Depuis la nuit de samedi, deux interminables séances de conciliation s'étaient tenues en sous-préfecture de Toul. Samedi-soir, jusqu'à 2 heures du matin, les délégués syndicaux ont ainsi refusé de la direction, et en présence du directeur régional du travail, une proposition à 2000 euros par année d’ancienneté. Le lendemain à 11h, une nouvelle réunion était organisée avec la même proposition de la direction « non négociable », provoquant, de fait, un nouveau refus. Le médiateur a fait comprendre qu’un tel échec pourrait conduire à l’intervention des CRS, afin de libérer les deux chefs du personnel séquestrés depuis jeudi et évacuer l’usine.
Un empilement de sacs bloque les entrées du bâtiment où sont retenus les deux cadres. Des litres d’huile ont été répandus sur le sol pour ralentir l’arrivée des CRS, un sac de sel de 200 kilos les attend, en déséquilibre au sommet de l'escalier. « C’est comme à Fort-Boyard sauf qu’il n’y a plus de trésor ». Une partie des grèvistes reste postée devant l’entrée, là où les pneus brulent encore et dispersent un enorme nuage noir.
Les ouvriers s'activent pour barricader l'entrée de l'usine.
Les deux hommes peuvent quitter le bâtiment. « Pas d’insulte, les gars ». Les ouvriers improvisent une longue haie silencieuse. Les voitures des cadres s'engoufrent dans le nuage de fumée noire et disparaissent. « Celle-là on l’a bien méritée »: les ouvriers sortent les bières, on rebranche la sono. « Les négociations ne sont pas terminées. Nous devons nous mettre d’accord sur certains points comme le seuil de 30 000 euros d'indemnité, mais l’essentiel est acquis ». Le visage noirci par les cendres de caoutchouc , le responsable environnement de l’usine sort de son mutisme et demande à ses collègues de ne plus faire brûler de pneus. Lundi, le travail devait reprendre et les négociations se conclure.
Les raisons d'une grève
En 2001, Kleber embauchait encore plus de 1100 personnes avec une production de 20 000 pneus par jour. En 1982, Michelin rachète la marque mais ferme une usine Kleber à Colombes [2]. De l’avis des salariés encore présents, les rapports avec la direction se transforment. Dès 1998, l'atelier chambre à air a été délocalisé en Hongrie. En 2001, les ouvriers acceptent la semaine de 40 heures. La concurrence a poussé à délocaliser certaines productions dans une usine polonaise, comme les pneus de camionnette. Importante pour le bassin d’emploi, l'usine Kleber subit la crise comme Miko à Saint-Dizier [3] ou Arcelor-Mittal à Gandrange [4]. D'après la direction, le coût de production de l'usine de Kleber est 50% plus élevé que ceux des autres usines du groupe, sur le territoire français.
"Nous n'en parlions pas aux ouvriers pour ne pas saper leur moral, mais depuis cinq ans il n'y avait plus aucun investissement dans l'usine. Un jour, on a découvert que Kleber avait inventé un nouveau procédé pour remplacer l'ancien, celui de Toul... mais qu'il ne serait pas produit chez nous. On a compris" explique Michel Scheffer, syndicaliste CGT. La fermeture de l'usine avait été annoncée par la direction le 3 octobre 2007. C'est au terme de huit négociations infructueuses avec la direction du groupe à Saint-Dizier que la grève a été déclenchée mercredi 13 février, alors que le groupe Michelin annoncait des bénéfices records pour l'année 2007.
(texte et photos Jordan Pouille)
Lire le reportage sur la journée de samedi, derrière la barricade. [5]
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/jordan-pouille
[2] http://www.klebertouldoitvivre.fr/historique/index.html
[3] http://libestrasbourg.blogs.liberation.fr/actu/2007/11/pour-geler-le-p.html
[4] http://tf1.lci.fr/infos/economie/social/0,,3707554,00-arcelor-mittal-gandrange-soutient-ouvriers-.html
[5] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/16022008/toul-les-ouvriers-de-kleber-renforcent-le-blocus-de