Depuis des mois, Lahcen Soussi, gravement blessé en mars 2006 alors qu’il transportait les effets d’un prince saoudien, tente en vain d’être indemnisé par l’ambassade d’Arabie Saoudite en France. Il affirme même avoir été menacé de mort… Il envisage maintenant de porter plainte.
Tout commence au début des années 2000. Lahcen Soussi, un Marocain installé en France depuis 1974, entend parler par des connaissances d’un travail susceptible de l’intéresser : l’ambassade d’Arabie Saoudite à Paris recherche un chauffeur expérimenté. Un homme de confiance, car il peut être amené à effectuer des missions « sensibles ». Lahcen Soussi –aujourd’hui âgé de 42 ans-, qui a déjà conduit des personnalités, correspond au profil recherché.
Très rapidement, le chauffeur se voit affecter une mission principale : convoyer les effets personnels de princes saoudiens de passage dans la capitale. Ces derniers disposent souvent de plusieurs propriétés, en France et en Europe, et multiplient les allers-retours. S’ils se déplacent la majeure partie du temps à bord d’avions privés, ils confient parfois à des chauffeurs certaines affaires auxquelles ils tiennent plus particulièrement.
Dans les faits, Lahcen Soussi est mis, au fil des ans, au service quasi-exclusif du prince Fahd Ben Sultan Ben Abdelaziz. Une éminente personnalité [2], gouverneur de la province de Tabouk. C’est surtout le fils de Sultan Ben Abdelaziz Al Saoud, ministre de la défense et de l’aviation et numéro deux du régime, successeur désigné de l’actuel roi d’Arabie Saoudite.Il avait d'ailleurs été reçu à l'Elysée en 2006 [3]. Un autre membre de la famille du prince Fahd, son beau-frère en l’occurrence, évite lui soigneusement le territoire français. Et pour cause : le prince Nayef Bin Fawaz Al Chaalan a été condamné en octobre 2007 par contumace à 10 ans de prison par le tribunal correctionnel de Bobigny pour avoir introduit deux tonnes de cocaïne en France, en 1999, en usant de sa couverture diplomatique.
Au volant de voitures ou de camions de location, Lahcen Soussi multiplie les déplacements entre les différentes propriétés et yachts du prince Fahd : Paris (il dispose d’un superbe hôtel particulier cours Albert Ier), Monaco, Nice, la Suisse, l’Italie… Lahcen Soussi est payé –modestement-, soit par chèque, soit en espèces. Il gagne surtout sa vie l’été, période propice aux déplacements. « Mes interlocuteurs à l’ambassade me disaient que j’étais déclaré, mais, malgré mes demandes, je n’ai jamais vu de fiche de paie. Je n’osais pas trop insister », raconte Lahcen Soussi.
En mars 2006, c’est la catastrophe. Le 13 mars, vers 20 heures, le chauffeur prend le volant d’un camion loué chez Avis dans lequel s’entassent 20m3 d’affaires personnelles que le prince Fahd souhaite faire acheminer le plus rapidement possible dans sa résidence napolitaine où il séjourne alors. Lahcen Soussi prend la route. Le trajet est long. Trop long. D’autant que le chauffeur a reçu pour consigne de ne surtout pas s’arrêter pour dormir. « On m’a dit que c’était trop dangereux, que je risquais de me faire voler les affaires du prince ».
Le 14 mars, à 14 heures, complètement épuisé, Lahcen Soussi s’endort au volant de son camion sur une autoroute italienne, alors qu’il est presque arrivé à Naples. C’est l’accident. Le camion se retourne puis s’écrase contre les barrières de sécurité. Miraculeusement, il ne percute aucun véhicule. Le Marocain est lui-même un miraculé, même s’il subit de graves blessures, notamment à sa jambe gauche dont la peau a été déchiquetée au contact de l’asphalte. « Ma jambe ne saignait même pas tellement il y avait de goudron collé dessus, se souvient-il. Cela a été abominablement douloureux lorsque les médecins ont tenté de le décoller ».
De retour en France, Lahcen Soussi se voit prescrire quatre mois d’ITT (incapacité temporaire de travail). Il reprend contact avec l’ambassade, afin d’obtenir des attestations lui permettant d’être pris en charge par la sécurité sociale, et de savoir quand il pourra reprendre son travail. Las, il n’obtiendra plus jamais de réponse et trouve depuis porte close. « Du jour où j’ai été accidenté, j’ai cessé d’exister pour eux. Non seulement j’ai perdu mon travail, mais en plus je n’ai reçu aucune attestation, aucun document, rien ! Je voudrais au moins être indemnisé, mais ils ne répondent ni à mes coups de téléphone, ni à mes courriers, ni à mes fax » (fac-similé d'une lettre [4]), lâche, amer, le Marocain.
Pis, Lahcen Soussi est l’objet de menaces téléphoniques. « Le pire, c’était l’été dernier. Je recevais sans cesse des appels anonymes, sur des numéros masqués. On menaçait de me tuer, de s’en prendre à ma famille, même de me faire des ennuis au Maroc ». Lahcen Soussi a dénoncé les faits le 1er août 2007 au commissariat de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), où il est domicilié (fac-similé de la main-courante [5]).
Désormais sans travail (« je suis black listé dans toutes les ambassades arabes, c’est un petit milieu où tout se sait »), diminué physiquement et psychologiquement, Lahcen Soussi, qui a bien conscience de s’attaquer à beaucoup plus gros que lui, ne veut pas lâcher l’affaire. Question de principe. « Pendant toutes ces années, j’ai été d’une fidélité et d’un dévouement absolus à mes employeurs, et voilà comment ils me traitent. Ces gens-là sont des voyous qui méprisent les petites gens. Je comprends mieux pourquoi les Malaisiennes qu’ils utilisent comme bonnes à tout faire se sauvent dès qu’elles le peuvent. Elles travaillent 24 heures sur 24 et sont traitées pire que des esclaves… ».
Déterminé à aller jusqu’au bout, Lahcen Soussi, qui a conservé des documents prouvant qu’il était bien en service pour le prince Sultan au moment de son accident [6] et d’autres attestant qu’il a rempli d’autres missions pour l’ambassade [7], a fait appel à un avocat parisien familier des dossiers sensibles, Thibault de Montbrial. « Compte tenu du dévouement et de la loyauté dont M. Soussi a fait preuve durant toutes ces années envers son employeur, il est incompréhensible que ses démarches et les miennes n’aient jusqu’à ce jour abouti qu’à un silence méprisant, affirme l’avocat. Cela va nous contraindre à saisir les tribunaux afin d’obtenir une réparation à hauteur des bouleversements que l’accident de 2006 a entraînés dans sa vie quotidienne. Il faut tout de même rappeler que les circonstances de l’accident ont pour origine le rythme de travail moyenâgeux auquel M. Soussi était astreint ».
Sollicité par MediaPart, le cabinet de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite a affirmé ne pas connaître Lahcen Soussi.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/fabrice-lhomme
[2] http://www.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=countries&Area=saudiarabia&ID=SP84005
[3] http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/actualites/a_l_elysee/2006/juillet/entretien_avec_le_prince_heritier_ministre_de_la_defense_d_arabie_saoudite.56391.html
[4] http://www.mediapart.fr/files/20080131-arabie-lettre.jpg
[5] http://www.mediapart.fr/files/20080131-arabie-plainte.jpg
[6] http://www.mediapart.fr/files/20080131-arabie-attestation.jpg
[7] http://www.mediapart.fr/files/20080131-arabie-pouvoir.jpg