Rien ne va plus dans le grand jeu européen. Nicolas Sarkozy, qui se vantait à l’été 2007 d’avoir « remis l’Europe en marche », est aujourd’hui de plus en plus vivement critiqué par certains de nos partenaires. A quatre mois de la présidence française de l’Union, MediaPart a enquêté auprès des députés européens.
D’ores et déjà, la France est soupçonnée d’utiliser sa future présidence de l’Union européenne [2], à partir du 1er juillet, pour ne servir que ses intérêts particuliers. La semaine dernière, le premier ministre François Fillon a fait le déplacement à Strasbourg pour s’adresser aux députés européens. « La présidence française, ce sera une présidence autour des dossiers d'intérêt général », a-t-il voulu rassurer. Avec pour priorités: le changement climatique, l'indépendance énergétique et la sécurité des approvisionnements énergétiques, l'harmonisation des politiques d'immigration et le « progrès de la défense européenne ».
Cela n’a pas vraiment convaincu ceux qui observent que les désaccords et les contentieux se multiplient. Dès novembre 2007, la prestation de Nicolas Sarkozy [3] dans l’hémicycle européen, avait sonné l’alerte. Plusieurs eurodéputés, dont Jorgo Chatzimarkakis [4], issu du Parti libéral-démocrate allemand (FDP) et membre du Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE), s’accordent à dire qu’ils ont assisté alors à un curieux spectacle.
« Nous étions au théâtre et Nicolas Sarkozy était en représentation. Si son talent d’acteur est indéniable, il devrait être d’autant plus mis à contribution que votre président chute aujourd’hui dans les sondages, avec le risque d’en faire toujours plus », dit-il.
Le député allemand craint surtout que le chef de l’Etat français ne soutienne pas la comparaison avec celle qui aura aidé l’Union européenne à accoucher du traité de Lisbonne, en remplacement du défunt projet de constitution européenne. « Angela Merkel a fait la preuve de sa neutralité quand son pays présidait l’Union au premier semestre 2007. A cette période, les intérêts allemands étaient mis en sourdine. Mais pour Nicolas Sarkozy c’est différent. Sa personnalité exclut qu’il soit neutre ».
Après bientôt dix mois à l’Elysée, Nicolas Sarkozy multiplie les effets d’annonces sans engager les réformes structurelles nécessaires, estime pour sa part l’Espagnol Ignasi Guardans Cambo [5], membre de l’ALDE. « Votre président fait de beaux discours, mais les propositions de réformes sérieuses ne sont pas au rendez-vous. Si Nicolas Sarkozy est incapable de prendre des risques au niveau national, comment peut-il y arriver en un semestre au niveau européen ? »
L'Union méditerranéenne divise
Un projet français cristallise tout particulièrement l’opposition de bon nombre d’eurodéputés : celui d’Union méditerranéenne, conçu à l’Elysée et porté par le « conseiller spécial » Henri Guaino. En décembre dernier, la chancelière allemande estimait qu’une telle démarche porte le risque à terme que « l'Union européenne se désintègre en son noyau (...) La responsabilité de la Méditerranée incombe aussi à un Européen du Nord ».
C’est aussi l’avis du député libéral Ignasi Guardans Cambo : « Sans l’Allemagne, cette union ne pourra pas exister. Pour preuve le programme MEDA [6] de la Commission européenne qui ne fonctionnait que grâce à des financements allemands ». Pour le député catalan, il serait bien plus judicieux de donner un nouvel élan au processus de Barcelone, un des volets de la politique de voisinage de l'Union avec les pays méditerranéens. Mais, il s’agit surtout, selon lui, d’éviter que ce projet devienne « comme un outil aux mains de l‘Etat français pour élargir sa sphère d’influence, au détriment des instances européennes ».
