Colombie: ce que révèle l'ordinateur portable de Raùl Reyes, n°2 des FARC assassiné

06/03/2008Par

Comme beaucoup de guérilleros du XXIe siècle, Raùl Reyes avait son ordinateur portable en bandoulière. Mais, depuis que le supposé numéro 2 des FARC (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia) a été tué samedi 1er mars par l’armée colombienne, son outil informatique a changé d’épaule. Le gouvernement colombien d’Alvaro Uribe s’est empressé d’en dévoiler quelques-uns des secrets. MediaPart publie ces documents.

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Une trentaine de feuillets, essentiellement des correspondances entre les différents dirigeants des FARC et avec certains de leurs interlocuteurs, ont été transmis à la presse ces derniers jours, soigneusement surlignés par les services colombiens. Parce que ces documents consignent noir sur blanc quelques indiscrétions sur les relations entre les ravisseurs d’Ingrid Betancourt et le gouvernement d’Hugo Chavez, les Vénézuéliens ont crié à la manipulation et au faux. 

C’est une possibilité qui n’est pas à exclure, même si la plupart des officiels et des journalistes qui ont eu affaire aux FARC les jugent plausibles. « La dialectique contenue dans ces textes est proche de celle que j’ai pu voir dans d’autres documents, même s’ils sont un peu moins codés que d’habitude», explique le reporter et documentariste français Gilles Perez, qui a passé beaucoup de temps en leur compagnie ces dernières années.

Si ces écrits sont authentiques, ils ont néanmoins été soigneusement sélectionnés par l’armée colombienne qui, jamais en reste d’un exercice de propagande, a surligné en jaune les passages les plus croustillants. On ne sait donc pas ce que contenait le reste de l’ordinateur portable de Raùl Reyes. Néanmoins, cette lecture politiquement orientée est fort enrichissante.

On y voit ainsi confirmées les proches relations entre Hugo Chavez et les FARC. D’après le compte-rendu d’un entretien entre le président vénézuélien et un émissaire des guérilleros daté du 9 février dernier (pages 29 et 30), le premier remercie les seconds pour le « don » de 100.000 euros qu’ils lui avaient fait lorsqu’il croupissait en prison à Caracas, après son coup d’Etat raté du début des années 90. Il promet également de leur donner quelques « pétoires vieillissantes (…) mais en état de marche ».

Selon l’armée colombienne, plusieurs échanges entre dirigeants des FARC (pages 20 et 25) font également allusion à des sommes d’argent reçues ou à recevoir de la part du Venezuela, mais les mentions originales sont bien moins claires : les chiffres 300, 200 ou 50, sans unité de grandeur ni de devise, et la mention « dossier » restent assez énigmatiques. Cela n’a évidemment pas empêché la Colombie de clamer que le Venezuela avait versé 300 millions de dollars à la guérilla afin de renverser le gouvernement d’Alvaro Uribe.

Plus intéressantes sont les nombreuses mentions des négociations visant à libérer ou transférer les dizaines d’otages détenus par les FARC, dont Ingrid Betancourt et trois Américains. Selon ces documents, Hugo Chavez aurait proposé aux ravisseurs d’établir des zones d’échange de prisonniers en territoire vénézuélien. Les FARC s’y installeraient avec leur cinquantaine d’otages et les Colombiens y enverraient les 500 « prisonniers politiques » réclamés par les rebelles (pp 25-26). Ces « camps humanitaires » un peu étranges (le Venezuela deviendrait de facto l’hôte de kidnappeurs, inscrits sur la liste des mouvements terroristes par l’Union Européenne et les Etats-Unis) serviraient le temps des négociations qui devraient être approuvées par différents Etats d’Amérique du Sud et déboucher sur une reconnaissance de la guérilla.

