Regardez les Unes des quatre grands hebdomadaires d’informations générales cette semaine, VSD, Le Nouvel Observateur, Le Point, L’Express. Et vous aurez compris le problème de la presse en général, mais aussi l’inédite question posée quant à l’organisation et à la qualité du débat public dans notre pays.
C’est une hypnose et un piège. Sarkozy, Nicolas, Bruni, Carla, Cécilia (elle n’a plus de nom) et puis « le pouvoir d’achat, « les riches », « ce qu’il nous prépare », « une affaire d’Etat », « quand Cécilia règle ses comptes ». Et ces photos achetées par les médias à prix d’or : baignade dorée sur les plages égyptiennes ; visage flouté d’un petit garçon ; conférence de presse au palais de l’Elysée ; Cécilia jeune mannequin ; Carla ex-mannequin ; l’embonpoint naissant du président… Et puis d’autres titres encore: « licenciement », « contrat de travail », « flexibilité », « et s’ils se mariaient », « jusqu’où est-elle allée pour libérer les infirmières bulgares ? ».
La tête vous tourne, l’overdose menace ? Nous aussi. Alors reprenons. Sarkozy est un « booster » pour les ventes des journaux. Tous les directeurs d’hebdomadaires le disent. Le président fait vendre ; Cécilia (son nom a disparu) fait vendre ; Carla Bruni fait vendre. Mêlez les trois personnages ; mélangez les ingrédients classiques de Desperate Housewives, West Wing, la Principauté de Monaco, et d’une Vème République devenue monarchie élective ; construisez un récit appuyé de belles images ; imbriquez public et privé, amours et projets de loi, argent et social, petites et grandes haines, étalages sentimentaux et batailles de coulisses. Et la vente est assurée.
Ce n’est bien sûr pas qu’une question de ventes. Et ce serait faire injure à nos confrères que d’ignorer l’autre piège grand ouvert par la présidence Sarkozy et qu’il évoqua, mardi 8 janvier, lors de sa conférence de presse : « Si ces photos sont si douloureuses, n’envoyez plus de photographes ! » Renvoyer aux médias la responsabilité exclusive de ce récit fou, qui occupe désormais l’intégralité de notre espace public, est un stratagème grossier. Car la privatisation de l’action présidentielle et gouvernementale est d’abord un projet politique méticuleusement mené. Les Unes de cette semaine en font la démonstration. Le champ du politique est devenue l’affaire privée de Nicolas Sarkozy, où tout s’entremêle, se répond, s’annihile, fait diversion.
L’annonce de la suppression de la publicité sur la télévision publique ? Aussitôt effacée par un compte-rendu des vacances jordaniennes. La mise à mort des 35 heures en 2008 ? Escamotée par une rumeur qui alimenta les rédactions, jeudi : Nicolas et Carla se marient à la mairie du XVIème. Les négociations patronat-syndicats sur une réforme majeure du droit du travail ? Ecrasées par la parution de trois livres autour de l’ex-couple Cécilia-Nicolas. Le pouvoir d’achat ? Oublié puisqu’il s’agit d’abord d’évaluer le montant des cadeaux faits par le président à sa nouvelle compagne.
Tourneboulé, Franz-Olivier Giesbert parle autant de lui-même que de Nicolas Sarkozy, le président qu’il soutient, lorsqu’il titre « L’acrobate ». Sauf à se mettre à distance, sauf à entamer un décryptage méthodique de l’entreprise de communication Sarkozy, sauf à démontrer que ce qui est là en jeu n’est pas un dévoilement de la vie privée mais une entreprise de confiscation de notre espace public, la presse peut difficilement sortir du piège présidentiel. Chers hebdomadaires, ressaisissez-vous !
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/francois-bonnet