L’exercice est simple. D’un côté, tenir d’une main le discours officiel remis hier à la presse, et désormais aux citoyens [2], juste avant l’annonce du Plan banlieue. De l’autre, regarder le résultat, live, sur PR TV [3], pour Présidence Télévision. Puis : mesurer les écarts, ces petits riens qui disent tout. Soupeser ces moments où Nicolas Sarkozy s’écarte du texte écrit par d’autres pour revenir à son verbe à lui. Démontage d'une improvisation pas si maîtrisée que ça. Car il est là, tout en entier, ce président de la République qui semble ne pas parvenir à se défaire de ses habits d’ancien ministre de l’Intérieur. Les seuls moments d’envolées, les uniques instants où son regard se porte ailleurs que sur ses notes, sont ceux où il est question de sécurité. Comme si, définitivement, pour Nicolas Sarkozy, la vision policière primait sur le reste.
L’effet est saisissant. En maigre, le discours préparé. En gras, l’improvisation. Du Sarkozy dans le texte, celui là même qui se montre ferme, déterminé, qui ne lit plus, qui dit, qui énonce sur le ton de « je dénonce », qui explicite, qui « passe bien » comme le voudrait la formule consacrée. Cela fait toute la différence : à la télé, c’est le gras qu’on va reprendre. Car le gras est vivant, martelé, face caméra – en un mot il est plus brutal, plus télégénique, plus rentre-dedans.
Nicolas Sarkozy s’élance : « Le premier devoir de l’Etat c’est d’assurer la sécurité. Le premier droit des citoyens c’est le droit à vivre tranquillement sans se trouver sans cesse menacé par des voyous. Parce qu’avec la peur au ventre, on ne vit pas. J’assume tout ce que j’ai dit et fait par le passé sur ce sujet. Je veux une France qui soit juste, une France qui protège les honnêtes gens et qui soit plus sévère vis-à-vis de celui dont la seule idée est d'empoisonner la vie des autres et d'abord celle des habitants des quartiers. Les habitants des quartiers sont d’abord les premières victimes d’une minorité de voyous. Tel est le message que j’ai voulu adresser à tous les délinquants par la loi sur la récidive et l’excuse de minorité qui a été votée en août dernier. A présent, avec Michelle Alliot-Marie, nous allons mettre fin à la loi des bandes, à loi du silence et à la loi des trafics En donnant une nouvelle impulsion spectaculaire aux groupes d’interventions régionaux qui vont être mobilisés jour et nuit sur la mise à jour d’une économie souterraine qui empoisonne la vie des quartiers. La lutte contre les trafiquants de drogue, les maffieux, et les voyous va être engagée sans pitié. Que les choses soient claires : le calme qui règne dans certains quartiers ne sera pas le calme voulu par les trafiquants. Les trafiquants exploitent la pauvreté et la misère. Les trafiquants détournent du droit chemin des jeunes qui veulent s’en sortir. Les choses sont parfaitement claires. Elles doivent être bien entendues. Dès demain, c’est une guerre sans merci qui sera engagée à l’endroit des trafics et des trafiquants. Et j’en assumerai pleinement la responsabilité, les conditions de mise en œuvre et le suivi des résultats. Nul quartier ne sera laissé aux côtés de cette action nécessaire. Nous allons également installer une police qui protègera à tout moment les habitants des quartier. Ce sera le rôle des 200 “unités territoriales de quartier”. En trois ans, 4 000 policiers viendront ainsi renforcer la sécurité dans les banlieues, notamment dans les départements les plus marqués par les violences urbaines. Contre ces violences, en particulier, seront déployées des compagnies spécialisées au recrutement sélectif et comptant plus d'une centaine d'hommes. Nous sommes décidés à nous doter des moyens nécessaires pour museler cette infime minorité qui complique tout, qui empoisonne tout ».