Dans ce même texte du 14 janvier, les FARC se réjouissent ouvertement du « succès » et de la «couverture médiatique mondiale » de la remise de trois otage au président Chavez il y a deux mois. À de nombreuses autres reprises dans le document, les commandants rebelles se montrent réceptifs au bénéfice politique et médiatique qu’Hugo Chavez peut tirer de l’aboutissement des négociations pour libérer les otages, semblant le considérer ouvertement comme un allié. Ils évoquent même des propositions qui leur ont été faites pour toucher l’argent de la rançon des otages : quotas de pétrole à revendre à l’étranger dans un schéma qui ressemble fortement au système mis en place par Saddam Hussein pour contourner les sanctions de l’ONU dans les années 1990 ; vente d’essence en Colombie et au Venezuela, société d’investissement…

Autre anecdote, les révolutionnaires mentionnent à deux reprises la « marginalisation » de Cuba dans les négociations, et le ressentiment qu’en éprouvent les Cubains (pp 29 et 33). Hugo Chavez sait donc s’affranchir de son modèle quand bon lui semble… Pour Gilles Perez, cet aspect des documents est le plus important car « il montre que, contrairement à leurs communiqués publics, les FARC négocient activement la libération des otages, leur remise à Chavez et l’ouverture d’un processus de paix. Ils évoquent l’avenir et cherchent une issue à la situation. »

Pensant sans doute que cette fenêtre ouverte sur les plans et les méthodes des FARC n’était pas suffisante, les Colombiens ont apparemment eu la tentation de charger la barque en révélant un texte qui fait allusion à un hypothétique achat de 50 kilogrammes d’uranium par les rebelles. Pour quoi faire ? Le gouvernement d’Uribe sous-entend qu’il pourrait s’agir de fabriquer une « bombe sale », même si le texte évoque plutôt une revente pour du profit. Néanmoins, selon James Lewis, un expert américain de la prolifération nucléaire cité par le Miami Herald, « dans de nombreux cas de vente d’uranium, quelqu’un se fait généralement pigeonner. Soustraire 50 kilos d’uranium sans être repéré par les services secrets américains et européens paraît fort difficile. »

Enfin, dernière mention notable dans ces documents : les négociations avec un émissaire du gouvernement équatorien de Rafael Correa (pp 11-12). Les Colombiens présentent ces contacts comme une tentative d’apaisement avec un groupe terroriste, mais en réalité, cela fait longtemps que l’Equateur discute avec les FARC, à la fois sur la question des otages, mais aussi sur une forme de « coexistence pacifique » avec les rebelles qui jouent à saute-frontières. « Il n’y a aucune complaisance de la part de Correa à l’égard des FARC, explique Marc Saint-Upéry, traducteur et journaliste indépendant français installé depuis dix ans en Equateur. Correa ne reconnaît pas les FARC, mais sa frontière avec la Colombie est une passoire et il ne peut pas les empêcher de venir se ravitailler en Equateur. »

Au final, la publication de ces documents est la version colombienne des opérations de propagande croisées se jouant depuis le raid qui a tué Raùl Reyes. La Colombie a pénétré le territoire équatorien pour tuer le numéro deux des FARC. L’Equateur a réagi de manière véhémente en se scandalisant de cette violation (même si ce n’est pas la première du genre). Hugo Chavez est rentré dans le jeu en mobilisant ses troupes à la frontière. Les trois dirigeants des pays concernés, les deux « gauchistes » Correa et Chavez et le « droitier » Uribe, sont aujourd’hui engagés dans une partie de « ¿ Quien es mas macho ? » qui fait beaucoup de bruit (de bottes), mais qui n’a quasiment aucune chance de dégénérer en conflit armé régional. « Chacun joue une partition en fonction des ses intérêts intérieurs , commente Marc Saint-Upéry. Uribe unifie le pays derrière lui dans sa lutte sans merci contre les FARC, Chavez essaie de redorer le blason de sa popularité en chute libre, et Correa s’agite car il a été pris par surprise par le raid colombien. »

Vous pouvez télécharger l'intégralité des documents issus de l'ordinateur de Raùl Reyes en version PDF.

Bonjour.

