 49 ans, fut déféré devant un juge, qui ne le reconnut pas et l’enjoignit simplement, après lui avoir infligé une amende, d’« aller directement consulter un médecin ». 

Mais un reporter de L’Evening Standard veillait au grain. L’acteur fit la une du féroce tabloïd, songea au suicide, découvrit le soutien du public, affina son art en puisant dans son chagrin — qu'il n'évoquera jamais jusqu’à sa mort, à 96 ans, en 2000. Une tournée aux Etats-Unis d’Amérique fut annulée, l’anoblissement par la reine dut attendre. Broutilles.

La pièce du critique dramatique Nicholas de Jongh rappelle une nouvelle fois au Royaume-Uni que jusqu’à la dépénalisation de l’homosexualité en 1967, ce pays, en vertu d’une loi dont avait souffert Oscar Wilde sur les « acts of gross indecency between male persons », vécut une véritable chasse à l’homo. Le ministre de l’Intérieur nommé après le retour de Churchill au pouvoir en 1951, David Maxwell Fyfe, se présentait en grand éradicateur de la « peste » sodomite. C’en était fini du laxisme de l’après-guerre : les escouades d’agents provocateurs étaient réactivées pour faire leurs rondes dans les toilettes publiques. Un millier d’hommes étaient ainsi, bon an mal an, jetés en prison.

Mais la traque de la déviance concernait aussi les lieux privés. En 1954, le procès de lord Montagu, poursuivi pour avoir batifolé sur ses terres de Beaulieu, fit prendre conscience au pays du ridicule infernal de la situation. L’an dernier, dans Le Mail on Sunday, Lord Montagu, octogénaire, revint pour la première fois sur son calvaire judiciaire.

Le génie mathématique Alan Turing, pour sa part, se donna la mort en 1954, après que la justice britannique l’eut condamné à subir, pour cause d’homosexualité, une sorte de castration chimique. Désespéré, Turing aurait croqué une pomme trempée dans du cyanure. Il se murmure que le logotype de nos ordinateurs Apple, avec son fruit entamé, serait un hommage crypté au mathématicien victime des ultimes sursauts d’un ordre moral furieusement intrusif...

Très bel article. Ayant un mac, je suis d'autant plus émue de cet hommage à Turing, que je ne connaisais pas : merci à Antoine Perraud de m'avoir fait connaître cette histoire, ces histoires.

Article intéressant, il faut le dire.

Un détail à corriger, ou plutôt une précision, quand même.

Quand vous dites "les escouades d’agents provocateurs étaient réactivées pour faire leurs rondes dans les toilettes publiques.", je ne sais pas si vous reprenez des infos venues d'ailleurs, mais je puis vous assurer qu'il y avait même de jolis policiers en civil pour draguer et lancer des oeillades complices à leurs voisins en exhibant leur machin dans les WC de Picadilly, avant de les attendre dans le couloir de sortie pour leur présenter leur carte de flic-allumeur-de-pédés. Tarif, 1000 balles environ en 1972, au petit tribunal du quartier.

Pour ce prix, autant que cela soit rappelé.

Oui, effectivement, c'est bien ce genre d'escouades que je mentionnais. J'écrivais "réactivées" parce que leur création datait, me semble-t-il, des années 1930. En revanche, je n'imaginais pas qu'elles fussent encore aussi actives en 1972, un lustre après la dépénalisation de l'homosexualité outre-Manche...

Avec les nouvelles références d'aujourd'hui,
toutes les sous-cultures et les modes de toutes "époques" qui revivent et se côtoient avec bonheur et sans le sectarisme bon-enfant qui faisait "force de loi", sans l'imperméabilité entre générations,
on a vraiment du mal à croire que l'homophobie brute et profonde était si présente, qu'elle était même inscrite dans les lois!

Ces temps où la miniaturisation n'existait que dans la science-fiction, et où les oeuvres de science-fiction situaient "l'an 2000" dans un futur si lointain, que le dépaysement imaginé était total, ces temps que nous croyons maintenant plus proches, admettant avec humour et indulgence "nos erreurs d'échelle",
finalement et tout bien réfléchi,
ces temps sont bel et bien très lointains, à bien des égards, et la vieille notion de "l'an 2000" finalement, ne se trompait pas tant que ça dans la mesure du gouffre de différence entre deux mondes?

Merci pour cet article beau et sensible en ce qu'il réveille tant de "petites remarques intimes" qui s'invitaient, et qui ont disparu depuis: Depuis que nous sommes devenus moins cons, mais aussi depuis que nous ne pensons plus...