L’indépendance du journaliste au risque du flux radiophonique, par Frédéric Bourgade

Je voudrais tout d’abord définir ce qu’est le flux radiophonique et ce qu’il produit comme effets sur : la manière dont l’information est traitée et sur l’auditeur lui-même. C’est un aspect important car sinon on ne peut pas comprendre la mutation que connaît le journalisme radiophonique et le rapport que l’auditeur entretient désormais avec l’information. Dans un second temps, je montrerai en quoi ce flux – par la pression qu’il exerce sur la production d’informations – menace l’indépendance du journaliste – jusqu’à produire deux types de journalisme dominants en radio, le journalisme de validation et l’infontainement, c'est-à-dire l’information divertissement qui est aussi un mode de traitements appliqués à l’information sérieuse qui, par ce traitement, devient à son tour anecdotiques.

 

Le flux, c’est un peu comme un robinet d’eau ouvert. Le prototype de la radio de flux, c’est France info. A tout moment quand on ouvre la radio, il y a de l’information qui s’écoule. Chaque information est en soi, une goutte, qui forme le flux et un moment, un segment du flux identifiable en soi. Ce flux a donc pour caractéristique principale d’être deux choses dominées par un même élément fondateur, la vitesse. Vitesse de production, vitesse de diffusion dont le format est strictement codifiés - 40 secondes pour un papier, un minute cinquante pour un sujet complet quelque soit l’importance intrinsèque de l’information avec au moins deux sons de 30 à 40 secondes, voir plus, mais plus courts en ce cas.

C’est donc un écoulement qu’on n’arrête pas – il faut produire en permanence pour le nourrir – et c’est un objet de consommation immédiat, c'est-à-dire rapidement obsolète. Une fois lâché, l’information est connue. Si on répète plusieurs fois la même information d’heure en heure, c’est pour qu’elle soit retenue et sue par l’auditeur et non pas seulement entendue. Il y a donc une vertu pédagogique à la répétition que l’on prend parfois pour du bourrage de crane.

Cependant, La répétition connait une modification substantielle dans le cas où l’information traitée est évolutive. C'est-à-dire quand l’évènement raconté est en train de prendre forme, quand ce n’est pas un évènement arrêté comme l’est par exemple une conférence de presse. A ce moment là, l’auditeur est placé en attente d’un complément d’information, d’un autre point de vue sur la même information, d’une autre information sur cette réalité mouvante. Ce cas se produit généralement dans les situations de catastrophes racontées en directe, sans filets, ou dans les moments de fortes tensions.

Ce fut par exemple le cas de la guerre du golfe, la seconde. Les journalistes embarqués dans les tanks vivent la guerre en direct et non plus en différé comme pendant la première guerre du golf. Tout ce qu’ils vivent de la montée sur Bagdad fait information. Aussi bien la vitesse de progression des troupes, les combats autour des villes, les moyens utilisés pour détruire l’adversaire, les villes conquises, que l’état d’esprit des habitants libérés du dictateur Saddam Hussein et leurs réactions face à l’arrivée des américains ou des anglais, plus bien sur les propres émotions des journalistes qui sont dans l’évènement. En plus, la vitesse du flux s’accorde pleinement à la dramaturgie de ce type d’information et aux attentes de l’auditeur qui se dit : bon, et maintenant, qu’est ce qui se passe, on en où ! Et les autres en face, ils font quoi. A guerre éclair, info éclaire, renouvelable de minutes en minutes. ! Cette dramaturgie, je l’ai vécue aussi durant l’explosion de l’usine azf ou je me suis trouvé à la fois spectateur d’un évènement et acteur puisque la diffusion d’information sur France info nourrissait les inquiétudes ou calmait les esprits de mes auditeurs proches et lointains de Toulouse.