Le climat semble sérieusement tendu à le suite de tous ces évènements. Les questions que je me pose après avoir lu votre article sont les suivantes :

- Il semble qu'il y ait eut de nombreux mouvements de troupes autour de la Colombie. Quel est l'état du risque de conflit dans cette zone ?
- Qu'en est-il des relations de la France avec les différents acteurs de cette histoire ?
- Le président Sarközy de Nagy-Bocsa est impliqué, semble-t-il assez indirectement, dans cette histoire, quelles sont les conséquences de cette implication ?
- Si par malheur un conflit éclatait, quel pourrait être le rôle de la France ?
- Sachant que le gouvernement a très récemment entrepris de lutter sérieusement contre le traffic de Cocaïne, et que N. S. entend libérer Ingrid Betancourt... Ces attitudes traduisent-elles un début de prise de position ?

D'avance merci si vous pouvez m'aider à me renseigner. Selon moi l'éclat d'un conflit maintenant serait une catastrophe. Nous n'avons vraiment pas besoin de ça, et j'espère que la France fera tout ce qu'elle peut pour faire jouer son savoir-faire diplomatique "à la Française".

Et un grand merci et de sincères voeux de réussite pour Mediapart. Ce projet ambitieux, s'il tient sa parole, est un ange-gardien de la démocratie. Bon courage !

Deux liens qui peuvent être utiles à la compréhension des enjeux de cette région du monde :

http://socio13.wordpress.com/

http://www.legrandsoir.info/index.php

Vous dites "le Venezuela avait versé 300 millions de dollars à la guérilla afin de renverser le gouvernement d’Alvaro Uribe". Le gvt colombien n'a jamais accusé le gouvernement vénézuelien de vouloir le renverser. Le pdt Uribe a simplement dit que cela était la preuve (douteuse néanmoins) d'une accoitance entre Chavez et les FARC

Vous dites également que que selon G. Perez il existerait une volonté de négociation des FARC. MAis il faut avant tout mettre en relief l'instrumentalisation des otages. Il faut rappelerr que cette affaire des otages, voire même cette crise, tombe à point pour deux régimes qui s'érodent fortement de l'intérieur. Le vénézuela souffre aujourd'hui une crise d'approvisionnement de denrées alimentaires, puisque le marché intérieur de denrées alimentaires dépend à 70% des importations! Cette question de instrumentalisation me semble très importante à rappeler.

Une chose est sure aussi avec les révélation que vous faites ici, c'est que Sarko n'apparaît nulle part ici. Mais force est de constater que la France dans cette affaire est loin de tenir une position lisible. Sarkosy, semble, comme diraient les colombiens, être entrain de " mettre les doigts dans toutes les prises pour voir dans laquelle il y a du courant". Or, il oubli que le problème des otages va bien plus loin que celui d'un franco colombienne qui s'est mises dans la gueule du loup. Est c'est dans cette complexité qu'il devrait montrer son jeu et se brancher avec sa stratégie dans la bonne prise!

on peut discuter les méthodes des Farc, les détester même mais il ne faut pas déformer les faits. Les paramilitaires ne séquestrent pas, ils assassinent et leurs victimes sont incommensurablement plus nombreuses que celles des FARC.

De surcroit dans l'affaire qui nous occupe ce qui est en cause est le massacre non seulement d'un négociateur qui avait reçu des assurances y compris d'Uribe lui-même mais semble-t-il on l'apprend aujourd'hui de 5 à 10 étudiants mexicains venus avec leur professeur observer les Farc. Il est sûr que reyes devait se croire dans une grande sécurité pour accepter de recevoir une telle délégation.

C'est ce qui a rendu Correa, le président de l'equateur et Chavez du venezuela fous de rage, ils ont eu le sentiment d'avoir été dupé dans leur bonne foi de négociateurs ayant donné des garanties. Là-dessus Uribe s'est mis à les accuser de n'importe quoi, et c'est là que se place l'utilisation des fichiers.
mais tout cela se retrouve sur :
http://socio13.wordpress. com/
Uribe a reconnu l'aide des Etats-Unis dans l'opération et tout faisait craindre à l'equatorien comme au venezuelien une utilisation contre eux sous couvert d'une pseudo complicité avec les "terroristes", alors même que URibe était au courant jour après jour des négociations et les avait accepté.

uribe a fait la preuve qu'il ne voulait pas libérer les otages, que cherchait-il ?

