La polémique grandit après les propos démentis de la directrice de cabinet du président Sarkozy, Emmanuelle Mignon, à l’hebdomadaire VSD selon lesquels « les sectes sont un non problème en France ». Cela s’inscrit dans un ensemble plus vaste qui recouvre la tentative du chef de l’Etat de modifier les lois et règles qui organisent les rapports des cultes avec l’Etat depuis 1905.
En attaquant bille en tête la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et en évoquant la possibilité d’octroyer un statut légal à l’Eglise de Scientologie, la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy a ressoudé le camp laïc, du PS à François Bayrou et à certains élus UMP, en passant par la kyrielle des organisations qui veillent à la séparation des églises et de l’Etat. Mercredi 20 février, de son bureau de l’Elysée, Emmanuelle Mignon s’expliquait, et de manière carrée : « Soit ces mouvements et ces groupes troublent l’ordre public et abusent de la faiblesse psychologique des personnes, et dans ce cas ils doivent être poursuivis et sanctionnés ; les moyens de rendre plus efficaces ces poursuites sont à l’étude. Soit ils ne troublent pas l’ordre public et respectent les personnes, et ils doivent alors pouvoir exister normalement conformément au principe de la liberté de conscience ».
Les propos d’Emmanuelle Mignon ne sont pas une surprise. Il suffit de lire le rapport de la commission Machelon commandé en octobre 2005 par Nicolas Sarkozy alors ministre de l’intérieur, remis en juin 2006, ou entendre les avertissements répétés de Michelle Alliot-Marie (« Il faut décomplexer la lutte contre les sectes »), pour comprendre que les pouvoirs publics veulent mettre la France au diapason de ce qui existe dans d’autres pays, notamment en Europe, où la notion de laïcité n’existe pas. En résumé, il s’agirait de sanctionner les infractions liées aux phénomènes sectaires (pressions psychologiques, extorsions de fonds…) mais de libérer des mouvements ou des obédiences dérivées du protestantisme, les Eglises évangéliques, les témoins de Jéhovah et l’Eglise de Scientologie.
Cette polémique liée à la collaboratrice du chef de l’Etat, catholique convaincue, accusée d’entretenir la veine confessionnelle de son mentor, accentuée par les liens qu’ont pu entretenir Nicolas Sarkozy et Tom Cruise reçu comme acteur mais aussi comme ambassadeur de la Scientologie, est pourtant l’arbre qui cache la forêt. Car Emmanuelle Mignon dit autre chose de fort intéressant à VSD : « La lutte contre les sectes a longtemps permis de dissimuler les vrais sujets.»
Quels sont les vrais sujets ? Précisément ceux rebattus par Nicolas Sarkozy depuis un mois à Latran, Ryad et lors du dîner annuel du Crif. A savoir que « La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d’histoire, de patrimoine, d’art et de tradition populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, c’est dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire. » (Latran). Et surtout que « Dieu, c’est une idée suffisamment intéressante pour avoir inspiré la vie de millions d’hommes et marquer d’immenses civilisations. Quelle est l’origine de la vie, quel est le sens de l’existence, y a-t-il quelque chose après la mort, d’où vient le mal ? Ce sont des interrogations essentielles. Je ne connais pas un seul homme, pas une seule femme, croyant ou incroyant, qui ne se les pose pas » (Crif).
Une trentaine d’associations laïques, dont la Ligue de l’Enseignement, le Grand Orient de France et la Libre Pensée, ont estimé que « les déclarations récentes de Monsieur Sarkozy, mêlant ses convictions personnelles et sa fonction présidentielle, portent atteinte à la laïcité de la République. » Le vrai enjeu de cette polémique tient dans la capacité de l’équipe au pouvoir de bouleverser le fragile équilibre qui organise le rapport entre le spirituel et le temporel en France. Marc Blondel, l’ancien secrétaire général de Force ouvrière qui préside la Libre Pensée, court les palais nationaux pour appeler au maintien du cadre actuel.
« Nous avons en face de nous des gens déterminés, dit Marc Blondel. Ils n’iront pas au Parlement, j’en ai maintenant la conviction, mais ils assoupliront les règles en douce. Un exemple, nous avons été reçu par le directeur de cabinet de François Fillon qui m’a confirmé que des commissions travaillent sur un toilettage de la loi de 1905 et quand j’ai demandé quelle en était la composition et si nous pouvions en faire partie, nous avons essuyé un refus courtois mais ferme ».
