L'enquête sur les conditions dans lesquelles l'ex-animateur de Canal + avait lu à l'antenne une lettre du tueur en série s'était soldée par un non-lieu. Mais la chambre de l'instruction vient de désavouer la juge chargée du dossier à qui elle demande de rouvrir sa procédure et de poursuivre le journaliste.
En réclamant sa mise en examen, la cour d'appel de Paris vient de faire une très mauvaise surprise à Karl Zéro. Alors qu'il pensait le danger définitivement éloigné, l'ancien animateur du
Vrai Journal, sur Canal +, vient d'être rattrapé par l'un des aspects les plus troubles de l'affaire Alègre, du nom de ce tueur en série au coeur d'un scandale particulièrement sordide. Sur la foi de témoignages émanant de deux prostituées, Patrice Alègre fut présenté comme l'organisateur de parties "très spéciales", à Toulouse, au cours desquelles des femmes auraient été violées, torturées voire assassinées par des notables de la région, parmi lesquels l'ancien maire de la ville, Dominique Baudis ! Autant d'accusations gravissimes qui se révélèrent fausses.
Le 1er juin 2003, au plus fort de l'affaire, marquée par un emballement médiatique sans précédent, Karl Zéro avait lu à l'antenne, dans Le Vrai Journal, les passages d'une lettre que lui avait fait parvenir depuis sa prison le tueur en série. Dans cette missive, ce dernier reconnaissait les meurtres d'une prostituée et d'un travesti et désignait le magistrat Marc Bourragué et Dominique Baudis, alors président du conseil supérieur de l'audiovisuel, comme les commanditaires de ce dernier assassinat. Patrice Alègre était revenu sur ces « aveux » dès le 19 juin 2003, dans un autre courrier, cette fois destiné au procureur de Toulouse.
MM. Bourragué et Baudis avaient ensuite déposé plainte, provoquant fin 2003 l'ouverture par le parquet de Paris d'une information judiciaire pour "sortie illicite de correspondance", "violation du secret de l'instruction" et "violation du secret professionnel". L'enquête, confiée à la juge Nathalie Turquey, s'était conclue en mars 2007 par un non-lieu général. Furieux, les avocats de MM. Bourragué et Baudis firent appel devant la chambre de l'instruction qui, à la surprise générale, vient de faire droit à leur demande.
Un arrêt du 14 février
Dans un arrêt du 14 février passé inaperçu, la cour d'appel demande à la juge Turquey un supplément d'information. La cour estime que les délits visés par la plainte sont "caractérisés" et ordonne en conséquence à la magistrate de reconvoquer Karl Zéro afin de procéder à sa mise en examen...
Dans son courrier du 19 juin 2003, Patrice Alègre affirmait que la lettre parvenue à Karl Zéro avait fait l'objet d'une transaction financière avec l'animateur, qui lui aurait promis la somme de 15 000 euros. Il avait ensuite désigné comme complice son ancien avocat, Me Laurent Boguet. Au cours de l'instruction, Patrice Alègre avait réitéré ses accusations, déclarant à la juge Turquey, le 16 décembre 2004 : « Le juge Lemoine (le magistrat chargé d'instruire le volet « meurtres » dans l'affaire Alègre) m'a mis la pression en me disant qu'il était persuadé que les filles (Patricia et Fanny, les ex-prostituées) disaient la vérité et que moi je mentais. Il m'a dit qu'il me ferait transférer à Fresnes, qu'il allait me retirer mes permis de visite (...). Ensuite j'ai vu mon avocat Me Boguet à la prison, j'ai fait une petite partie du brouillon avec lui. (...) C'est Me Boguet qui me l'a dit : Karl Zéro devait payer 15 000 euros pour la lettre. » Une accusation formellement démentie par Karl Zéro, qui assura à la juge lors de son audition qu'il n'avait « jamais été question de remises de paiement ".
Cette fameuse lettre, selon Patrice Alègre, avait été remise à Me Boguet dans le cabinet même du juge Serge Lemoine. Entendu le 16 décembre 2004, le magistrat avait confirmé ce point : «
Il est exact qu'à la fin de ses auditions, le 30 mai, Patrice Alègre m'a demandé s'il pouvait remettre un pli à son conseil, il a donc remis une lettre à Me Boguet. » De son côté, Me Boguet a affirmé à la juge Turquey que son ex-client n'avait «
nullement dit que ce pli était destiné aux journalistes ». Une chose est sûre, c'est bien ce courrier qui s'est retrouvé entre les mains de Karl Zéro, via un journaliste de l'agence Capa, Gadh Charbit. «
Rien n'a jamais été promis contre cette lettre », avait assuré à la juge Gadh Charbit, qui devrait également, à en croire la cour d'appel, être mis en examen.
Sollicités par MediaPart, les avocats de l'animateur se sont dit "stupéfaits" de la décision de la chambre de l'instruction et ont annoncé leur intention de se pourvoir en cassation. " Il est incroyable de demander à une juge d'instruction qui avait, au terme d'investigations minutieuses, accordé un non-lieu, de prononcer la mise en examen de Karl Zéro ", affirment Mes Olivier Baratelli et Céline Astolfe. Les deux avocats rappellent que leur client "s'est contenté de lire à l'antenne une lettre qui lui était adressée personnellement, et ce sans aucune contrepartie financière. Cela ne saurait constituer un délit ". Conséquence directe de l'affaire Alègre, Le Vrai Journal avait été supprimé par la direction de Canal + en 2006. Karl Zéro est désormais animateur d'un site internet (http://leweb2zero.tv/ ).