Nucléaire, pêche et Turquie
La multiplication des négociations ou accords de coopération français dans le domaine du nucléaire civil (Libye en juillet 2007, Maroc en octobre 2007, Algérie en décembre 2007), résultats des déplacements du président français [7], ont également fortement déplu aux parlementaires européens. « Ces tournées de VRP du nucléaire en Afrique du Nord ont choqué beaucoup d’Européens et pas seulement des chefs d’état », s’émeut Rebecca Harms [8], membre du groupe des Verts au parlement européen. « Si les Allemands sont majoritairement opposés à l’utilisation d’énergie nucléaire, ils sont encore plus réfractaires à l’exportation de cette technologie dans des pays en proie aux crises et aux conflits. A l’heure où l’Iran est sous les projecteurs, personne en Europe ne veut d’une prolifération nucléaire dans cette région du monde », précise la députée allemande, vice présidente du groupe écologiste au Parlement européen.
Autre pomme de discorde, le refus de Nicolas Sarkozy d’envisager l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Ce blocage est vu comme une remise en cause de la parole donnée. La crédibilité de la future présidence française de l’Union risque de pâtir de ces atermoiements, estime Jan Marinus Wiersma [9], vice-président du groupe socialiste (PSE) : « Une large majorité de pays membres veut continuer les négociations en vue d’une adhésion turque, or votre président s’y oppose, et les discussions ne portent que sur des sujets annexes ».
Co-présidente des Verts européens, Monica Frassoni critique, elle, la volonté de Nicolas Sarkozy de renégocier les quotas de pêche, une promesse faite en janvier 2008 aux pêcheurs de Boulogne-sur-mer [10]. « Il y a un décalage entre l’idée qu’il se fait de l’Europe et la réalité. L’Europe ce ne sont pas que des Etats membres. C’est aussi un Parlement, des institutions, une Commission, une Cour de justice. Il semble considérer que rien de tout cela ne compte face à son extrême volontarisme ».
Pour le rapporteur du traité de Lisbonne Íñigo Mendez de Vigo [11], du groupe du Parti populaire européen (démocrate-chrétien), la présidence française n’est pas la mieux placée pour représenter les intérêts européens. « Vu ce qu’est traditionnellement la présidence du Conseil, je crois que le modèle Sarkozy aura du mal à trouver sa place dans le maillage institutionnel de l’UE », dit-il.
« L’hyperactivité de votre président, son manque de vision stratégique, ce déferlement d’idées prises à la légère vont à l’encontre d’une visibilité à long terme de l’Union, que ce soit pour les pays membres ou pour le reste du monde », analyse Hannes Swoboda [12], député socialiste autrichien.
Avec à l’horizon, en 2009, les élections européennes, l’élu Vert et vice-président du parlement de Strasbourg, Gérard Onesta [13], mesure le poids des déclarations françaises et des polémiques créées. « Un président du Conseil européen est un accoucheur de consensus, dit-il. Je ne sais pas si Nicolas Sarkozy est taillé pour cela. La présidence française va se conclure six mois avant les élections européennes. Cela risque de se payer cher ».
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/maguy-day
[2] http://www.euractiv.fr/presidence-francaise-ue/dossier/priorites-presidence-francaise-union-europeenne-00037
[3] http://www.europarl.europa.eu/eplive/archive/multimediaav_page/13837-20071126MAV13836-AUDIO/default_fr.htm
[4] http://www.europarl.europa.eu/members/public/yourMep/view.do?name=chatzimarkakis&partNumber=1&language=FR&id=28243
[5] http://www.europarl.europa.eu/members/public/yourMep/view.do?name=guardans cambo&partNumber=1&language=FR&id=28411
[6] http://ec.europa.eu/external_relations/euromed/etn/index.htm
[7] http://aepn.blogspot.com/2007/12/nuclaire-la-croisade-arabe-de-sarkozy.html
[8] http://www.europarl.europa.eu/members/public/yourMep/view.do?name=harms&partNumber=1&language=FR&id=28233
[9] http://www.europarl.europa.eu/members/public/geoSearch/view.do?country=NL&partNumber=1&language=FR&id=1952
[10] http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/305130.FR.php
[11] http://www.europarl.europa.eu/members/public/yourMep/view.do?name=mendez de vigo&partNumber=1&language=FR&id=1873
[12] http://www.europarl.europa.eu/members/public/yourMep/view.do?name=swoboda&partNumber=1&language=FR&id=2295
[13] http://www.europarl.europa.eu/members/public/yourMep/view.do?name=onesta&partNumber=1&language=FR&id=1838