C’est dans un climat surchauffé qu’a lieu, les 23 et 24 avril 1968, le débat sur la motion de censure -en fait sur la publicité télévisée- à l’Assemblée nationale.
Auteur de l’appel à la censure, le député FGDS Roland Dumas attaque d’emblée en accusant le gouvernement de vouloir asphyxier, en siphonnant la manne publicitaire au profit de la télévision, une presse nationale et régionale coupable d’antigaullisme. Roland Dumas en vient à défendre La Dépêche de Toulouse (aujourd’hui du Midi), quand Jacques Marette, député gaulliste et frère de Françoise Dolto, s’écrie : « La Dépêche de Toulouse est un trust de collaborateurs ! », avant de railler sa propriétaire, « Mme Baylet » (1).
L’apparenté communiste Jacques Chambaz enfonce le même clou contre le pouvoir à propos d’une « presse d’opinion que vous jugez insuffisamment docile et insuffisamment souple » et en vient à citer Lamennais, vibrant chrétien social du XIXe siècle : « Dans ce système, il faut de l’or, beaucoup d’or pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas assez riches, silence aux pauvres. »
Le vieux radical-socialiste Hippolyte Ducos, député de la Haute-Garonne depuis 1919, humaniste à l’ancienne qui a l’habitude d’apostropher en grec la gaulliste des Côtes-du-Nord Marie-Madeleine Dienesch, cite avec émotion l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement. » Et il rappelle : « En mars 1939, il y avait, à Paris, 43 quotidiens. Il n’en reste que 13 aujourd’hui. »
Le lendemain 24 avril, le « progressiste » Pierre Cot, l’un des meilleurs orateurs du Palais Bourbon, monte à la tribune. Parlant sans notes, il fait la leçon au gouvernement qui entend passer en force par la voie de la réglementation [2]. Mais Pierre Cot, dans un passage de son discours auquel la télévision de l’époque, incarnée par Danièle Breem, préfère ne donner aucun écho, lance ceci : « Certains pensent que la publicité constitue une partie de l’information. Non ! Informer, c’est renseigner objectivement, afin que celui à qui on s’adresse puisse, de lui-même et librement, faire son choix. Faire de la publicité, c’est orienter le choix. Si bien qu’entre information et publicité, il y a non seulement différence mais antinomie. »
François Mitterrand, quand vient son tour, blâme pour sa part « les programmes livrés aux fantaisies de ceux qui, sans conteste, disposent de l’argent » et avertit : « Les sommes mises en jeu sont tellement colossales dans un domaine qui touche d’aussi près la conscience publique. »
Le Premier Ministre Georges Pompidou, madré, répond en jouant à la fois sur la peur et le désir d’avenir du pays [3].
La motion de censure obtient, le 24 avril, 236 voix sur une majorité absolue de 244 (un mois plus tard, celle sur les « événements de mai » un nouvelle motion de censure obtiendra 233 voix). Les dés sont jetés, malgré l’appel de Daniel Mayer, président de la Ligue des droits de l’Homme, à boycotter les firmes qui feront de la publicité à l’ORTF…
(1) Une telle assertion anticipait l’essai de Claude Llabres : La Dépêche du Midi et René Bousquet, un demi-siècle de silences (Fayard 2001).
Captures d'écran: archives INA.fr [4]
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/antoine-perraud
[2] http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&id_notice=I00015784
[3] http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&id_notice=I00015776
[4] http://www.ina.fr/