A la demande du parquet de Paris, les policiers vont convoquer Cécilia Ciganer-Albeniz. Le témoignage de l'ex-femme du président de la République pourrait permettre de résoudre l'affaire du "vrai-faux" SMS, et dénouer un étonnant imbroglio juridique.
L'affaire du "vrai-faux" SMS que Nicolas Sarkozy aurait envoyé à son ex-femme Cécilia vire au casse-tête juridique, après l'audition, jeudi 21 février, du journaliste du Nouvel Observateur à l'origine du scandale. Airy Routier a été interrogé par les policiers de la brigade de répression de la délinquance contre les personnes (BRDP), co-saisis du dossier avec leurs collègues de la brigade d'enquête sur les fraudes aux technologies de l'information (BEFTI).
Devant les enquêteurs, il s'est expliqué sur les conditions dans lesquelles il avait été amené à publier, le 12 février, sur le site internet de l'hebdomadaire [2] le contenu d'un SMS que le président aurait fait parvenir à l'ex-épouse du chef de l'Etat, Cécilia Ciganer-Albeniz, une semaine avant son mariage — le 2 février — avec Carla Bruni. Ce message indiquait, à en croire l'article : "Si tu reviens, j'annule tout ".
La publication de cet article, qui a choqué la classe politique mais aussi la quasi-totalité des organes de presse, a bien entendu provoqué la fureur de Nicolas Sarkozy lequel a, grande première pour un président de la République en exercice, déposé plainte pour "faux et usage de faux" et "recel". Outre qu'il juge intolérable cette immixtion dans sa vie privée, le chef de l'Etat assure que ce SMS est une pure invention.
Le journaliste du Nouvel Observateur admet ne pas avoir vu le SMS
Or, s'il a maintenu ses informations, Airy Routier a dû admettre face aux policiers qu'il n'avait pas été destinataire du fameux SMS et qu'il ne l'avait jamais eu entre les mains, ni même vu. "J'ai seulement fait confiance à des sources verbales et fiables (...). Je me suis fié à ma source", a notamment déclaré le journaliste sur procès-verbal. Se retranchant derrière l'article 109 du code de procédure pénale [3] relatif au secret des sources des journalistes, Airy Routier a refusé de dire comment et par qui il avait eu accès au contenu du Texto.
Aux enquêteurs qui lui demandaient s'il avait, avant la publication de son article, pris contact avec Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albeniz pour vérifier son information, il a répondu : "Je ne (leur) ai pas demandé. J'ai fait ce que font tous les journalistes". Par ailleurs, Airy Routier a concédé qu'il n'était pas certain de la date exacte du SMS. Interrogé par MediaPart, le journaliste a indiqué qu' "en écrivant qu'il avait été expédié huit jours avant le mariage avec Carla Bruni, (il avait) donné un ordre de grandeur. C'était peut-être quelques jours avant, ou quelques jours après".
Pour le parquet de Paris, en tout cas, l'affaire se révèle d'une complexité infinie. D'abord, comment caractériser le "faux"? D'après l'article 441-1 du code pénal [4], "constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques." Or, si la première partie de la proposition semble remplie (Nicolas Sarkozy et son ex-femme peuvent incontestablement arguer d'un préjudice), la seconde porte davantage à débat.
En droit, Carla Bruni aurait pu faire annuler le mariage
Les proches de Nicolas Sarkozy affirment que la publication de ce "vrai-faux" SMS aurait pu avoir une "conséquence juridique", à savoir l'annulation du mariage par Carla Bruni. Cette analyse semble partagée par le parquet, qui observe que la jurisprudence récente permet une interprétation très extensive de l'article 441-1. D'ailleurs, la même difficulté s'est posée dans l'affaire des fichiers de Clearstream falsifiés, ce qui n'a pas empêché les juges de mettre en examen les principaux protagonistes pour "faux".
Autre obstacle : caractériser le faux ne revient-il pas à prouver que Nicolas Sarkozy n'a pas envoyé ce SMS à son ex-femme (la charge de la preuve revenant à l'accusation) ? Une gageure! Car le meilleur — et le seul? — moyen de l'établir éventuellement revient à expertiser les téléphones mobiles de Cécilia et de son illustre ex-mari.
Premier obstacle : révisée l'année dernière, la Constitution [5] met le chef de l'Etat à l'abri de poursuites durant son mandat, mais le préserve aussi de tout acte de procédure. "Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Si une audition du Président semble à l'évidence exclue, une expertise de son téléphone mobile paraît tout aussi difficile. Les policiers y ont du reste d'ores et déjà renoncé.
Les opérateurs téléphoniques ne sont pas tenus de conserver les SMS
En revanche, l'expertise du téléphone portable de Cécilia Ciganer-Albeniz ne pose aucun problème en droit ... mais se heurte à des obstacles techniques. En effet, s'ils gardent en mémoire la trace des appels, les opérateurs téléphoniques ne sont absolument pas obligés de conserver les SMS. Autre solution : analyser le téléphone de Cécilia lui-même. Des enquêtes policières ont prouvé qu'un SMS, même effacé, pouvait, dans certains cas, être "ranimé". Reste une ultime difficulté, et elle est de taille : si les policiers parvenaient à établir que ce SMS ne figure pas dans la mémoire du téléphone de Cécilia, cela constituerait un indice, pas une preuve. "C'est comme le monstre du Loch Ness, observe Airy Routier. On peut affirmer qu'on ne l'a pas trouvé, pas qu'il n'existe pas...".
Sur ce dernier point, le parquet semble optimiste. Les services du procureur considèrent qu'à partir du moment où l'émetteur (Sarkozy) et le destinataire (Cécilia) du prétendu texto démentiraient d'une même voix son existence, et que les expertises techniques n'en trouveraient pas trace, la preuve serait rapportée. Si le chef de l'Etat — qui ne peut être interrogé, comme on l'a vu — a déjà démenti via son avocat Me Thierry Herzog, Cécilia Ciganer-Albeniz ne s'est toujours pas exprimée.
Son témoignage étant désormais capital, le parquet de Paris a demandé aux policiers de la convoquer. Vendredi matin, la date de la convocation n'avait pas encore été fixée. Si Cécilia, ce qui semble probable, confirmait la version de son ex-époux, le procureur pourrait décider de renvoyer le journaliste en citation directe devant le tribunal correctionnel pour "usage de faux".
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/fabrice-lhomme
[2] http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/people/20080206.OBS9188/le_sms_de_sarkozy_a_cecilia.html
[3] http://www.portail-presse.com/PmedBin/ppresse.dll/AGET?ACTION=HTML&PAGE=textes_fondateurs/texte053.htm
[4] http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=CE72E90FABD67141A914A0E6A2D4B2A9.tpdjo12v_1?idSectionTA=LEGISCTA000006149854&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20080222
[5] http://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/031005.asp