Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, vient de fixer à un millier le nombre de cartes de séjour de « salariés » qui pourront être délivrées en 2008 à des Sénégalais. A une condition : qu’ils obtiennent un contrat de travail correspondant à une liste de 108 métiers [2], plus ou moins qualifiés, rencontrant des difficultés de recrutement.
Après d’âpres négociations avec Paris, Dakar a obtenu, lundi 25 février, que ses ressortissants aient un accès élargi au marché du travail français. Un Sénégalais pourra, par exemple, venir travailler comme cuisinier, serveur ou « agent d’entretien », alors qu’un Malien ou un Chinois ne le pourra pas. Mais le faible nombre de cartes attribuées risque de limiter les effets de cette dérogation.
Avec cet accord bilatéral signé lors d'un déplacement à Dakar, Brice Hortefeux court-circuite le débat sur les quotas d’immigration et met en musique la politique migratoire voulue par Nicolas Sarkozy. Et ce sans attendre une éventuelle réforme constitutionnelle, sans attendre non plus les conclusions de la commission présidée par Pierre Mazeaud chargée de plancher sur le dossier.
Cet accord souligne combien l’immigration « choisie » voulue par le chef de l’Etat prend progressivement l’allure d’un casse-tête non seulement pour les candidats à l’émigration, mais aussi pour l’administration publique et les employeurs. Car cette liste s’ajoute à deux autres, entrées en vigueur en décembre dernier, en application de la loi sur l’immigration de juillet 2006. La première, la plus restreinte, est réservée aux étrangers extra communautaires. Elle énumère 30 métiers [3] très qualifiés parmi lesquels « informaticien d’étude », « cadre de l’audit et du contrôle comptable » ou encore « chef de chantier du BTP ». La seconde, destinée aux ressortissants des nouveaux pays de l’Union européenne, comporte 150 professions [4] beaucoup plus accessibles.
Les Algériens et les Tunisiens bénéficient, quant à eux, d’un régime particulier : ils n’ont droit à aucune de ces dispositions, en partie pour « compenser » les dérogations dont ils bénéficient en matière de regroupement familial. Le marché du travail leur est fermé, sauf s’ils peuvent démontrer que le travail convoité ne peut pas être pourvu sur place.
En distinguant les uns et les autres en fonction de leurs origines, le gouvernement prend le risque de se voir reprocher une pratique discriminatoire. Mais il souhaite encourager les négociations bilatérales, seule manière selon lui d’obtenir des engagements en matière de rapatriements des sans-papiers. Les pays d’émigration détiennent en effet un pouvoir spécifique : ils peuvent refuser d’accorder les laissez-passer consulaires nécessaires à la réalisation des expulsions. Le Sénégal vient de lâcher du lest en acceptant de réadmettre ses ressortissants, ce qui explique en partie le laps de temps qui s’est écoulé depuis la signature du premier volet de l’accord le 23 septembre 2006.
Au cours des trois dernières années, le taux de délivrance de ces laissez-passer a reculé : il est passé de 45,7% en 2005 à 35,8% au premier trimestre 2007. Cela a réduit le nombre d’éloignements effectifs et contrarié le gouvernement qui a fait de la lutte contre l’immigration irrégulière l’une de ses priorités.
Cette politique du donnant-donnant a déjà été expérimentée en octobre et en novembre 2007 à l’occasion d’accords bilatéraux avec le Congo et le Bénin. De la même manière, un nombre limité de cartes avait été promis (150 cartes « compétences et talents ») en échange du retour des sans-papiers. D’autres pays sont dans la ligne de mire : le Mali, la Tunisie ou encore le Cameroun. Mais certains d’entre eux traînent des pieds, conscients que les gages obtenus risquent d’être jugés insuffisants par une opinion publique agacée par la politique d’expulsion française.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/carine-fouteau
[2] http://www.mediapart.fr/files/liste métiers.pdf
[3] http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20080120&numTexte=9&pageDebut=01048&pageFin=01052
[4] http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20080120&numTexte=8&pageDebut=01046&pageFin=01048