Et c’est ainsi que l’on construit un discours, des schémas, une dialectique. Voyous, maffieux, lutte sans pitié, guerre sans merci — du phrasé parfait pour info express. D’ailleurs, Nicolas Sarkozy ne s’y trompe pas. Il suffit de bien l’écouter, il livre lui-même la clé. Au cœur de son allocution, il décide de revenir sur la délinquance. Habilement, le président de la République va retirer du texte tout ce qui peut apparaître dans la colonne négatif de son propre bilan (ici, les mots soulignés). Et de manière circulaire (en gras), il va auto-renforcer son propos: « Bien sûr, on parle des voyous, j’en ai parlé. On parle des trafiquants, j’en ai parlé, on parle des bandes, j’en ai parlé, qui font parfois régner la terreur. On montre avec complaisance les voitures incendiées, les pillages, les émeutes mais on ne voit pas que derrière cette minorité il y a toute une jeunesse qui ne demande qu’une chose, c’est qu’on lui donne les moyens d’étudier, de travailler, d’entreprendre. »
Derrière le verbe, il y a donc une pensée. Derrière le geste, et l’improvisation, il y a aussi une volonté de faire croire que cette fois, on met le paquet. Chaque fois un peu plus. Ici, le procédé parie sur l’amnésie généralisée. Sur le fait qu’on ne retiendra que le gras, pas ce qui est entre les lignes.
Deux exemples. Les Groupes d'Intervention Régionaux (G.I.R.), alliance de services de police et de l’administration (douanes, fisc, etc.) — dont le texte original du discours d'hier prévoyait simplement de «renforcer l’efficacité» et à qui finalement, Nicolas Sarkozy a donné oralement « une nouvelle impulsion spectaculaire », ce qui n’est pas tout à fait pareil — avaient déjà eu droit aux mêmes honneurs. A la même présentation en grandes pompes. C’était une nuit, dans un petit commissariat de banlieue, le 25 octobre 2005. C’était à Argenteuil, le soir où le futur président de la République était venu annoncer son plan anti-violences urbaines. C’était le soir du mot «racailles», lancé par une habitante d’une fenêtre, aussitôt repris par le ministre — c’était le temps où le gras triomphait.
Autre exemple, cinglant. Il concerne une des rares annonces chiffrées du Plan banlieue de Fadéla Amara: l’arrivée de quatre mille policiers supplémentaires, les « unités territoriales de quartier ». Un communiqué de presse du Syndicat Alliance [4], rédigé hier dans la foulée du discours présidentiel, dont le syndicat est généralement proche, s’étonne de l’improvisation. Le syndicat, très puissant, relève qu’«il n’a pas été associé » à ce plan. Qu’il aimerait bien connaître « la méthodologie envisagée pour parvenir au résultat annoncé». Et qu’il «s’interroge sur les conditions de mise en œuvre de ces renforts à l’heure où certains annoncent la réduction d’effectifs de fonctionnaires, y compris dans la police nationale».
Par « certains », il faut entendre le Ministère du budget il y a quelques semaines, dont les services préconisaient la «suppression d’un poste de gendarme et de policier sur vingt [5]». En conclusion, le syndicat, qui demande un «Grenelle de la Sécurité», dit en maigre ce que Nicolas Sarkozy cherche à faire oublier en gras : « le travail des policiers, si excellents soient ils, ne sauraient régler toutes les difficultés».
A l’Elysée, comme à Beauvau, c’est donc bien la même doctrine qui est à l’œuvre, derrière une réinstauration hypothétique d’une police de proximité dont le Président veut si peu qu’il lui donne un autre nom. C’est la même sémantique, les mêmes tournures. Et c’est sans doute là que réside l’erreur stratégique de Nicolas Sarkozy. En bas de page sur son discours, il est fait mention, comme il se doit, de ceci : «seul le prononcé fait foi [6]». C’est bien là le nœud de la question.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/david-dufresne
[2] http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=Politique_banlieues.pdf
[3] http://www.elysee.fr/webtv/index.php?intChannelId=3&intVideoId=356
[4] http://www.alliance-police-nationale.com/communique_presse_syndicat_majoritaire/08_02_2008_compresse_plan_banlieue.pdf
[5] http://www.lefigaro.fr/france/20071022.WWW000000528_un_rapport_envisage_de_supprimer_postes_de_policiers_et_gendarmes.html
[6] http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=Politique_banlieues.pdf
[7] http://www.mediapart.fr/adhesion