L’énervement est certain, à l’Elysée, dans le groupe France Télévisions et dans la presse régionale. Nos informations mises en ligne vendredi 25 janvier ont provoqué plusieurs démentis lundi 28 janvier. Qu’écrivions-nous ? [2] Que l’Elysée discutait avec des dirigeants de la presse quotidienne régionale d’un possible démantèlement de France 3. Par un système de sociétés d’économie mixte, les antennes et rédactions locales de France 3 seraient pour tout ou partie confiées aux collectivités locales –les conseils régionaux- et à des quotidiens régionaux. Le budget de la chaîne serait ainsi allégé d’autant.
Dès dimanche, la direction de France Télévisions a qualifié de « hautement fantaisistes » ces informations. Lundi après-midi, l’Elysée démentait « catégoriquement ». Pour le Syndicat de la presse quotidienne régionale, Michel Comboul, PDG du groupe Nice-Matin, déclarait n’être pas intéressé par un tel montage. Machine arrière toute, donc. Il est vrai que l’émotion suscitée à l’intérieur des rédactions de France 3 a été immense. 1200 journalistes travaillent dans les régions. Les syndicats SNJ, CGT en tête n’ont pas attendu pour réagir et n’ont pas mâché leurs mots devant la perspective de ce qui est ressenti comme « un dépeçage » du réseau régional.
Il suffit pourtant de se référer au podcast du « Grand jury RTL » de dimanche 27 janvier pour s’apercevoir qu’Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, était beaucoup plus… affirmatif [3]. Concernant France 3 et d’éventuelles marges de manœuvres (en clair, d’économies ou de réformes) sur les rédactions et les unités de production, « tout çà sera sur la table », affirmait-il. Car la question principale demeure posée au gouvernement : quels financements trouver pour compenser la suppression de la publicité sur les chaînes publiques ?
Les faits.
Face à ces démentis, MediaPart maintient ses informations. Et nous pouvons préciser les principaux éléments de l’enquête qui nous a conduit à mettre en ligne le papier incriminé. Jeudi matin, le 24 donc, une source que nous connaissons depuis longtemps, mais dont nous préserverons l’anonymat, nous alerte sur la tenue d’une réunion en début de semaine suivante sur ce projet précis entre deux cadres supérieurs de deux journaux dans le sud de la France.
Il s’agit, nous dit notre source, d’étudier comment il serait possible pour chacun des titres de la presse quotidienne de s’intégrer économiquement et juridiquement dans un rapprochement avec les antennes locales de France 3. Le matin même, un responsable en région de France 3 nous livre l’anecdote déjà citée : le président de « sa » région, en présence du patron du journal local, ironise sur le prochain rachat de l’entité dans laquelle il travaille.
Nous poursuivons alors notre enquête. Deux patrons de journaux nous parlent. Sans nous dire que des négociations formelles sont engagées, ils nous font part de leur grand intérêt pour le dit rapprochement. « On » nous explique que Jean Michel Baylet, le patron de La Dépêche, a été approché par Georges-Marc Benamou, le conseiller culturel de Nicolas Sarkozy. Une autre source prétend que c’est l’inverse. MM. Baylet et Benamou refusent d’infirmer ou de confirmer, en nous le précisant formellement. Le premier par sa secrétaire, le second directement.
Interrogé par nous vendredi matin, le directeur général du SPQR, Vincent de Bernardi, estime que son organisation « observera avec attention ce que le gouvernement nous dira » et il annonce que ce sujet – les antennes locales de France 3 qui assurent chaque jour trois heures de décrochages- sera à l’ordre du jour des réunions qui se tiennent au siège à Paris tous les mois. Enfin, un autre acteur très récent du dossier, un acteur direct, nous confirme que cette piste est bonne. Et il nous met en garde : « Rien ne doit sortir avant les municipales, vous serez démentis. Si vous voulez planter le dossier, il n’y a pas meilleur moyen que de le sortir maintenant. »
Le contexte.
Nous nous sommes interrogés. Non pas sur l’intérêt évident de ces informations, mais sur l’anonymat à préserver de nos sources. Or dans cette affaire où ni la ministre de tutelle, Christine Albanel, ni la direction de France Télévisions ont été informées des projets élyséens, aucun des principaux acteurs ne pouvait parler à visage découvert. Le faire aurait signifier vouloir torpiller les discussions en cours, ne serait-ce que par l’opposition prévisible des personnels de France 3. Par ailleurs, certains acteurs régionaux sont déjà en concurrence dans ce dossier et refusent tout autant de parler publiquement.
Ce projet d’associer France 3 aux quotidiens régionaux est pourtant ancien, connu, il est presque un serpent de mer du PAF. Compte tenu des énormes intérêts financiers en jeu, des situations de monopoles de la plupart des grands quotidiens régionaux, le sort de France 3 et de ses rédactions locales est déterminant pour l’avenir du pluralisme dans l’information régionale. Il nous a semblé nécessaire, avec les précautions d’usage, de faire état de ces informations.
Il est compréhensible que la direction de France 3 démente. Il l’est moins que l’Elysée, revenant sur les propos d’Henri Guaino, attende trois jours de voir comment le vent tourne pour apporter son démenti.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/gerard-desportes
[2] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/25012008/l-elysee-discute-avec-la-presse-regionale-du-demant
[3] http://www.rtl.fr/radio/emission.asp?dicid=89154