EADS : dix ans d’histoire mouvementée

07/03/2008Par


Le 22 juillet 1998
, le projet de fusion entre Aérospatiale  et Matra est annoncé. L’Aérospatiale est alors une entreprise totalement publique. Elle a des activités dans la défense (missiles, missiles balistiques, hélicoptères –Eurocopter-), le spatial (Arianespace), et l’aéronautique civile (elle est membre fondateur et détient 39,7% du Groupement d’intérêt économique (GIE) Airbus, qui regroupe également l’allemand Deutsche aerospace, devenu Dasa, l’espagnol Casa et le britannique British aerospace, devenu Bae systems). Matra, qui possède d’autres activités dans les médias, l’édition (Hachette) et le transport (Matra automobile) est présent dans le monde militaire surtout par le biais de son activité missile (Matra hautes technologies). Le gouvernement Jospin pousse au rapprochement des deux entreprises pour constituer un ensemble français capable de nouer par la suite des alliances européennes. Car il redoute la constitution de groupes européens de défense, excluant la France. La direction d’Aérospatiale, elle, demande, depuis des mois l’ouverture de son capital afin de pouvoir nouer des alliances avec des partenaires européens. Matra, qui livre une guerre sans merci à l’Aérospatiale dans les missiles depuis des années, cherche lui à étendre son influence.

Le 14 février 1999, le décret de fusion entre Aérospatiale et Matra est signé. Alors que les actifs de Matra hautes technologies sont évalués à l’époque autour de 1 milliard d’euros et ceux d’Aérospatiale autour de 17 milliards, le rapprochement se fait sur la base d’un tiers du capital pour Matra et deux tiers pour l’Etat. L’Etat s’engage dans cet accord à mettre en Bourse une partie du capital du futur ensemble afin de détenir moins de 50% capital. Les titres détenus par l’Etat sont logés dans une structure nommée Sogepa, ceux de Matra seront placés dans une entité  du nom de Desirade. Ces deux structures serviront par la suite de base pour le montage capitalistique d’EADS. Jean-Luc Lagardère est nommé président du nouvel ensemble.

Le 10 juillet 2000, EADS est lancé et introduit en Bourse. Après de longues négociations qui ont duré plus d’un an, les gouvernements français, allemand, et espagnol ainsi que les actionnaires privés Lagardère et DaimlerChrysler ont décidé de regrouper leurs activités aéronautiques et de défense au sein d’une même structure. Une nouvelle fois, alors que les activités de l’allemand DASA représentent environ 40% du nouvel ensemble, il est décidé de réaliser pour des raisons politiques un rapprochement sur une base égalitaire, 50-50 entre Français et Allemands. Daimler Chrysler, représentant des intérêts allemands prend 30,19% du capital d’EADS. L’Etat et le groupe Lagardère en détiennent chacun 15, 1%, l’Etat espagnol représenté au sein d’une holding Sepi prend 5,52%. Le reste du capital (34%) est placé auprès du public. Cependant, à la demande du président de DaimlerChrysler, Jürgen Schrempp, très hostile à la présence du gouvernement français dans le groupe, il est créé un montage qui donne à l’Etat français des droits économiques mais lui interdit d’avoir toute représentation au sein du conseil d’administration d’EADS. Une nouvelle entité, la Sogeade, regroupant les actions détenues par l’Etat au travers de la Sogepa, et celles du groupe Lagardère placées dans la société Desirade, est créée. C’est elle qui assume la  gestion des titres et définit la ligne de conduite des intérêts français au sein d’EADS. La présidence de cette société est confiée à un représentant de l’Etat. Mais seuls les administrateurs du groupe Lagardère ont le droit de siéger au conseil d’EADS. La nouvelle société est immatriculée aux Pays-Bas et placée sous droit néerlandais.
Enfin, pour assumer un parfait équilibre entre Français et Allemands au sein d’EADS, il est décidé de mettre en place une double gouvernance à chaque niveau de responsabilité.

Le 14 mars 2003, Jean-Luc Lagardère décède. Le fragile édifice d’EADS, bâti entièrement autour de lui et auquel l’Etat français avait accepté de confier tous ses intérêts, se lézarde. La guerre de succession s’engage dans le camp français entre Philippe Camus, président exécutif d’EADS et Noël Forgeard, président d’Airbus.

28 juin 2005. L’état-major d’EADS est réorganisé. Soutenu par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, Noël Forgeard l’emporte sur Philippe Camus et prend la co-présidence d’EADS avec Tom Enders.

