Murdoch renonce à la gratuité du WallStreetJournal.com

25/01/2008Par

Rupert Murdoch a surpris son auditoire, jeudi 24 janvier, au Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Répondant à une question de la salle, le PDG du groupe de médias News Corp. a annoncé que le site Web du Wall Street Journal, qu’il possède, resterait en grande partie payant :  « Nous allons beaucoup étoffer et améliorer la partie gratuite du Wall Street Journal en ligne, mais il restera une offre très solide. Le contenu sur abonnement sera même probablement plus cher. » L’abonnement au site Web seul devrait ainsi augmenter de 20 dollars dès le mois de mars pour passer à 119 dollars par an.

Le coup de théâtre de Davos prend à contrepied ceux qui célébraient la fin du modèle de l’actualité payante sur le Net, en voyant reculer tous ceux qui avaient fait le pari d’accorder un prix à l’information : successivement, à l’automne 2007, le New York Times avait arrêté l’expérience du TimesSelect (227 000 abonnés à 49,95 dollars par an), le Financial Times (101 000 abonnés à 98,99 livres par an) avait décidé de laisser les internautes consulter son site 30 fois par mois sans payer. Et en novembre 2007, Rupert Murdoch, devenu le nouveau propriétaire du groupe Dow Jones, avait annoncé qu’il songeait à rendre le site du Wall Street Journal accessible sans abonnement « aux quatre coins de la Terre ».  Dans un entretien accordé à Fox Business News, une chaîne de télévision cablée qu’il a lancé en octobre 2007,  il précisait sa pensée : « Sur 50 millions de dollars [de revenus annuels du site Web grâce aux abonnements], nous en dépensons 15 pour aller  chercher les lecteurs, les fidéliser. Nous pensons qu’il est possible de passer d’un million d’abonnés à 20 millions de visiteurs dans le monde entier en rendant le site gratuit. Nous aurons alors assez de publicité pour compenser la fin des abonnements. Ca prendra peut-être un an pour y arriver mais nous y arriverons”.  

Depuis le début de l’année, le site Web expérimentait les façons de passer au gratuit : il avait offert l’accès libre à toute sa rubrique « opinions » et permis aux internautes qui trouvaient les articles du Journal  en passant par Google News de les consulter sans payer. D’après l’étude de Nielsen Online, le site quotidien NewsDay a dépassé en décembre 2007 celui du Wall Street Journal avec 6,4 millions de visiteurs uniques par mois contre 5,4 millions, en 5e position aux Etats-Unis. Le New York Times se maintient au sommet avec  17,1 millions de visiteurs uniques.

Multiplier la fréquentation par 12 pour compenser les pertes

En fait, dès le 9 janvier, Rupert Murdoch avait déjà laissé entendre lors d’une réunion des correspondants du Journal dans le monde qu’il comptait revenir sur sa première idée. Selon l’un des participants, cité par le New York Observer, « il a dit qu’il pensait au départ que le passage au gratuit amènerait un lectorat plus important. Après avoir étudié le dossier, il a compris que ce n’était pas aussi simple ».  Une analyse du cabinet Lehman Brothers estime, en effet, que le fait de  supprimer l’abonnement au site Web multiplierait sa fréquentation par deux ou trois, devenant ainsi l’un des sites majeurs de l’information financière sur le Web – un marché de 350 à 450 millions de dollars de revenus publicitaires. Mais pour compenser les 50 millions à 60 millions de revenus provenant des abonnements, le Journal devrait accueillir quelque 20 millions de visiteurs uniques par mois, ce qui semble invraisemblable (Yahoo News, le site d’information le plus fréquenté, en compte 35,4 millions). Le cabinet Bear Stearns estimait, lui, que si le WSJ.com se passait des abonnements, il devrait multiplier sa fréquentation par douze pour compenser les pertes.  


Bear Stearns évalue les revenus annuels du WSJ.com à 78 millions de dollars, sur la base d’un portefeuille de 989 000 abonnés payant 79 dollars par an. En comptant les visiteurs non abonnés, il estime le nombre de pages vues par mois à 122,4 millions. En multipliant ce chiffre par un coût aux mille publicités affichés de 6 dollars, il arrive à la conclusion que le WSJ.com devrait multiplier par douze sa fréquentation pour compenser la perte des revenus des abonnements.

Cette tentative avortée de gratuité du Wall Street Journal en ligne était pourtant l’une des armes de Rupert Murdoch dans sa bataille pour le contrôle de l’information financière dans le monde. Il avait   multiplié les déclarations en faveur d’une plateforme puissante d’informations financière regroupant la télévision, Internet et la presse écrite.

Pas d’avenir dans la presse britannique

« Cela fait des années que Rupert Murdoch essaie d’acheter le Financial Times. Il vient de s’offrir le Wall Street Journal et promet du changement dans la presse financière internationale », analyse Stephen Brook, le chef du service médias du Guardian, pour MediaPart.  Avec l’acquisition en décembre 2007 et pour 5 milliards de dollars du groupe Dow Jones dont le Wall Street  Journal fait partie, Rupert Murdoch repense complètement sa stratégie d’investissements dans la presse. Un message qu’il a souhaité colporter à  travers une vaste campagne de pub faisant l’éloge de la liberté… seuls le China Daily et le Financial Times refuseront de publier le communiqué de News Corp. « A leur place, j’aurais pris l’argent plutôt que de jouer aux susceptibles », avait alors rétorqué, vexé, Rupert Murdoch.