Le propre du flux dans ce cas là, ce n’est pas seulement de dire ce qui est, c’est aussi de générer des faits qui feront informations, c’est de participer d’un mouvement circulaire. Je vais donner un autre exemple. La grève des camionneurs qui bloquent les routes. Le fait de constater que les automobilistes se précipitent sur l’essence par peur de manquer et de le raconter incite tous les auditeurs automobilistes à faire pareil. Même ceux qui ont pourtant déjà le plein d’essence, retournent à la pompe remplir des bidons. Ainsi, en prophétisant le risque du manque d’essence puisque tout le monde va faire le plein, ce qui est un fait objectif, la radio réalise l’exploit de prophétiser une réalité qui finit par se produire. Au bout du compte, on amplifie l’effet panique et on manque effectivement d’essence dans les stations, bien plus vite que le mouvement de blocage n’aurait pu le produire lui-même. Là, ou il aurait fallu plusieurs jours, il ne faut plus que quelques heures. Ce qui fait de la radio un acteur au lieu d’être un simple observateur.

Voila donc pour le flux et quelques uns de ses effets qui place la radio au centre des évènements et non pas à coté d’eux, radio qui amplifie - au sens de démultiplier, donner de l’ampleur – l’importance réelle d’un évènement et qui fait de l’auditeur un voyeur de type émotif actif. L’auditeur est soumis par l’information à une pression qui le stimule et le fait réagir, mais cette réaction n’est pas pavlovienne. L’auditeur d’aujourd’hui est un habitué des médias. Il réagit par anticipation et de manière calculée. Il consomme une info et en tire les conclusions les plus rationnels pour lui. Mais au bout du compte, il y a de l’inconséquence dans cette rationalité viciée. En effet, à quoi ca sert d’avoir du carburant si on ne peut pas circuler sur les routes bloquées. Voilà, ce que devrait se dire un auditeur totalement lucide, rationnel qui par conséquent n’a aucune raison, s’il a le plein, de faire des provisions supplémentaires.

Ce flux, ai-je dit, modifie la manière de faire l’information. Je vais vous le montrer. Imaginer que l’information soit un camion sur l’autoroute, comme le flux ne ralentit pas, pour faire entrer une nouvelle information sur l’autoroute, il faut qu’elle aille au moins à la même vitesse que le camion, sinon il y a collision.

Le flux de France info est de type hélicoïdal, comme une vis sans fin, si vous préférez. Et dans ce flux ne peuvent entrer que les informations qui fluidifient le mouvement. Ce qui a pour première conséquence d’écarter tout un tas d’informations de la possibilité d’être visibles, ou plutôt audibles sur l’antenne. Le flux est donc organisateur du choix de ce qui sera ou ne sera pas diffusé sur l’antenne. D’ailleurs pour entrer dans le flux, les organisateurs d’évènements intègrent cette dimension à leurs actions. C’est pourquoi, on a des étudiants qui vont bloquer des voies de chemin de fer, ce qui a priori n’a pas de lien avec la nature de leurs revendications, mais c’est le moyen de se rendre incontournables et de pénétrer la logique du flux médiatique.

Ce n’est donc pas la valeur intrinsèque d’une info qui fait sa présence ou non sur l’antenne, c’est la possibilité technique de la produire vite pour qu’elle y entre sans heurts. Par exemple, ce colloque n’a aucune chance d’entrer sur le flux quelle que soit son intérêt et sa actualité. Son déroulement n’est pas seulement loin des préoccupations des auditeurs visés, cet évènement est tout simplement insaisissable pour l’antenne parce qu’il se traine en longueur et qu’un journaliste qui voudrait en rendre compte devrait attendre la fin des débats pour en faire une synthèse, pour recueillir des interview des participants, le monter et le proposer sur l’antenne. Ce temps là est trop long.

Donc première conséquence sur l’information, il y a une matière informative qui est de fait exclus par le flux.

Deuxième conséquence : puisqu’il faut nourrir le flux, puisqu’il faut faire vite, on exclut aussi ce qui, bien que nécessaire à la compréhension du réel, prend du temps. On exclut l’enquête au profit de l’illustration plus facile à réaliser. Prenons un exemple. La baisse du chômage. C’est d’abord un chiffre, une statistique. Puis des réactions positives et négatives autour de ce chiffre. Et un reportage dans une entreprise qui à par exemple embaucher un ou des chômeurs. Ce cas particulier va servir à illustrer une généralité quantifiée, la baisse enregistrée du nombre de chômeurs. Dans le reportage, on va entendre le patron dire qu’il a un regain de travail, d’où l’on déduira qu’il y a de la croissance dans son secteur d’activité, ou une plus grande efficacité de l’ANPE dans le placement des chômeurs, ou une adéquation entre les mesures gouvernementales et le besoin des entreprises, et un ex chômeur dire son bonheur de retravailler enfin. Ce qui est exclus, c’est le caractère précaire des emplois crées, la diversité des catégories de chômeurs encore en quête d’emplois, c’est la manière dont le chiffre est calculé. Le flux impose le cadre de réflexion de l’auditeur sur cette réalité qui est à prendre ou à laisser, alors qu’il faudrait la décortiquer pour la comprendre.

