À Londres, jusqu’au 22 mars, se joue une pièce de théâtre, Plague Over England [2], qui retrace la catastrophe intime et publique vécue par John Gielgud après son arrestation, en 1953, pour « cottaging » (ce terme désigne en Grande-Bretagne la drague homosexuelle dans les lieux d’aisance). Le comédien, alors âgé de 49 ans, fut déféré devant un juge, qui ne le reconnut pas et l’enjoignit simplement, après lui avoir infligé une amende, d’« aller directement consulter un médecin ».
Mais un reporter de L’Evening Standard veillait au grain. L’acteur fit la une du féroce tabloïd, songea au suicide, découvrit le soutien du public, affina son art en puisant dans son chagrin — qu'il n'évoquera jamais jusqu’à sa mort, à 96 ans, en 2000. Une tournée aux Etats-Unis d’Amérique fut annulée, l’anoblissement par la reine dut attendre. Broutilles.
La pièce du critique dramatique Nicholas de Jongh [3] rappelle une nouvelle fois au Royaume-Uni que jusqu’à la dépénalisation de l’homosexualité en 1967 [4], ce pays, en vertu d’une loi dont avait souffert Oscar Wilde sur les « acts of gross indecency between male persons », vécut une véritable chasse à l’homo. Le ministre de l’Intérieur nommé après le retour de Churchill au pouvoir en 1951, David Maxwell Fyfe [5], se présentait en grand éradicateur de la « peste » sodomite. C’en était fini du laxisme de l’après-guerre : les escouades d’agents provocateurs étaient réactivées pour faire leurs rondes dans les toilettes publiques. Un millier d’hommes étaient ainsi, bon an mal an, jetés en prison.
Mais la traque de la déviance concernait aussi les lieux privés. En 1954, le procès de lord Montagu, poursuivi pour avoir batifolé sur ses terres de Beaulieu, fit prendre conscience au pays du ridicule infernal de la situation. L’an dernier, dans Le Mail on Sunday, Lord Montagu, octogénaire, revint pour la première fois [6] sur son calvaire judiciaire.
Le génie mathématique Alan Turing [7], pour sa part, se donna la mort en 1954, après que la justice britannique l’eut condamné à subir, pour cause d’homosexualité, une sorte de castration chimique. Désespéré, Turing aurait croqué une pomme trempée dans du cyanure. Il se murmure que le logotype de nos ordinateurs Apple, avec son fruit entamé, serait un hommage crypté au mathématicien victime des ultimes sursauts d’un ordre moral furieusement intrusif...
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/antoine-perraud
[2] http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/theatre/features/john-gielgud-when-england-hounded-a-hero-788459.html
[3] http://www.guardian.co.uk/theguardian/2008/feb/23/theatre
[4] http://www.channel4.com/culture/microsites/0-9/40_years_on/british-sex-scandal.html
[5] http://en.wikipedia.org/wiki/David_Maxwell_Fyfe,_1st_Earl_of_Kilmuir
[6] http://www.mailonsunday.co.uk/pages/live/articles/news/news.html?in_article_id=468385&in_page_id=1770
[7] http://www.uzine.net/article159.html
[8] http://www.mediapart.fr/adhesion