Le Congrès était convoqué à Versailles ; il fallait donc en retour que le "peuple" se rendît à Versailles en convoquant la mythologie qui sied. La préfecture des Yvelines a ceci de commun avec Jérusalem : chacun s’y sent chez soi, chaque pierre parle au passant. Face à la légende dorée du sarkozysme, place aux piqûres de rappel : 1789 toujours recommencé… La gauche d’en haut [2] voit en Versailles un signe fâcheux pour qui est au pouvoir ou aspire à y camper. La gauche d’en bas considère Versailles comme le prolongement de la Bastille : un monument que les masses trouvent sur leur chemin dès que l’Histoire se fait épique [3].
La ville royale, où pullulent les fleurs de lys, vaut bien un ou deux télescopages. On passe ainsi rue de la Paroisse, où le traiteur Gaulupeau (« organisation de réceptions ») côtoie le confiseur Au roi Soleil (« spécialités pour baptêmes »). On prend la rue au Pain, où luit Gaudin poils et plumes - une boucherie-, avant d’arriver là où une artère dédiée au Maréchal Foch laisse place à l’avenue de l’Europe, transformée en impasse par les camions d’une compagnie républicaine de sécurité.
Parqués sur l’avenue de Saint-Cloud, une centaine de militants battent le pavé, sous les bannières du PCF, d’Attac, ou de la Confédération paysanne. Un haut-parleur révise au pas de charge et en chansons les riches heures du peuple en lutte : voici La Butte rouge (« Sur cette terre-là, on n’y fait pas la noce »), mais déjà « chacun vous admire et vous aime », « braves soldats du 17e », bientôt éclipsés par Bella ciao (« Morto per la libertà »). Beaucoup de bonnets phrygiens, dont un sur lequel est cousu, sous la cocarde tricolore : « 1968-2008 ». Un jeune gaillard marche en sabots, porte une chemise en toile grossière, une perruque filasse, on le croirait sorti de La Caméra explore le temps ou du musée Grévin : « Je me suis habillé en révolutionnaire. »
Sur le trottoir d’en face, une échoppe qui a la riche idée d’être fermée le lundi : « Le Louis d’or : achat d’or, lingots, pièces, débris d’or, argent toute forme. » Un colosse au visage chiffonné, membre d’un collectif de gauche alternative de Maubeuge, évoque « la misère sociale » et précise que les CDI se comptent sur les doigts de la main parmi les 250 militants du collectif. On ne croise que des visages à rebours des campagnes publicitaires : traits marqués, rides profondes, broussaille des barbes et des moustaches, sosies de Blanqui, répliques de Garibaldi… Une militante d’Attac s’active avec une caméra : « On ne nous filme pas, il faut bien se filmer soi-même. »
Soudain, Olivier Besancenot, José Bové, le sénateur Jean-Luc Mélenchon ceint de son écharpe, plus une poignée d’élus communistes déboulent. « Au château ! », lancent quelques voix. Un cortège de trois cents personnes se forme, qui répète à grands cris : « Nous voulons un référendum ! » Une banderole proclame : « Pour des luttes crédibles et efficaces, dépolluons les gauches infiltrées par la 5e colonne libérale-ouiiste. » Une silhouette toute de noire vêtue brandit comme une fourche stylisée ; le signe de l’euro a remplacé les pointes. Arrêtée bien avant le château par des barrières métalliques derrières lesquelles veillent de solides cordons de CRS testant avec parcimonie leurs gaz lacrymogènes, la manifestation conspue son monde puis s’étiole. Un policier en civil grimace avec mépris : « Tout ça, c’est symbolique. » Dans le train du retour vers la gare Saint-Lazare, un vieux compagnon de route du parti communiste maugrée : « Symbole, ou fer de lance ? Va savoir… »
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/antoine-perraud
[2] http://www.liberation.fr/rebonds/307800.FR.php
[3] http://www.tousaversaillesle4fevrier2008.fr