Des développeurs-journalistes ? par Ned Baldessin

Le web, support de MediaPart, est un écosystème particulier, et il semble que vous soyez sensibles à certaines de ses qualités : multimédia, participation des lecteurs, sélections de contenus extérieurs, etc.

Par contre, je ne trouve nulle trace dans le projet de la dimension "informatique" du traitement de l'information que permet le media web. Je veux parler de projets qui mêlent journalisme et développement web, dont l'exemple canonique est Chicago Crime (http://chicagocrime.org), ou plus récemment le WikiScanner (http://wikiscanner.virgil.gr/). Je suppose que vous connaissez les travaux d'Adrian Holovaty pour le washingtonpost.com (à lire absolument). Il serait judicieux d'intégrer dans la rédaction même des developpeurs-journalistes, qui pourraient compiler des sources dans des bases de données, en faire des extractions intéressantes, ou créer des outils en ligne de consultation de ces données.

Autrement dit, MediaPart n'est-il pas encore trop influencé par le format de l'article traditionnel ? Ajouter du multimédia et des commentaires est certes intéressant, mais pas suffisant. Utiliser des bases de données demande un certain saut conceptuel aux journalistes : appréhender l'information sous forme sérielle, trouver des motifs répétitifs, les compiler, trouver la requète qui va faire émerger du sens. Cela demande surtout de solides compétences techniques de programmation. J'aimerais voir une multitude de mini-sites MediaPart, conçus comme des outils : un répertoire géant des hommes politiques par exemple, qui regrouperait l'historique de leur mandats et de leurs votes, et permettrait suivre leurs activités via RSS, de les contacter (comme le fait http://writetothem.com, anciennement Fax Your MP), etc. Il faut que développeurs et journalistes se rencontrent et travaillent ensemble, les possibilités sont immenses.

La question soulevée est très pertinente. J'ajouterais à la liste d'exemples d'outils GapMinder (http://www.gapminder.org) qui un archétype de l'utilisation intelligente de l'outil informatique i.e. offrir un outil d'appréhension, voire de compréhension, du monde.

Cependant, le développement de tels projets demande de sérieuses ressources qu'une entreprise naissante ne dispose pas nécessairement. Difficile de trop s'éparpiller en phase de démarrage. On pourrait toutefois imaginer une ouverture de Mediapart à des développements externes pouvant se greffer sur le système, de laisser l'opportunité à des développeurs externes la possibilité de contribuer à l'enrichissement fonctionnel du système. Même si ceci requiert une sérieuse gestion de projet et la mobilisation de quelques ressources à temps partiel ou complet, la perspective d'un web media qui s'ouvre à une communauté de développeurs pour des extensions fonctionnelles est très enthousiasmant...

Les moyens nécessaires ne sont pas démesurés : une ou deux personnes à temps plein, qui utilisent les outils les plus "agiles" possibles (Ruby on Rails, Django, etc). Je crois que faire du développement web au sein d'une rédaction nécessite aussi certains changements de méthode : faire plus simple, aller à l'essentiel. Si on considère le développement d'un mini-site comparable à l'écriture d'un article, les délais très courts pourraient étonner plus d'un développeur. Je pense qu'il faut pouvoir sortir quelque chose en 48h.

Ceci-dit, vous avez raison, MediaPart pourrait naturellement faire appel à des indépendants pour travailler sur des projets ponctuels. Ce dont j'ai peur est qu'aucun journaliste de la rédaction aie le réflexe de se dire : de telle idée, nous pourrions faire un outil.

Excellentes remarques. Sur ces sujets, un détour par http://aixtal.blogspot.com/ parait indispensable ! Jean Véronis, archétype du développeur-journaliste..?

Surtout pas!!

Ce que j'attends de Mediapart, c'est bien au contraire de prendre du recul avec ces multitudes d'informations croisées (comme gapminder), triées (chicagocrime.org) et parfois malmenées, les désinformations et rumeurs qui prennent une ampleur démesurée (Carla Bruni enceinte sur aixtal.blogspot).

De prendre du recul, et de les réhumaniser, c'est à dire de les analyser et de ramener à leur véritable dimension pour les humains que nous sommes.

D'abord en retirer l'écume, toute la mousse, d'aspect plus ou moins crasseuse , et qui masque le magma substantiel.

Puis en retirer les informations qui font le sens, ou donner un sens aux différents informations.

Présenter les informations objectives selon une logique digeste, et avoir un parti pris qui ouvre le débat.

Par exemple, dans l'information suivante ici, http://grevedesoins.fr/ , ce qui m'interesserait, ce n'est pas de savoir si oui ou non le mode d'action utilisé est pertinent ou non, ce n'est pas de savoir si la réponse faite pas Nicolas Sarkosy est interessante ou non (je suis bien capable de m'en rendre compte par moi même).

Ce qui m'interesserait, c'est de savoir, au delà des problèmes de financement de la lutte contre la maladie d'Alzheimer et le cancer, pourquoi les différentes tentatives visant à rendre positifs les comptes de la sécurité sociale ont échoué jusqu'ici.
Savoir pourquoi les laboratoires font toujours plus de profit, certains spécialistes et chirurgiens gagnent toujour plus d'argent, alors que dans le même temps les medecins généralistes qui appliquent les tarifs de convention, ne vivent pas si bien que ça. Savoir si tout ce que je viens d'affirmer est vrai.

Une analyse des succès et des échecs. Quel est le vrai poids des médicaments générique? Pourquoi le carnet de santé n'a pas marché?

Le problème est complexe, et lourd d'un passé long à analyser. Et je souhaiterais que Médiapart s'y interesse.

Bref, pour en revenir au sujet initial, je ne souhaite pas que Mediapart participe à un mouvement plus important des informations, à une sorte de médiastorming, mais je souhaite un vrai valeur ajoutée en terme de tri, de clarification et d'analyse.

Christophe

Apporter une analyse, prendre du recul, mettre les événements en perspective… je ne vois pas en quoi cela est incompatible avec les outils dont je parle. Dans un quotidien classique, il y a différent types d'articles : des éditoriaux, des brèves, des analyses de fond, des dossiers spéciaux, du courrier des lecteurs, etc. Chaque format diffère dans son contenu et sa portée. Certains sujets seront mieux traités avec un format donné, d'autres auront besoin d'avoir une couverture sur plusieurs formats. Alors bien-entendu, il ne faut pas que les informations "brutes" se substituent à l'analyse, nous sommes d'accord.

Mais un outil de visualisation, de recherche, est aussi le fruit d'un point de vue, d'une analyse. Concevoir des outils et des interfaces qui permettent de compulser des bases de données, c'est aussi un travail journalistique : expliquer, faire comprendre.

La nouveauté (depuis environ 1 ou 2 ans), c'est que nous avons maintenant des outils de développement web très perfectionnés (je pense à Rails ou Django), qui permettent de monter un mini-site très rapidement. Le temps de mise en œuvre ne se compte plus en semaines comme autrefois, mais en jours, voire en heures. Ça change la donne.