Infirmières bulgares : le négociateur européen révèle comment Sarkozy "s'est prêté au jeu de Kadhafi"

11/03/2008Par

Mediapart a rencontré Marc Pierini, ancien chef de la délégation de l’Union européenne en Libye, à la veille de la parution de son livre, Le Prix de la liberté (Actes Sud), consacré aux coulisses des tractations qui ont abouti en juillet 2007 à la libération des infirmières et du médecin bulgares, accusés d'avoir injecté le virus du sida à des enfants. Nous publions les "bonnes feuilles" de son récit, en librairie le 11 mars, et un entretien.


« La victoire a mille pères »
, dit un proverbe libyen. « De fait, la paternité du succès diplomatique et humanitaire [de l'élargissement des infirmières] s’est avérée prolifique », ironise Marc Pierini, dans son essai (1). La France, en particulier, a revendiqué ce succès haut et fort, après qu’un Airbus de la République a ramené les infirmières à Sofia, le 24 juillet 2007, mettant un terme à huit années de détention. Mais Marc Pierini, hier négociateur de l'Union européenne à Tripoli, aujourd’hui en poste en Turquie (avec rang d’ambassadeur), rappelle ici que l’action de la commission européenne dans ce dossier fut bien antérieure, bien plus constante, que celle de Paris.

Dans une langue diplomatique, qui suppose de déchiffrer quelques euphémismes, il revient sur le "coup" réalisé par Nicolas Sarkozy, sur les mauvaises manières faites à l’Union, sur les contreparties –au moins symboliques- concédées par la France. En clair, il relate une autre histoire que celle construite par l’Elysée. Marc Pierini détaille ainsi le seul « vrai moment de courage politique »: non pas la bravoure supposée de Cécilia Sarkozy, dépêchée sur place en juillet 2007, mais celle de Benita Ferrero-Waldner, sa "patronne", commissaire européenne en charge des relations extérieures de l’UE,  affrontant en 2004 les familles libyennes des enfants atteints du sida, persuadées de la culpabilité des infirmières. Si la commissaire, dans la préface qu'elle a rédigée au livre, remercie les fonctionnaires de l'UE et les diplomates de divers pays (dont la France), elle "oublie" le couple présidentiel… Tout est dit.

(1) Le prix de la liberté, Libye, les coulisses d’une négociation, publié chez Actes Sud, mars 2008, 18 euros

Pour découvrir quatre extraits au format Pdf, cliquez sur la couverture


Si vous voulez les lire en format Word, cliquez sur l'un des liens suivants
:
- Le poing levé de Kadhafi au seuil de l'Elysée
- Les dernières heures
- La surenchère
- Cécilia Sarkozy dépose la commissaire européenne
.

Mediapart : Pourquoi publier un livre, sept mois après le dénouement de cette affaire?

Marc Pierini : Je voulais relater le rôle joué par la commission européenne et montrer que la libération du personnel soignant n’était pas tombée du ciel simplement parce qu’un avion de la République française avait été envoyé en Libye. Dans l’emballement médiatique de juillet 2007, on aurait pu comprendre que ça s’était passé ainsi, en 48 heures… Je souhaitais remettre le travail de chacun en perspective, celui de la diplomatie britannique par exemple. Tout le travail accompli depuis octobre 2004.

Mediapart : Quelle appréciation portez-vous sur l’intervention française?

Marc Pierini :  Elle s’est avérée décisive sur un point bien précis : une fois que les aspects financiers et juridiques du dossier avaient été réglés [en particulier les modalités d’indemnisation des familles des enfants atteints du sida], le colonel Kadhafi a voulu jouer en plus une partie politique… La France s’est prêtée à ce jeu-là.

Mediapart : Vous écrivez que le premier voyage de Cécilia Sarkozy et Claude Guéant (secrétaire général de l’Elysée), le 12 juillet à Tripoli, a fait « monter les enchères ». Le colonel Kadhafi a-t-il profité de l’irruption de la France dans ce dossier?

Marc Pierini : Durant une période considérable, la Libye avait été privée d’armes par un embargo international ; elle avait dû rendre les équipements de son programme de recherche nucléaire, des tonnes de matériel remis aux Etats-Unis à grand fracas… Alors elle voulait, en plus de sa réhabilitation, une forme de revanche symbolique. Pendant plusieurs années, Tripoli a ainsi essayé d’obtenir de Londres la libération d’Abdelbasset Al-Megrahi [agent libyen condamné en Grande-Bretagne pour son rôle dans l’attentat de Lockerbie], en contrepartie de l’extradition des infirmières et du médecin bulgares. Pour le colonel Kadhafi, c’était le deal idéal. Mais les Anglais ont toujours rejeté ce jeu-là, refusé de satisfaire le désir de symétrie du leader libyen. Il s’est donc tourné vers la France et son président, qui avait signifié, durant la campagne présidentielle, qu’il était prêt à discuter..

Mediapart : Que pouvait offrir Paris ?

Marc Pierini : Parce que la communauté internationale l’en avait longtemps privée, la Libye voulait des armes et une centrale nucléaire. Non par besoin, mais par principe, comme une réparation psychologique. Elle ne les aurait jamais obtenues des Etats-Unis, ni de l’Allemagne, ni de la Grande-Bretagne. La France s’est prêtée à ce jeu-là –qui n’était jouable par aucun autre Etat. Ca lui a coûté un certain nombre d’actes diplomatiques, comme la visite de Kadhafi à Paris.

Mediapart : Que serait-il advenu, sans l’intervention de la France?