La vraie question est pourquoi la presse française ne fait-elle pas état de ces faits alors même que l'on sait également qu'à 200 kilomètres du lieu du massacre se trouvaient trois négociateurs français qui se rendaient au point de contact.

Même votre souci de sa voir ce qu'il y avait dans l'ordinateur évite cette question et suppose acquis ce qui ne l'est pas et ce que réclament de la part de tous aussi bie n l'equateur que le venezuela à savoir la dénonciation de l'ingérence, la reconnaissance que la négociation ne faisaient pas d'eux des complices du terorisme pas plus que sarkozy.
estrella

Ça fait beaucoup de commentaires autour de "documents" publiés par une des parties du conflit... mais certifiés d'origine par quel tiers indépendant et reconnu pour sa probité et ses compétences? Si ces preuves sont du même tonneau que l'anthrax bidon de Collin Powell, nous voilà bien avancés.

A la lecture des informations révélées par les médias, deux questions m'interpellent:

la première: comment les forces colombiennes auraient-elles récupéré l'ordinateur de Raul Reyes, après avoir bombardé son camp? L'ordinateur aurait-il été miraculeusement épargné?

la deuxième concerne les allégations du gouvernement colombien qui affirme que les FARC étaient en train de fabriquer une bombe utilisant des matériaux nucléaires: comment, au beau milieu de l'Amazonie, les FARC pourraient-ils fabriquer une bombe atomique à partir d'Uranium? Cela n'exige-t-il pas du matériel poussé, des laboratoires, des chercheurs?

Non pas une bombe atomique, Simon,
mais ce qu'on appelle une "bombe sale", la "bombe atomique du pauvre".

En effet, on n'a pas les moyens technologiques et industriels d'enrichir l'uranium, encore moins de provoquer la fission des atomes dans une explosion.
On fabrique en fait une bombe conventionnelle, mais on dispose l'uranium (ça peut être aussi des déchets nucléaires) sur la bombe, pour que l'explosion "empoisonne" l'environnement immédiat avec la radioactivité qui se dégage de l'uranium.

Ca m'étonnerait beaucoup que les FARC aient réussi à se procurer de l'uranium, mais je ne connais pas le sujet...

Ils n'ont pas envoyé un B 52 mais un matériel trés sophistiqué qui, selon les dires du ministre de la défense colombienne, exigeait l'aide de l'armée nord-américaine, ce qui fait des frappes ajustées. Il est clair que nous sommes en plein bourrage de crâne, c'est le même numéro que celui de Colin Powell à l'ONU en plus lamentable. Donc je trouve que l'article ci-dessus est typique des moeurs de notre presse, on ignore tout du contexte mais on veut donner l'impression d'une enquête sérieuse alors on s'encombre de détails émanant bien sûr en matière d'information toujours des mêmes.
je crois que cela pose tout le problème de la formation de nos journalistes, leur initiation au gadgets pour mieux éviter le fond des questions. Remarquez c'est trés bien que nous puissions ainsi exercer notre esprit critique sur un "papier", il faudrait mieux former non seulement les journalistes, mais les lecteurs.

A croire aux infos de El Espectador (JDD à la colombienne), le M16 britannique aurait eu la trace de Raul Reyes en Roumanie où il cherchait à nouer des contacts pour l'achat de matériel radioactif.
http://www.elespectador.com/impreso/cuadernilloa/politica/articuloimpres...

les infos à la Colimbienne me paraissent suspectes, est-ce qu'il ne s'agit pas d'un des pays où le meurtre des journalistes par les paramilitaires est le plus considérable ?

Je suis trés dubitative devant les informations "données" par la Colombie... n'oublions pas le rôle des Etats Unis qui fait tout pour maintenir son emprise sur l' Amérique du Sud au mépris souvent de la démocratie dont ils se foutent éperduement...
Quant à la Colombie et à son président "élu" (??) il faudrait vraiment mettre à plat la réalité du pays, le pourquoi des FARQ, le pourquoi de la drogue, le pourquoi de la grande pauvreté d'une partie de la population...

Faites nous une véritable enquête sur la Colombie... les informations tronquées, truquées ne servent pas la Vérité.!