Pub TV: Ce que disaient les députés en 68, lors d’un débat à très haute température…

23/01/2008Par

C’est dans un climat surchauffé qu’a lieu, les 23 et 24 avril 1968, le débat sur la motion de censure -en fait sur la publicité télévisée- à l’Assemblée nationale.

Auteur de l’appel à la censure, le député FGDS Roland Dumas attaque d’emblée en accusant le gouvernement de vouloir asphyxier, en siphonnant la manne publicitaire au profit de la télévision, une presse nationale et régionale coupable d’antigaullisme. Roland Dumas en vient à défendre La Dépêche de Toulouse (aujourd’hui du Midi), quand Jacques Marette, député gaulliste et frère de Françoise Dolto, s’écrie : « La Dépêche de Toulouse est un trust de collaborateurs ! », avant de railler sa propriétaire, « Mme Baylet » (1).

L’apparenté communiste Jacques Chambaz enfonce le même clou contre le pouvoir à propos d’une « presse d’opinion que vous jugez insuffisamment docile et insuffisamment souple » et en vient à citer Lamennais, vibrant chrétien social du XIXe siècle : « Dans ce système, il faut de l’or, beaucoup d’or pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas assez riches, silence aux pauvres. »

Le vieux radical-socialiste Hippolyte Ducos, député de la Haute-Garonne depuis 1919, humaniste à l’ancienne qui a l’habitude d’apostropher en grec la gaulliste des Côtes-du-Nord Marie-Madeleine Dienesch, cite avec émotion l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen  peut parler, écrire, imprimer librement. » Et il rappelle : « En mars 1939, il y avait, à Paris, 43 quotidiens. Il n’en reste que 13 aujourd’hui. »

Le lendemain 24 avril, le « progressiste » Pierre Cot, l’un des meilleurs orateurs du Palais Bourbon, monte à la tribune. Parlant sans notes, il fait la leçon au gouvernement qui entend passer en force par la voie de la réglementation. Mais Pierre Cot, dans un passage de son discours auquel la télévision de l’époque, incarnée par Danièle Breem, préfère ne donner aucun écho, lance ceci : « Certains pensent que la publicité constitue une partie de l’information. Non ! Informer, c’est renseigner objectivement, afin que celui à qui on s’adresse puisse, de lui-même et librement, faire son choix. Faire de la publicité, c’est orienter le choix. Si bien qu’entre information et publicité, il y a non seulement différence mais antinomie. »

François Mitterrand, quand vient son tour, blâme pour sa part « les programmes livrés aux fantaisies de ceux qui, sans conteste, disposent de l’argent » et avertit : « Les sommes mises en jeu sont tellement colossales dans un domaine qui touche d’aussi près la conscience publique. »

Le Premier Ministre Georges Pompidou, madré, répond en jouant à la fois sur la peur et le désir d’avenir  du pays.

La motion de censure obtient, le 24 avril, 236 voix sur une majorité absolue de 244 (un mois plus tard, celle sur les « événements de mai » un nouvelle motion de censure obtiendra 233 voix). Les dés sont jetés, malgré l’appel de Daniel Mayer, président de la Ligue des droits de l’Homme, à boycotter les firmes qui feront de la publicité à l’ORTF…

(1) Une telle assertion anticipait l’essai de Claude Llabres : La Dépêche du Midi et René Bousquet, un demi-siècle de silences (Fayard 2001).

Captures d'écran: archives INA.fr


Pub à tous les étages

Cher Antoine Perraud,

J'ai eu la naïveté de prétendre voir et écouter quelques extraits de ce débat en suivant le lien que vous proposez vers les archives de l'INA. Résultat : j'ai eu droit à une petite fenêtre - coincée entre un bandeau promotionnel pour un site d'annonces immobilières et un encart en faveur d'un site de rencontres - m'annonçant l'archive attendue : Le débat sur l'introduction de la publicité à la télévision enflamme les députés, mais aussi : Votre document après un court moment de publicité.

