Les dernières heures (extrait)

11/03/2008Par
Auteur: 
MediaPart

Extrait pp118 à 122:
« Il est maintenant près de 2 heures du matin, le mardi 24 juillet. Dans le hall de l’hôtel, je m’entretiens brièvement avec Cécilia Sarkozy et Claude Guéant, et leur fais part de mon pressentiment que cela va encore durer des heures, le système libyen n’acceptant jamais aisément de se voir imposer le tempo.

Faute de voir leurs efforts se concrétiser, Cécilia Sarkozy et Benita Ferrero-Waldner décident de se rendre dans l’avion, de même que la délégation française, qui signale son intention de décoller « avec ou sans les infirmières ». L’agacement monte du côté libyen, sans que l’on sache exactement pourquoi, vu que tous les problèmes sont réglés au niveau des négociateurs. Il faut probablement regarder plus haut.

Sur le chemin de l’aéroport, nous décidons par téléphone que je dois vérifier sur place à la prison Al-Judaida ce qui se passe. Le chauffeur de l’ambassadeur britannique déroute la Range Rover qui m’a été prêtée pour l’occasion, suivie par une Peugeot 807, et nous entrons sans problème dans l’enceinte pénitentiaire. A ce stade, on ne sait toujours pas clairement qui transportera les prisonniers à l’heure H.

Je me rends dans le bureau du directeur de la prison (…). Certes, il comprend que je souhaite avoir des informations précises, certes il entend que nous avions auparavant évoqué le fait qu’il me reviendrait d’informer les prisonniers des conditions de leur sortie, voire de les transporter, certes les véhicules sont prêts, mais voilà, il n’a « aucune instruction » et il a « du travail ».

Il me prie donc sans détour de quitter son bureau, ajoutant que je peux, si je le souhaite, « attendre dans la cour jusqu’à 4 ou 6 heures ». Sur le moment, je ne prête aucune attention à ce détail, mais il s’avérera plus tard que le personnel médical sera réveillé exactement à 4 heures et arrivera à l’aéroport à 6 heures ! Coïncidence, sans doute. (…)
Au moment de remonter en voiture, je tombe sur un visage connu, le directeur de la prison des femmes, de nomination récente, qui arrive en uniforme avec deux lourds classeurs sous le bras. L’heure n’est pas venue, mais visiblement il se passe quelque chose. Comme d’habitude, je ravale ma frustration et absorbe cette nouvelle leçon de patience.

Direction l’aéroport de Maâtiga, où je trouve une ambiance survoltée sur la piste (…).
Il est maintenant 3 heures du matin et rien ne se passe. Fatigue et nervosité prennent le dessus et plusieurs joutes oratoires opposent les deux parties. Claude Guéant décide d’envoyer trois membres de sa délégation (l’ambassadeur Sibiude, un policier et un collaborateur de l’Elysée) à la prison pour voir de quoi il retourne. Ils reviendront bredouilles, mais avec la certitude néanmoins que les choses sont en mouvement. (…)
Cécilia Sarkozy et Benita Ferrero-Waldner attendent maintenant depuis quatre heures l’arrivée « imminente » du personnel médical en faisant des allers-retours entre le salon VIP et l’avion.

Dans la cabine arrière, Zdravko Gueorguiev, mari de Christiana Valcheva, est nerveux. Je l’ai fait amener à l’avion à 2h30 du matin et il ne comprend rien à ce qui se passe. Je ne peux lui donner aucune explication, seulement l’engager à prendre patience (…).
Entre-temps, ayant reçu confirmation de la libération du personnel médical, la commissaire signe le document avec le vice-ministre El-Obeidi. Il sera transmis au moment du départ de l’avion. Les plus hauts officiels libyens quittent l’aéroport, comme s’ils ne voulaient pas voir le départ. (…)

Quelques minutes avant 6 heures, un autre convoi de véhicules tout-terrain de la police spéciale arrive à une allure de sénateur, pénètre sur le tarmac, s’immobilise devant le salon d’honneur. J’observe la scène depuis le haut de la passerelle de l’avion : cette fois, nous y sommes ! Le personnel médical descend des véhicules et s’engouffre dans le salon VIP.

L’atmosphère s’électrise d’un coup, c’est maintenant une soixantaine de policiers qui se déploient sur la piste. Une nouvelle « cérémonie » se tient à l’intérieur du salon d’honneur, chaque prisonnier devant signer l’accord d’extradition qui le concerne. (…)

Je tiens Valentina et Snejana par le bras, silencieuses. Nous sommes entourés de policiers manifestement nerveux. A leurs regards anxieux, à leur attitude qui frise l’hostilité, j’ai soudain l’étrange impression d’emporter un butin inestimable. Les cent mètres qui nous séparent de la passerelle me paraissent interminables. Cécilia Sarkozy et Benita Ferrero-Waldner embrassent les prisonniers longtemps attendus et l’embarquement s’effectue prestement, tant nous avons tous le sentiment que tout est éminemment réversible. A bord, je m’assure que les rideaux des hublots sont baissés afin d’éviter tout regard, tout geste inutile de part et d’autre. (…)

Je réalise alors que notre interminable attente avait commencé à l’heure de la prière du crépuscule et ne s’achève que peu après la prière de l’aurore.

A 6h15, la porte de l’Airbus peut enfin être fermée.»