Deuxième conséquence, il y a à l’inverse des informations qui, parce qu’elles sont rapides à faire, faciles à expliquer, utiles à diffuser, vont être privilégiées par le flux. Ce sont tout d’abord tous les évènements prévisibles. Donc tout ce qui est institutionnel. Pas seulement la politique, la vie des partis, la vie parlementaire, mais tout ce que la radio peut préempter, et même précéder en proposant avant que l’évènement ne se produise des avant sujets. On sait par exemple que Sarkozy part en Inde, on peut faire le point des relations franco indiennes avant son départ, on peut aussi imaginer les contrats économiques au vue des besoins de l’inde et de la délégation de chefs d’entreprises qui accompagne le Pdt, bref, on a une matière première prévisible. Peu importe au final qu’il n’y ait aucun contrat signé ou que ces contrats ne soient que des intentions d’achats. Ce qui compte, c’est la présence et l’annonce à l’instant T. Mais c’est aussi valable pour les manifestations nationales. On peut avant même le défilé des manifestants mesurés les conséquences prévisibles pour l’auditeur citoyen. Qui va garder les gosses pendant la grève des profs ? Comment va se passer le Service minimum imaginée par le gouvernement ? Qu’elles sont les astuces des particuliers là où ce service minimum ne sera pas mis en place ? Etc.… le flux privilégie la communication, le contact, la mise en relation même quand il y a du fond mais en matière de politique, on sait que c’est la présence qui fait information, d’où les déplacements des ministres à la moindre difficulté quelque part. Le prototype, c’est la pollution. Si le ministre ne vient pas, c’est qu’il s’en fiche (souvenez vous de Dominique Voynet et la marée noire) si, le ministre vient, ca ne change rien à la réalité, ca la connote positivement.

Ce type de journalisme est celui que j’appelle journalisme de validation. Il ne nous apprend que ce que nous savons déjà ou supposons. Et il valide les institutions dans leur rôle en occultant certaines réalités. Par exemple, ce n’est pas Sarkozy qui vend des centrales nucléaires ou des avions, mais Aréva ou Airbus qui doivent probablement négocier depuis des mois voire des années. Mais ce qui reste dans l’esprit de l’auditeur, c’est que notre président est un VRP qui décroche des contrats, crées des emplois, bref irrigue l’économie par sa seule faculté de persuasion, sa seule présence physique. A l’échelle locale ou régionale, on a la même chose. Sur Toulouse, la mairie met des panneaux pour dire : ici, ces travaux procurent mille heures de travail. Elle ne le fait pas uniquement pour expliquer la gêne causée à la circulation. Elle dit indirectement que le maire, c’est l’homme providentiel qui crée des emplois. Pourtant, ce n’est ni son argent, ni forcément un choix. Quand une route est abimée, que la mairie soit de droite ou de gauche, il faut la réparer et y remettre du bitume, non ? Ce qui est important dans ce fait, c’est la durée des travaux, leur cout, et le moyen de contourner provisoirement la nuisance causé par les travaux en train de se faire.

