Elections américaines : un spectacle où n'ont pas place les petits candidats, par Nicolas Condom

Alors que les élections primaires américaines sont à un tournant avec l'abandon de la plupart des « petits » candidats, il est temps de faire un bilan de la façon dont les médias ont traité ce premier moment.

Les petits candidats démocrates méprisés

On a souvent reproché aux grands networks américains l'oubli de certains candidats qui ont été invités seulement dans les premiers débats : Mike Gravel, Denis Kucinich en ont été les premiers exclus du côté démocrate, l'attention ayant été plus grande vis-à-vis des républicains car le jeu est très incertain au sein du GOP. Ron Paul, le libertarien, est régulièrement consulté, et Mike Huckabee, ancien « petit », est devenu un « grand », capable d'obtenir une investiture. Même Tom Tancredo et Duncan Hunter, désormais oubliés, ont eu une représentation convenable. Cette différence s'explique notamment par l'incertitude qui règne dans le parti, alors que les démocrates sont divisés entre Barack Obama, John Edwards, et Hillary Clinton et que les médias se concentrent sur l'opposition entre le sénateur de l'Illinois et la sénatrice de New York. Certes, les derniers scores de Kucinich (par exemple, lors du caucus du Nevada, il a obtenu 4 ou 5 voix alors que les "uncommitted", les indécis, en ont obtenu 32, soit 0% pour lui, et 1% pour les indécis) embarrassent autant Kucinich que les Américains qui se sentent embarrassés pour lui. Il a cependant prouvé que les différentes chaînes méprisent les candidats jugés peu électibles : après que MSNBC ait désinvité Mike Gravel en octobre lors d'un débat (et les autres chaînes ne l'ont plus invité ensuite), la chaîne l'a désinvité du débat dans le Nevada la semaine dernière, faisant même appel auprès de la Cour Suprême du Nevada, après qu'un tribunal ait obligé la chaîne à inviter Kucinich, faute de quoi le débat ne pourrait pas avoir lieu. MSNBC a obtenu gain de cause.

Le règne des sondages

La décision de la chaîne illustre ce que de nombreux observateurs ont critiqué dans la première partie de la campagne : les chaînes ont décidé elles-mêmes qui était important, et que le vote des premiers États allait déterminer le vote des États suivants. L'échec des sondages du New Hampshire, qui donnaient Barack Obama vainqueur, en est le parfait exemple. Alors que les sondages avaient une forte chance de se révéler faux car plus de la moitié des électeurs de cet Etat ne sont inscrits dans aucun parti et choisissent au dernier moment leur candidat, Barack Obama était déjà proclamé vainqueur. Un membre de l'équipe de campagne de Hillary Clinton avait même confié à CNN qu'ils avaient du mal à lever des fonds après la défaite de l'Iowa.

Les Américains désapprouvent les médias

Les Américains en ont cependant décidé autrement, avec des votes radicalement différents dans chaque État qui donnent une chance à chacun des quatre principaux républicains, tandis que les démocrates semblent réellement se polariser dans une opposition Obama / Clinton. Lou Dobbs, animateur vedette de CNN, personnalité connue pour son positionnement en tant qu' "indépendant", s'est même excusé à la fin de la soirée électorale du New Hampshire pour la trop grande utilisation des sondages, qui ont induit en erreur les journalistes, trop confiants : ils se sont trompés, jugeant que les sondages donnaient le résultat en avance, consacrant Barack Obama au détriment de ses adversaires. Lors d'un sondage publié par CNN lors de la soirée, 94% des Américains se disent fatigués de voir des reportages non pas sur les positions et idées des candidats, mais en termes de charisme, dynasties, changement. D'autres critiquent à leur tour cette utilisation à outrance des sondages (qui sont plus nombreux qu'en 2004, à l'instar de ce qui s'est passé en France en 2007), parmi lesquels des sites indépendants et connus pour leur qualité journalistique comme Slate.com, dont un éditorial appelait à une interdiction des sondages en période électorale.