Marc Pierini : Elle a été le déclencheur. La libération aurait probablement traîné encore, même s’il était de plus en plus difficile pour le colonel Kadhafi de faire durer...

Mediapart : Quel a été le degré de coordination –ou de confusion- entre l’Elysée et la commission européenne? Vous dîtes qu’il a fallu «réconcilier» leurs positions…

Marc Pierini : Lors de la première visite en Libye de Cécilia Sarkozy et de Claude Guéant, le 12 juillet, la France a joué solo. Ce voyage s’est fait à rebours, au mépris des procédures en cours dans l’Union européenne. La commission n’en avait pas été informée : c’est moi qui l’ai appris, une heure avant l’atterrissage de l’avion. Le coup de fil pour briefer Benita Ferrero-Waldner, la commissaire en charge du dossier à Bruxelles, n’a eu lieu que le lendemain.

S’est posée ensuite la question de savoir si cette démarche française pouvait rester autonome… C’était évidemment impossible, non que la commission soit susceptible, mais pour des raisons strictement juridiques : le mémorandum sur les relations futures entre la Libye et l’UE, qui faisait partie du paquet final en discussion avec le colonel Kadhafi, ne pouvait être élaboré par un Etat membre ; c’était la prérogative exclusive de la commission. Benita Ferrero-Waldner l’a fait comprendre, lors d’une réunion à l’Elysée le 19 juillet. Nicolas Sarkozy lui a dit ce jour-là qu’elle ferait partie du deuxième voyage, le 22.

Mediapart : Dans un récent livre (2), deux journalistes rapportent des propos de Cécilia Sarkozy et affirment qu’elle a déclenché la libération des infirmières, dans la nuit du 23 juillet, en dépêchant ses gardes du corps à la prison ; ses hommes auraient fait « sauter les verrous des cellules avec leurs armes de poing ». Qu’en pensez-vous?

Marc Pierini : C’est totalement faux ! Les deux seuls agents de sécurité français armés sont restés à l’aéroport avec nous, à patienter. Si l’un d’eux est bien parti à la prison vers 3h30, accompagné de l’ambassadeur de France et d’un haut-fonctionnaire, il est rentré bredouille 45 minutes après. L’autre garde du corps est resté scotché à Cécilia Sarkozy.

Mediapart : Cette nuit-là, comment se sont passées les dernières heures?


Mediapart : Etes-vous satisfait du dénouement de cette affaire ?

Marc Pierini : Je regrette que le médecin et les infirmières aient dû signer au dernier moment une décharge, un document dans lequel ils s’engagent à ne pas poursuivre l’Etat libyen. Certaines ont estimé que cet épisode était de même nature que les aveux [qui leur avaient été extorqués sous la torture]… Enfin, dans le discours des Occidentaux, il a manqué une expression claire du fait que nous avons la certitude scientifique de l’innocence du personnel médical bulgare. Il faut désormais pousser la Libye à reconnaître que l’infection du VIH était présente à l’hôpital de Benghazi avant l’arrivée des infirmières.

(2) Ruptures, Michael Darmon et Yves Derai, éditions du Moment, janvier 2008

Premier (trop tard, j'ai tenté de corriger mes fautes donc 2ème (vive le spam)), à faire un commentaire je me permets de vous signaler qu’on a déjà eu une enquête sur les faits avérés de cette histoire à la TV (mais éventuellement pas en France)…

Le monsieur que vous questionnez n’a absolument pas tort… mais…

Il oublie, lui aussi, le nombre incroyable de pays qui ont discuté avec la Lybie sans passer par l’UE… combien de ces pseudo «petits» pays on fait évoluer les choses et donc permis à l’UE de faire ce qu’il décrit justement… (mais, seulement après-coup)

Il est reconnu ailleurs, même dans des pays qui n’ont pas bougé le petit doigt, que la France a fait quelque chose pour se placer sur l’échiquier politique… plutôt que «d’aider» (affiches électorales) !

Il paraissait manifeste, et cela le devient plus encore après lecture de cet entretien, que Monsieur le Président de la République est décidément prêt à tout et à n'importe quoi pour obtenir quelque gratification sondagière. C'est très précisément ce type de comportement (que je n'ose qualifier de politique) qui porte un préjudice considérable à la fonction présidentielle.
Bien entendu, il est assez regrettable que ces préoccupations distraient Monsieur le Président de la République de la nécessité de mener une politique cohérente et, autant que faire se peut, coordonnée au niveau européen.
Monsieur le Président de la République choisit ses priorités.

Une question au sujet de l'agent libyen incarcéré en Grande-Bretagne : j'avais lu que des doutes consistants s'étaient fait jour sur sa culpabilité et que l'enquête allait peut-être être réouverte. Qu'en est-il au juste ?

Concernant le doute… vous n’êtes de loin pas le seul…

Une confirmation salutaire de la politique de batteleur menée par l'omniprésident. Pour ce petit monsieur, l'important n'est pas ce qui est dit mais de le dire...Minable.

Mm. Qui détient la vérité sur Sarkozy ? Certainement pas eux :
L’UMP, un posse pas si massive

Retrouvez Marc Pierini et toute la saga des infirmières bulgares ainsi que le rôle de la FRANCE et du Qatar dans cette affaire en visionnant le Temps Présent de la télé suisse. Voici le lien: http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=370501&sid=8514125

Merci d’avoir donné ce liens direct dont je parlais plus haut ; TSR ou TV5 (d’autres chaînes ne rentrant pas en ligne de compte… !), je ne savais plus…