Dans son portefeuille éditorial de 151 quotidiens, le magnat australo-américain possède le bon grain (Sunday Times) comme l’ivraie (The Sun ou The New York Post) et désormais le fleuron de la presse financière américaine, le Wall Street Journal. Pourquoi ? D’après Tim Luckhurst, professeur de journalisme à l’université du Kent et éditorialiste au Independent on Sunday, la conquête de la presse américaine est plus lucrative : « On ne parle pas encore de crise mais la presse britannique papier n’offre plus de potentiel de croissance.  A part le Financial Times, tous les journaux perdent des lecteurs. Rupert Murdoch a compris cela ».  Si bien qu’il y place ses journalistes les plus talentueux.  Robert Thomson, le rédacteur en chef du quotidien britannique The Times a été muté à la tête du Wall Street Journal .

La mondialisation de l’information financière

Au cours d’une interview d’une demi-heure sans interruption publicitaire, donnée sur Fox Business News,  Rupert Murdoch explique sa stratégie derrière le rachat du Wall Street Journal. « Nous voulons en faire la source incontournable d’information financière et d’analyses dans le monde. Nous devons mondialiser, numériser le Wall Street journal même si sa version papier restera le porte drapeau ». L’information financière intéresse de plus en plus de monde et le Wall Street Journal aurait tort de limiter sa diffusion aux « seuls » Etats-Unis. Comme nous l’explique, enthousiaste, Teri Everett, porte-parole de News Corp., la société de Rupert Murdoch : « Nous souhaitons répondre aux attentes des millions de personnes qui se passionnent pour l’actualité financière et économique ». En clair, d’après Stephen Brook, journaliste au Media Guardian:  “Murdoch veut créer une véritable plateforme mondiale de diffusion de l’information financière. Une plateforme pour des gens avec un très fort pouvoir d’achat”.

Mais la conquête du monde n’est pas gagnée d’avance.  Pour Tim Luckhurst, « Le Financial Times a déjà une longueur d’avance avec ses éditions internationales bien diversifiées et une neutralité incontestée dans le milieu de la finance et  des affaires». Rupert Murdoch doit donc se mettre au diapason : « les ventes du Wall Street Journal sont 4 à 5 fois plus importantes que celles du Financial Times en moyenne. Rien qu’aux Etats-Unis, nous vendons dix fois plus. Mais nous allons renforcer notre éditions internationales pour rivaliser avec le FT en Europe comme en Asie », a-t-il défendu dans une interview pour Fox Business News.

La concurrence relève les manches

Devant autant d’ambitions, le New York Times se tient sur ses gardes. « Si j’aimerais tuer le NYT ? Oui, ça serait bien » a lancé Rupert Murdoch dans son plus bel accent australien, lors d’une interview à San Francisco. Ce qui rappelle à Tim Luckhurst son acharnement passé contre le Daily Telegraph au début des années 1980 , après le rachat du quotidien généraliste, The Times :  « On peut s’attendre à une politique très offensive de baisse du prix par exemple». Le New York Times anticipe déjà la bataille, en réalisant un partenariat avec la chaine économique CNBC , un passage à la gratuité totale du site en septembre 2007 et une première vague de licenciements. Certains spécialistes parient même sur une cession prochaine du New York Times à un industriel. « Google présenterait les meilleurs atouts pour se porter acquéreur », expliquait John Ellis, chroniqueur pour le site web américain Real Clear mardi 22 janvier .

Finalement, ce qui pourrait entraver ou en tous cas freiner les ambitions de Rupert Murdoch, c’est  Murdoch lui-même.  Et Tim Luckhurst d’enfoncer le clou : « Le problème c’est que le milieu des affaires est particulièrement suspicieux et n’apprécie pas la politique. Or, on connait bien les positions politiques de Rupert Murdoch qui s’expriment sur  plusieurs médias comme la très républicaine Fox news ».

Vincent Truffy et Jordan Pouille

"Au cours d’une interview d’une demi-heure sans interruption publicitaire, donnée sur Fox Business News..." LOL, merci pour le trait d'humour :-)

La première réaction à cet article, c'est quand même "excellente nouvelle, ça va dans le bon sens, la qualité, rien à faire, ça se paie..."
Merci aussi pour tous ces liens instructifs et sur l'info à propos du New York Times.

La deuxième réaction à cet article, cher Axel_J, c'est qu'une fois le modèle économique choisi et exploité, il est quasiment impossible d'en changer.

L'avenir pour MediaPart, s'il reste sur le choix du payant, est ainsi tout tracé: il reposera sur un petit club privé (pour reprendre l'expression de son président) d'internautes qui aura à charge d'assurer la croissance de l'entreprise dans l'augmentation régulière du prix de l'abonnement.