28 novembre 2005. Manfred Bischoff, président de Daimler Chrysler, et Arnaud Lagardère, président du groupe Lagardère, informent le ministre des finances, Thierry Breton de leur intention de céder des titres EADS.

1er mars 2006. Le comité des actionnaires d’EADS est informé des problèmes de fabrication et de livraison rencontrés par le nouvel avion d’Airbus, le gros-porteur A380. Mais ces difficultés restent secrètes. Le groupe, lors de la présentation de ses résultats, le 7 mars, fait un communiqué triomphant. Jamais, le groupe n’a gagné autant d’argent et pour la première fois, Airbus a vendu plus d’avions que son concurrent Boeing.

4 avril 2006. Annonce de la cession par Lagardère et DaimlerChrysler de la cession de 7,5% de leurs titres EADS. Si le groupe allemand a vendu ses actions sur le marché, Lagardère a cédé les siens auprès d’investisseurs institutionnels dont la Caisse des dépôts. Un montage compliqué lui permet de garantir le prix de vente de ses actions au cours de mars 2006, mais de les céder par tranche entre juin 2007 et juin 2009. Ce dispositif a l’avantage, en outre, de conserver au groupe Lagardère tous ses droits de vote pendant cette période, afin de maintenir l’équilibre entre le groupe et l’Etat français et au sein des actionnaires d’EADS.

13 juin 2006. EADS annonce d’importants retards dans les livraisons du A380 et des perspectives de résultat en forte baisse. Le titre chute de 26% à 18,73 euros. Fin juin, Noël Forgeard est contraint d’abandonner la présidence d’EADS. Il part avec 8,4 millions d’euros d’indemnités. Il est remplacé par Louis Gallois, qui cumule la présidence d’EADS et celle d’Airbus. Des actionnaires déposent plainte pour fausses informations et délit d’initiés.

Automne 2006. EADS est en crise industrielle, et actionnariale. Un plan de restructuration industrielle, conduisant à la suppression de 10000 emplois est lancé tandis que les livraisons de l’A380 sont repoussées de plus de dix-huit mois et le programme du moyen long-courrier A350 est totalement revu à la baisse. Profitant de cette période troublée, la banque publique russe Vnechtorgbank (VTB), très proche du Kremlin, prend officiellement 5,02% du capital d’EADS. Selon certaines sources, elle serait même montée jusqu’à 7-8%. Son objectif : faire pression sur EADS et sur les gouvernements allemand et français pour aider la Russie à moderniser ses activités aéronautiques et de défense et exiger des transferts de technologies. Dans le même temps, DaimlerChrysler, en proie à de lourdes difficultés avec sa filiale américaine Chrysler, veut céder encore 7,5% pour descendre de 22,5% à 15%. La vente est bloquée par l’Etat allemand. Elle n’est réalisée que quelques mois plus tard, des banques publiques et des institutionnels allemands acceptant de reprendre cette participation.

16 juillet 2007. Lors du 28e sommet franco-allemand, réuni à Toulouse, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel annoncent une simplification des structures de commandement d’EADS. Le principe de co-gouvernance est supprimé. Louis Gallois prend la présidence d’EADS, Tom Enders celle d’Airbus. Mais les deux gouvernements souhaitent aller plus loin dans la remise à plat de l’organisation du groupe. Le principe d’une golden share, ou action spécifique, est évoqué. L’Etat allemand ne paraît plus exclure d’entrer au capital pour préserver ses intérêts. Il s’est déjà se faire entendre  pour obtenir la sauvegarde de sites ou de transferts de production dans les usines allemandes d’EADS.

Automne 2007.
Alors que l’autorité des marchés financiers (AMF) continue d’enquêter sur d’éventuels délits d’initiés et sur l’information financière d’EADS, une série de révélations dans la presse met en lumière que les hauts dirigeants du groupe et certains de ses actionnaires connaissaient, dès février–mars 2006, les difficultés rencontrées dans l’élaboration du A380 et la conception du A350.  Ces informations n’ont été rendues publiques qu’en juin. Entre-temps, la plupart des dirigeants ont vendu tout ou partie de leurs stock-options et les deux principaux actionnaires privés, DaimlerChrysler et Lagardère, ont cédé une partie de leur participation. Des auditions publiques des principaux responsables ont eu lieu au Sénat et à l’Assemblée, sans rien donner. L’enquête de l’AMF est toujours en cours.

Merci à Martine Orange pour ce rappel de l'historique. C'était nécessaire.