Comique, certes. J'ai donc un peu souri le temps d'ingurgiter une pub pour un jambon tranché sous cellophane (bonne qualité d'image, pas de problème) puis j'ai attendu de pouvoir visionner mon archive ; et j'attends encore, d'ailleurs. Manifestement, le serveur de pub de l'INA est autrement plus efficace que le serveur de documents, dont la bande passante ne doit pas autoriser deux connexions simultanées. Ce qui m'a laissé le temps d'apprendre que je pouvais acheter - pardon, "ajouter à mon panier", puisque nous sommes dans un supermarché - pour la modique somme de 3 € les 19 mn d'archives de JT vieilles de 40 ans.

J'ai aussi eu largement le temps de m'intéresser aux conditions de la transaction proposée : le fichier est tatoué, ce qui signifie que les usages que je pourrais en faire sont susceptibles d'être suivis à la trace, notamment pour me dissuader, au nom de la protection de la propriété intellectuelle, de donner ou échanger ce que j'ai pourtant acheté. Et enfin j'ai appris que 46 % du prix seront reversés aux ayants droits (les héritiers de l'ORTF ???).

A côté de cela, Mediapart à 9 € par mois et sans pub, c'est un vrai cadeau. On est tenté de signer des deux mains. Très habile, M. Perraud ! :-)

Plus sérieusement, il me semble que l'anecdote n'est pas sans rapport avec le thème de votre article, et avec la question plus générale de ce que nous sommes prêts à payer, par l'impôt ou les taxes, pour que la fameuse "société de l'information" ne se réduise pas à un immense et sinistre supermarché, avec pub et vigiles à tous les étages (quoiqu'avec la loi DADVSI et autres commissions Olivennes, nous nous engagions joyeusement dans cette direction-là...). Un vrai sujet de fond pour Mediapart, me semble-t-il.

Cher Gilles Garcia,

Ne pensez pas que j'aie voulu vous entraîner dans les rets d'un site en forme de guet-apens. Une fois les embûches paradoxales (puisqu'elles vous imposent de la pub dans un article qui la questionne sinon la dénonce !) passées, vous ne restez pourtant pas en rade après avoir cliqué le texte surligné : vous pouvez vous retrouver, dans le premier extrait, face à Pierre Cot, puis, dans le second extrait, face à Georges Pompidou, le 24 avril 1968. N'est-ce pas tout de même un apport — en forme de détour — important que de pouvoir ainsi juger sur pièces, même s'il a d'abord fallu en passer par de la réclame envahissante et intempestive semée par l'INA ? Retrouver la mémoire est au prix de petits désagréments, mais ceci ne doit pas totalement ternir cela, me semble-t-il.
Bien à vous cordialement,
A.P.

Cher Antoine Perraud,

Ne pensez pas de votre côté que mon billet exprimait une quelconque rancune à votre égard. J'ai au contraire apprécié votre article, et les liens vers les archives de l'INA que j'ai finalement pu visionner (si, si ! ... avec un peu de patience) et apprécier.

Je voulais seulement pointer le chemin parcouru - dans la mauvaise direction à mon sens - depuis l'époque de ce débat, quant au rapport entre publicité et intérêts commerciaux d'une part, accès à l'information et à la connaissance d'autre part. Le modèle économique qui a été imposé à l'INA me paraissait en être une "bonne" illustration.

Il me semble qu'il y a un débat, encore trop confidentiel aujourd'hui, à alimenter sur ce que nous sommes prêts à payer sur fonds public pour préserver ou développer l'accès libre et gratuit, la circulation, la réutilisation de ce qu'on pourrait appeler notre patrimoine informationnel commun (comme les archives de l'ORTF par exemple). Et il m'a paru que vous et Mediapart pouviez y contribuer, c'était le sens de mes lignes.

Bien cordialement,

Gilles Garcia

kairos

J'ai quelques difficultés à croire qu'un homme aussi clinquant que M. Sarkozy tienne la publicité pour l'oeuvre du diable dont il faudrait sauver les chaînes publiques... Redistribution du marché publicitaire... Cantonnement du concurrent généraliste qu'est France 2... Les bonnes intentions de l'enfer n'avancent-elles pas trop démasquées?