Les partis politiques sont les premiers à s'en accommoder

Mais les médias ne sont pas les seuls à blâmer : les premiers États à voter se sont battus pour anticiper leur élection avant le Super Tuesday et attirer l'attention. Au point que la Floride et le Michigan ont été sanctionnés par le Parti Démocrate pour leur décision : ils n'enverront pas de délégués lors de la Convention Nationale de cet été qui investira le ticket démocrate. Dans la course à la une des journaux télévisés, qui sont à la recherche de l'Etat qui donnera le "la" de la campagne, en raison de l'indécision régnante, plusieurs ont été tentés de déplacer des élections qui ont lieu traditionnellement en février ou mars. Seule la Caroline du Sud a resisté et les démocrates n'ont pas suivi les républicains qui y ont avancé d'une semaine les primaires. Un des derniers episodes des Simpsons se moquait de cette course, durant lequel Springfield decide d'organiser de facon anticipée les primaires. La ville, lasse de cette présence, choisit d'investir Ralph Wiggum, un des personnages qui a huit ans. Les partis politiques se battent alors pour obtenir son soutien. Personne n'est dupe, et les premiers à se plaindre, les candidats, sont les premiers à en profiter : après les propos d'Hillary Clinton sur les Droits Civils, et le rappel qu'il a fallu un président pour réaliser l'idéal du Dr Martin Luther King Jr, ce qui aurait pu être un débat entre idéalisme et pragmatisme, est devenu une question raciale qui s'est amplifiée pendant plusieurs jours avant de se calmer Et on ne compte plus le nombre de fois où l'expression « to take the gloves off » (sortir les gants) a été utilisée par les médias ces derniers mois. Il y a un vrai problème de traitement de l'information, comme cela était le cas en France, et comme cela arrive avec le rôle de plus en plus important des médias dans nos démocraties : la politique est devenue un spectacle, un combat entre individus sans que ne soient évoqués les vrais problèmes. Dans cette mesure, il n'est pas surprenant que les petits candidats soient écartés. Ils ne contribuent pas à ce spectacle.

Nicolas Condom (son blog)

Oui, c'en est arrivé à un point assez incroyable, tant la réalité, les vrais problèmes de fond, les programmes, les questions vitales, sont balayés, annihilés, par ce genre de détail ou de "petite phrase" qui prend des proportions gigantesques et qui est répété jusqu'à plus soif.

Au point que pour gagner des élections, rien ne sert d'avoir un programme crédible: ce qu'il faut, c'est savoir jouer avec les médias, et "faire le spectacle".
Comme Sarkozy et Royal pendant la dernière présidentielle française, tous deux dans leur propre registre, différent, mais tous deux des spectacles capables d'être suivis à la limite sans le son...
...et dont le rituel du débat de l'entre-deux tours est la démonstration la plus flagrante!

Pour contribuer au spectatcle, je suggère donc aux journalistes français de questionner les candidats américains sur les sujets sensibles suivants: Combien coûte la guerre au contribuable américain, et comment pensent-ils continuer à la financer, une fois qu'ils auront réduit le patrimoine immobilier de leurs citoyens à néant? Position des candidats vis-à-vis de la Syrie et de l'Iran? Vis-à-vis du waterboarding et des méthodes d'extorsion d'aveux des 6 inculpés du 11 Septembre? (En 1945, des officiers et soldats allemands ont été sévèrement jugés par des tribunaux militaires américains pour les mêmes sévices...) Position des candidats vis-à-vis des 600 familles (dont celle du français Thierry Saada, à laquelle s'est jointe SOS ATTENTATS) qui attendent toujours un procès "démocratique" à la cour de Washington contre une liste de financiers saoudiens décrits dans la plainte comme ayant participé au système de financement des attentats de 2001? Position des candidats quant à l'ouverture d'une vraie enquête judiciaire internationale et indépendante sur le 11/9/2001, telle qu'elle sera débattue le 26 Février prochain dans l'enceinte du Parlement Européen à la suite de la diffusion du film ZERO co-produit par l'Eurodéputé Giulietto Chiesa sur les doutes, les incohérences factuelles, les faisceaux d'indices convergents à caractère de preuve de "primo faciès" qui aujourd'hui permettent à minima de mettre en doute la totalité de la version officielle des attentats? Position des candidats sur la future loi HR 1955, sur les rôles, usages et affectations budgetaires de la FEMA, et bien sûr du budget de la défense (en 2008: 900Md d'USD et plus si on inclu les nombreux services externalisés)?Position des candidats sur le cas de Sibel Edmonds? Position des candidats sur la délégation de gestion des votes à des entreprises privées et à des systèmes électroniques contestés? Position des candidats vis-à-vis de l'entreprise DIEBOLD par exemple, bannie de Califormie mais pas ailleurs? Certains petits candidats se sont effectivement intéressés à ces questions, comme Ron Paul et Denis Kucinich. Messieurs les journalistes, à vous de jouer!