Il est de plus bon de souligner qu'avec ce modèle, la qualité dont vous parlez est directement proportionnelle aux nombres d'abonnés et la récente demande de Mr Plenel à chacun des présents adhérents de convaincre cinq de leurs connaissances à les rejoindre n'est pas un bon signal en terme qualitatif.

Enfin, ce modèle cherche à sonner le glas de la spécificité d'Internet en le faisant entrer j'ose dire de force dans le système de presse traditionnel dont nous connaissons tous les dérives puisque ce sont elles qui nous ont amenés en ces lieux. Pour le dire autrement, cela fait déjà quelques temps que je commente, par le biais de l'Internet, l'actualité gratuitement et pour tous, et là se situe, selon moi, toute l'efficacité en terme d'apport pour la démocratie. Je ne vais pas me mettre aujourd'hui à le faire pour quelques personnes, en payant et avec un résultat moindre.

Je pensais que MediaPart serait un journal révolutionnaire. Je réalise de plus en plus à quel point il sera réactionnaire dans sa volonté de revenir au passé d'un journal uniquement destiné à un petit groupe de lecteurs capable de se l'offrir. Avec l'illusion d'évoluer ailleurs que dans cette presse que nous connaissons aujourd'hui et que nous dénonçons tous.

Cher Edwy Plenel,
Il me reste cinquante jours (et lorsqu'on sait ce que d'autres que moi ont voulu faire en Cent pour finalement abdiquer, on se dit que ma tâche est titanesque...) pour vous faire revenir de vos illusions, et pour vous faire entrer entièrement dans la révolution de l'information sur le Net, révolution que vous n'osez pas faire. Vous vous appuyez pour l'instant sur des soutiens politiques en oubliant trop facilement que ces mêmes politiques ont créé, collaboré au système politico-médiatique que nous connaissons, et que s'ils viennent pleurer aujourd'hui dans le giron de MediaPart, c'est uniquement parce qu'ils ont trouvé leur maître incontestable et incontesté dans l'exploitation de ce système et que leur but n'est autre que chercher à récupérer (tentative ô combien vaine...) quelques miettes de représentativité. L'avènement du sarkozysme n'est en rien cause mais bien conséquence de ce que politiques et journalistes ont construit ensemble durant le siècle dernier dans notre beau pays. Aucune réaction ne peut l'abattre. Seule une révolution y parviendra.

Il vous faudra changer, cher Edwy Plenel. Il vous faudra apprendre à chercher du soutien non plus chez le politique mais dans le peuple. Là et uniquement là se situe le vrai pouvoir démocratique, le seul capable de peser sur l'avenir. Internet offre ce pouvoir, Internet est le SEUL média donnant accès à la démocratie directe. Pouvoir d'une puissance telle que personne encore n'ose y toucher. Osez, cher Edwy. Vous avez l'expérience, vous avez la force, vous avez l'équipe compétente pour oser prendre ce pouvoir à pleines mains. Osez faire de MediaPart une vraie tribune du peuple en accès libre, et donc sans galvaudage. Osez en faire un journal exemplaire , une référence constante pour l'évolution de la cité.

Ou ne changez rien. Et MediaPart deviendra au mieux un Figaro de gauche entretenant sans cesse pour survivre l'illusion que la démocratie a à gagner dans l'antisarkozysme primaire ce que le sarkozysme primaire lui aurait fait perdre.

Cher Franade,
je suis très sensible à vos arguments et croyez bien qu'il font plein sens, mais dans ma petite tête de simple lecteur qui ne possède certes pas beaucoup de paramètres de réflexion, je me dis quand même une chose:
En prônant ainsi la gratuité et l'interactivité totale du Net comme seule vraie alternative démocratique à la dictature actuelle, vous oubliez le concret:
Ces journalistes, je ne les veux pas assis h24 derrière un ordi. Je les veux voyageurs aux quatre coins du monde, je les veux soumis à des contraintes de dîners honéreux, locations de voitures et autres matériels, etc.

C'est comme ça que je vois le financement: il faut bien de l'argent, propre si possible, pour se sentir libre de ses mouvements et de ses actions.

Mais rassurez-vous: je suis AUSSI client assidû du système gratuit, et je suis AUSSI toujours exigeant, et toujours prêt à abandonner MediaPart en cas de déception.

Au plaisir de vous lire encore sur ce site ou ailleurs,
Axel

Cher Axel_J,
Comment un journal peut-il avoir des grands reporters en son sein sans être financé par la publicité ?

Au moment même où l'on parle de suppression de la publicité sur la télévision publique, c'est une manne fiancière inespérée qui tomberait du ciel, il suffirait d'un petit effort de MediaPart pour la ramasser.

Trop de publicité à la télévision tue à la fois la publicité et la télévision. Une grande partie de cet espace publicitaire perdu par la télé se retrouvera donc sur Internet. C'est dès maintenant qu'il faut en profiter.

Lorsque les lecteurs abonnés de MediaPart auront pris un confort sans pub sur ce site, il sera trop tard pour faire machine arrière.

Une croissance grâce à la publicité est possible pour un journal. Elle demeure illusoire en ne s'appuyant que sur des abonnements.

Avec plaisir!