Dans le droit fil de l'article que nous avions publié le 12 février, les magistrats chargés du dossier des faux électeurs du Vème arrondissement de Paris ont décidé de renvoyer Jean Tiberi et sa femme Xavière devant le tribunal correctionnel, selon une dépêche de l'AFP datée de jeudi 14 février. De manière inhabituelle, cette décision a été prise malgré l'avis du parquet qui ne souhaitait pas interférer dans la campagne pour les élections municipales.
Notre article du 12 février.
Décidément, Jean Tiberi, lui-même magistrat de formation, a le chic pour perturber l’institution judiciaire. On se souvient du fameux épisode de l’hélicoptère dépêché dans l’Himalaya par Jacques Toubon, alors garde des Sceaux, pour empêcher le procureur adjoint d’Evry d’ouvrir une information judiciaire contre Xavière Tiberi. Il y a eu le feuilleton de sa mise en cause dans l’affaire des HLM de Paris, dans laquelle il a bénéficié d'un non-lieu ; ou encore la perquisition dans son appartement, au cours de laquelle les policiers, sur ordre de leur hiérarchie, refusèrent d’assister le juge Halphen...
Cette fois, c’est l’opportunité de renvoyer devant le tribunal correctionnel, dans les jours qui viennent, l’ancien maire de Paris –et son épouse- dans l’affaire des faux électeurs du Vème arrondissement qui divise le Palais de justice. D’un côté, le parquet estime que toute initiative dans ce dossier serait inopportune, du fait de la proximité des élections municipales des 9 et 16 mars. De l’autre, les deux juges d’instruction chargés du dossier, Jean-Louis Périès et Baudouin Thouvenot, sont las d’attendre les réquisitions du procureur et envisagent de signer l’ordonnance de renvoi du couple Tiberi devant le tribunal avant la fin du mois…
L’enjeu n’est pas mince. Candidat à sa propre succession pour un nouveau mandat à la mairie du Vème arrondissement, qu’il dirige depuis 1983 –avec une interruption entre 1995 et 2001, puisqu’il était alors maire de Paris, - Jean Tiberi [2] trouvera une nouvelle fois sur sa route Lyne Cohen-Solal. Or, le scrutin s’annonce plus serré que jamais. Dans ce berceau du chiraquisme municipal, la candidate socialiste [3] pourrait même créer la surprise, si l’on en croit un sondage publié la semaine dernière [4] par Le Nouvel Observateur, qui la place en tête (52% des intentions de vote contre 48%).
Pour mieux comprendre le désaccord qui oppose le parquet aux deux juges, un petit retour en arrière s’impose. Ouverte en 1997 à la suite d'une plainte déposée par la socialiste Lyne Cohen-Solal, l'instruction a rapidement mis en évidence l'enrôlement sur les listes électorales d'électeurs qui ne résidaient pas -ou plus- dans le Vème. Mise en cause par plusieurs témoins dans l'organisation et la surveillance de ce qu'ils ont décrit comme un « système », l'épouse du maire, Xavière Tiberi, fut elle-même mise en examen le 4 juillet 2000, du chef de « manoeuvres frauduleuses de nature à porter atteinte à la sincérité d'un scrutin ».
Dans un rapport de synthèse remis au juge Périès, les gendarmes de la section de recherches de Paris chargés de l'enquête concluaient, le 22 novembre 2002, qu' « une des conditions à l'obtention d'un logement social sur intervention était l'inscription sur les listes électorales du Vème ». Dénonçant le « rôle prépondérant » de proches de M. et Mme Tiberi « dans les interventions pour les électeurs frauduleusement inscrits », les gendarmes estimaient alors « louable de penser que ces personnes n' [avaient] servi en fait que de prête-nom et que l'aval de ces interventions [provenaient] du couple Tiberi ».
Le 21 mars 2005, Jean Tiberi était à son tour mis en examen pour « manœuvres frauduleuses de nature à porter atteinte à la sincérité d’un scrutin ». Et le 20 avril suivant, les juges clôturaient leur instruction. Au total, treize personnes sont poursuivies dans la procédure. Le dossier allait alors sombrer dans une apparente léthargie. D’abord, l’ancien bras droit de Jacques Chirac demanda l’annulation de sa mise en examen devant la cour d’appel puis, après le refus de celle-ci, décida de se pourvoir en cassation.
Son pourvoi fut rejeté en avril 2006, et le dossier enfin transmis au procureur pour règlement. Ainsi que le prévoit la procédure, il revient au parquet, au terme d’une information judiciaire, de rédiger un réquisitoire définitif, un document synthétisant le dossier, assorti de réquisitions concernant les personnes poursuivies. En clair, le parquet doit dire s’il souhaite obtenir le renvoi devant le tribunal des mis en examen ou leur accorder un non-lieu. Le document est ensuite transmis aux magistrats instructeurs, qui sont libres de suivre ou non l’avis du parquet.
Dans l’affaire Tiberi, les deux juges semblent avoir perdu patience, las d’attendre depuis maintenant près de deux ans des réquisitions. Il est vrai qu’ils subissent l’amicale pression des parties civiles, persuadées, à l’image de l’avocate de Lyne Cohen-Solal, Me Claude Pollet-Bailleux, que "le parquet a tout fait pour ralentir l’affaire". "Le but, et il est en passe d’être atteint, était d’éviter que l’ordonnance de renvoi du couple Tiberi soit signée avant les municipales ", accuse l’avocate. Selon elle, « même s’il est exact qu’il s’agit d’un gros dossier, puisqu’il fait plus de vingt tomes, il est ahurissant de penser qu’il a fallu près de deux ans pour le régler. Il ne s’agit à l’évidence que d’un prétexte ».
Au parquet de Paris, on confirme que le réquisitoire définitif est effectivement prêt. Il préconise, selon nos informations, le renvoi du couple Tiberi devant le tribunal correctionnel. Mais, estime le parquet, il serait totalement déplacé de le verser à la procédure à quelques semaines du premier tour des municipales.
L’entourage du procureur rappelle que, par tradition républicaine, la justice observe, dans les affaires mettant en cause des personnalités politiques, une sorte de « trêve » au moment des grandes échéances électorales. Le parquet rappelle quelques précédents (Robert Hue, Pierre Bédier, etc.). D’ailleurs, dans une autre affaire révélée lundi par MediaPart [5] et susceptible de mettre en cause l’ex-directeur de campagne de Vincent Roger, candidat UMP dans le IVème arrondissement, le parquet a également choisi de laisser passer les municipales avant de prendre une décision. Les proches du procureur font par ailleurs remarquer que, si le ministère public est critiqué dans cette affaire pour retarder ses réquisitions, il le serait tout autant, voire plus, s’il décidait de les communiquer en pleine campagne électorale.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/fabrice-lhomme
[2] http://www.jeantiberi.fr/
[3] http://www.lynecohensolal.net/
[4] http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/politique/municipales_2008/20080206.OBS9196.html?idfx=RSS_notr
[5] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/11022008/l-ump-denonce-une-campagne-de-caniveau-dans-le-ivem