Amphithéâtre de la faculté de droit de Montpellier, jeudi soir. A la tribune: Yves Thréard, directeur adjoint du Figaro, et Edwy Plenel, de MediaPart. Face à eux: près de cinq cents spectateurs, des étudiants, des professeurs, plusieurs responsables de la presse locale (Le Midi Libre, Montpellier Plus, La Gazette de Montpellier) et alternative (L'Agglorieuse). Le débat est ouvert, les questions fusent: l'enjeu de l'indépendance de la presse a bel et bien débordé au delà de la profession. On évoque la concentration des titres, la crise aux [2]Echos [3], au Monde, l'affaire Dasquié [4], ce journaliste entendu sur ses sources par la D.S.T., puis l'affaire du journaliste du Télégramme de Brest dont la justice a fouillé les appels téléphoniques [5], etc. Toutes les menaces qui pèsent sur cette liberté sont égrenées: « Par la logique de capitalisme oligarchique, débute Edwy Plenel, l'ensemble du poumon médiatique en France est dirigé par des personnes qui ont d'autres intérêts que les médias et des liens personnels avec l'homme le plus puissant de France. Aux journalistes de se battre, même si les contenus finissent toujours par être atteints ».
Yves Thréard défend, lui, l'idée que la « presse française est sous-capitalisée ». Il justifie les investissements des « capitaines d'industrie » sans lesquels la presse papier serait déjà morte. Au Figaro où il travaille, l'éditorialiste « se sent libre » malgré l'utilisation militante qu'en fait son propriétaire Serge Dassault, par ailleurs sénateur UMP de l'Essonne. N'empêche, Yves Thréard le reconnaît sans peine: dans le contexte de l'effritement actuel du lectorat, les recettes de son journal, comme de beaucoup d'autres, restent garanties par la publicité, fragilisant les rédactions de plus en plus « pieds et poings liés » face aux annonceurs. Sans pub, pas d'argent. Et sans argent, pas de reportages au long cours, pas d'enquêtes fleuve.
Le responsable du Figaro se veut néanmoins optimiste: la situation ne serait pas si mauvaise pour la presse établie. Et il ne faudrait pas succomber aux sirènes du défaitisme, quelles que soient la crise et la défiance qui agitent aujourd'hui la presse. Yves Thréard dresse alors un parallèle. Comme Chirac en 2002, «qui avait volontairement instrumentalisé le thème de l'insécurité et du sentiment d'insécurité», dit-il, François Bayrou a spéculé en 2007 sur la défiance des Français à l'égard des grands groupes médias, dissociant la situation réelle, bien moins préoccupante que le ressenti.
Et puis, un nom surgit des bancs du public. Un nom en sept lettres, toujours les mêmes: Sarkozy [6]. Quelle influence? Quelles connivences? Quels liens avec les grands titres de la presse parisienne? Son rôle dans le big bang audiovisuel annoncé? Le président People, les vœux spectacle [7], le Sarko Show. Le directeur adjoint du Figaro s'élance: « Je ne pense pas que Nicolas Sarkozy soit plus censeur que ses prédecesseurs, qui l'étaient tout autant que lui...». Silence. «...Je crois simplement que Nicolas Sarkozy, peut-être un peu plus que les autres, n'aime pas les journalistes. Mais pas du tout. Et qu'on a du mal à l'accepter. » Nouveau silence, et Yves Thréard reprend: « Il déteste les journalistes », avant d'ajouter: "Nous sommes des empêcheurs de tourner en rond, enfin j'espère».
Du président de la République, on descend à la région. Du global, on passe au local. Un étudiant demande: «Comment le peuple peut-il se faire entendre en étant ni lisible ni audible à cause de la non indépendance des médias locaux ?» Edwy Plenel comme Yves Thréard se font interpeller. Presse gratuite, information périssable, puissance de la télévision, auto-critique journalistique inexistante ou insuffisante, tout y passe. Puis, on en vient inévitablement à Internet. «Souffle nouveau de la presse», pour Yves Thréard, «outil qui devrait permettre la complexité de l'information» pour Edwy Plenel. Qui conclut: «Sur Internet, il n'y a pas de contrainte de place. Mais un enjeu: celui de la hiérarchie.» Et une quête : retrouver l'indépendance.
Les débats de MediaPart (avec Cyril Berneau, Sarah Cotillard, Ellen Guinéheux et Sébastien Tronche, étudiants au master professionnel des métiers du journalisme de l'université de Montpellier, site www.hautcourant.com [8]).
La liste des rencontres avec MediaPart est disponible ici [9].
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/les-debats-de-mediapart
[2] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/ce-que-revele-la-crise-des-echos-et-de-la-tribune
[3] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/ce-que-revele-la-crise-des-echos-et-de-la-tribune
[4] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/11122007/affaire-dasquie-l-etat-pietine-la-liberte-d-informe
[5] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/12012008/brest-la-justice-fouille-la-liste-des-appels-teleph
[6] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/08012008/le-journalisme-au-defi-du-sarkozysme
[7] http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/08012008/voeux-quand-nicolas-sarkozy-se-joue-des-medias
[8] http://www.hautcourant.com
[9] http://www.mediapart.fr/contenu/les-rencontres-avec-mediapart