Dans les coulisses, plusieurs pistes sont étudiées qui visent à faire émerger de nouveaux lieux de prière ou à améliorer le statut social des ministres des cultes. Un exemple : la loi de 1905 stipule que « La République ne reconnaît, ne salarie, ni subventionne aucun culte ». Selon nos informations, un des moyens envisagés pour détourner la loi consisterait à multiplier le nombre de curés, rabbins ou imans actuellement employés par l’administration pénitentiaire.
La lecture du livre que Nicolas Sarkozy a écrit en 2004 avec Philippe Verdin, un père dominicain avec qui il est resté en contact, ne laisse pas place au doute quant à la volonté du chef de l’Etat de bousculer les habitudes. A Latran, Nicolas Sarkozy a fracassé un tabou en affirmant que « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ». Que dira-t-il après les élections municipales ? Ou pendant la visite du pape en France, le 31 mai, à l’occasion du 150ème anniversaire de la première apparition de la vierge à Bernadette Soubirous dans la grotte de Lourdes ? La permanence de son propos indique qu’il n’en restera pas au stade des discours.
→ Pour mieux connaître la Scientologie, dont Emmanuelle Mignon semble questionner la dangerosité, vous pouvez lire le
rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les sectes publié en 1995. Extraits:
- « Avec des fers de lance comme la Scientologie, le courant "psychanalytique" apparaît aujourd'hui comme l'un des substituts privilégiés des doctrines religieuses traditionnelles. (...) Les dommages causés aux victimes sont particulièrement graves (ruine, démence, suicide...) car, dans ce type de secte, les techniques de manipulation mentale sont extrêmement perfectionnées.»
- « Selon les indications fournies par le ministère de l'intérieur, (...) 26 sectes [provoqueraient des troubles à l'ordre public], parmi lesquelles (...) l'Eglise de Scientologie. Par ailleurs, plusieurs personnes ont évoqué devant la Commission les infiltrations ou tentatives d'infiltration auxquelles se livreraient les sectes au sein des pouvoirs publics.»
- « Lafayette Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie avait proclamé, non sans cynisme, dans son discours de Newark: "Si l'on veut vraiment devenir millionnaire, le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion" »...
→ En 2006,
un rapport de commission d'enquête parlementaire explorait par ailleurs les stratégies déployées par les sectes, dont la Scientologie, pour embrigader les mineurs. Extraits:
- « Lors des émeutes de l'hiver 2005, la Scientologie s'est beaucoup déployée en banlieue, notamment en Seine-Saint-Denis »
- « L'église de Scientologie (...) a fait de l'investissement dans le soutien scolaire l'un des axes privilégiés de son action. L
es investigations de la commission d'enquête ont abouti à constater que le soutien scolaire organisé par la Scientologie connaissait un développement réel dans la région parisienne.»- auditionné, Jean-Michel Roulet, l'actuel président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires déclarait:
« Certains enfants sont la cible directe des organisations sectaires, qui souhaitent pouvoir les formater, les robotiser, les exploiter. On leur fera faire du prosélytisme dès leur plus jeune âge, puis on en fera, selon l'expression de Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, des "esclaves heureux"
»- Roger Gonnet, ex-adepte de la Scientologie et responsable de son antenne lyonnaise, livrait des détails: «
Certains enfants peuvent être en poste dès l'âge de six ans. Ils font un très grand nombre d'heures, en transportant des papiers. À partir d'un certain âge, ils sont susceptibles d'être envoyés dans le goulag de la Scientologie, le RPF : Redemption Project Force. Il y en a à Hemet, à Los Angeles, à Clearwater en Floride ; il y en a un au Danemark, en Angleterre et vraisemblablement en Australie. (...)
Cinq heures de bourrage de crâne quotidien, plus dix heures de travail. On court sans arrêt. On n'a pas le droit à la radio, à la télévision, aux journaux. Dans la plupart des cas, les gens ne peuvent plus voir leurs enfants, leur femme ou leur mari, etc. Ils ne peuvent pas sortir tant que ce n'est pas fini ; cela peut durer des années. »