L’autre type de journalisme évoqué, c’est un journalisme de miroir, celui liée à un type d’information, l’infotainement. C'est-à-dire l’information divertissement. Ce sont des faits crées de toutes pièces qui sont plus de la communication que de l’information. C'est-à-dire un contact, une mise en relation plutôt que des faits qui sont en rupture avec la norme et qui parce qu’ils sont en rupture, interrogent la société sur la remise en cause légitime ou pas de ses normes. Je vais donner un exemple d’infotainement. La journée sans voitures.
Elle a lieu tous les ans. Généralement le Dimanche. Autrement dit, un jour où par définition, il y a moins de voitures. Le succès ou l’échec de cette journée sans voitures ne peut donc pas être mesurés par un afflux de voyageurs dans les transports en commun, une moindre pollution, moins de bouchons sur la rocade, ni même plus de piétons ou de vélos puisque le Dimanche, on se déplace moins. Mais, pour la radio de flux qui aime la surface des choses, ce type de non évènement – comme les soldes – sont pain béni. Il suffit de faire parler des piétons heureux de marcher sans risque sur la route interdite aux voitures et d’interroger des automobilistes qui, parce que ce n’est pas politiquement correct d’être contre l’air pur, acceptent de bons grés le détour qu’ils sont contraints de faire.

Sur le fond, il n’y a pas d’information, pas de rupture avec le quotidien de ce qu’est un dimanche dans Toulouse avec ou sans journée sans voitures, mais comme ce fait se raconte vite, se saisit vite, est facile, grand public et fédérateur, il devient de l’information alors que ce n’est qu’une communication. C'est-à-dire un message voulu par une institution politiquement frileuse puisque si son but était vraiment de changer le comportement des gens, elle ferait cette journée sans voiture, un jour de semaine. Mais là, elle aurait la population contre elle, c’est évident. Donc, elle se paie de mots.

Le problème est que l’infotainement n’est pas qu’un type de faits, cela devient aussi une manière anecdotique de raconter désormais les faits importants au motif que pour les raconter dans le flux, il faut faire simple et fluide. Par exemple, le premier ministre annonce que la France est en faillite. Au lieu de travailler la question et de chercher à savoir si effectivement la France est en faillite, comment on le mesure, qu’est ce que cela signifie concrètement pour ses obligations, sur les remèdes à apporter, on pérore sur le fait de savoir si c’est le mot « faillite » est le mot juste, s’il n’est pas exagéré de dire cela, si le premier ministre a eu raison ou pas d’alerter ainsi les français qui vivent forcément au dessus de leur moyen puisque la France est en faillite etc… Et chaque fois que pour satisfaire une catégorie sociale, l’Etat trouve de l’argent, on ne se sert pas de cette question de la faillite réelle ou invoquée. bref, on ne traite pas le sujet lui-même, pas le cœur du sujet mais la périphérie des choses.

Ce fonctionnement du flux, la vitesse requise, font que finalement, l’information, c’est faire avec talent du surf. Le métier de journaliste s’en trouve modifié. Son role, c’est normalement de participer à créer face aux pouvoirs, un espace de débats et de liberté. Le flux , par sa vitesse, nous rend amnésique puisque sa logique, c’est celle du zapping de sujets en sujets et l’indépendance du journaliste n’est plus qu’une théorie. En effet, si seuls les sujets rapides à faire, ou prévisibles, ou qu’on peut préempter, ou grand public, fédérateur, peuvent entrer vite dans le flux parce qu’on sait en commandant le sujet ce qu’il y aura dedans, alors cela veut dire que le journaliste est l’outil du flux alors que la radio est au départ conçue comme un outil d’information qui, en théorie, ne doit chercher ni à plaire ni à déplaire, mais à informer, c'est-à-dire former le citoyen à la connaissance du réel pour lui donner les moyens de ses opinions. L’indépendance de choix du journaliste est donc menacé par ce double fonctionnement qui le transforme en exécutant d’une logique qui ne relève plus de sa volonté mais d’un mécanisme et de réflexe.

Fréderic Bourgade

On ne parles jamais aussi bien que de ce qu'on connait.
Belle réflexion.
Salut amical d'un Corse qui est passé par la Drôme
jean marie (simon) Padovani

Merci Frédéric pour cette analyse très intéressante.

deux commentaires, deux éloges. je ne suis pas habitué à ce traitement moi que l'on considère parfois comme un électron libre trop dérangeant. deux fois merci.

précision: j'ai publié sur ce thème un livre aux éditions l'harmattan : l'info radio recto verso, pour poursuivre la réflexion sur le service public, la radio en général, le journalisme radiophonique en particulier. voila, je ne sais pas si je suis ou non autorisé à signaler mon ouvrage sur le site, sachez qu'il existe et qu'il faut le commander pour l'obtenir.

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