Dès l'ouverture de ce pré-site, le 2 décembre, nous avions fait part de notre intention d'interpeller les responsables politiques sur l'état de l'information dans notre pays. Certains d'entre vous ont critiqué cette démarche. Pourquoi donc aller chercher des soutiens politiques au moment où l'ambition première de notre projet est d'affirmer un journalisme pleinement indépendant? Nous ne cherchons pas des soutiens. Mais nous souhaitons simplement que nos élus s'expriment sur la crise grave qui frappe aujourd'hui les principaux moyens d'information. La bataille pour le contrôle du quotidien Le Monde, qui fait suite au rachat des Echos par Bernard Arnault, suffit amplement à démontrer l'urgence de la situation. C'est aussi cette urgence qui nous a conduit à lancer MediaPart.
Après Ségolène Royal [3] en décembre, puis François Bayrou [4] la semaine dernière, plusieurs députés socialistes ou proches de Dominique de Villepin déclarent aujourd'hui soutenir notre initiative : François Hollande, Arnaud Montebourg, mais aussi les villepinistes François Goulard et Jacques Le Guen s'alarment des connivences entre patrons de journaux et pouvoir politique. (Voir les vidéos)
A l'Assemblée nationale, des députés s'inquiètent de la crise d'indépendance de la presse
Devant les menaces qui pèsent sur l’indépendance de la presse, les députés commencent à se mobiliser. La mainmise d’industriels proches du pouvoir sur des journaux à grand tirage (Serge Dassault au Figaro, Bernard Arnault aux Echos, Arnaud Lagardèreà Paris-Match, Vincent Bolloré à Direct-Soir) fait désormais grincer l’hémicycle –en tout cas les bancs de gauche, du centre et les strapontins villepinistes. Initiée durant la campagne présidentielle par un François Bayrou plutôt esseulé, la critique d’un système médiatique mis au service de Nicolas Sarkozy s’amplifie.
« Je n’avais pas pris conscience du danger, glisse le député UMP François Goulard (Morbihan), fidèle de Dominique de Villepin. Mais depuis peu, certaines dérives me sautent aux yeux ». Son collègue Jacques Le Guen (Finistère), également proche de l’ancien Premier ministre, assène notamment, à propos du Figaro : « C’est devenu la Pravda, la voix officielle de l’Elysée ! ». Plus que jamais, dans les couloirs du Palais Bourbon, les élus raillent les journalistes, gratte-papier présumés cornaqués ; le 10 janvier dernier, lors de ses vœux, François Hollande a ainsi lancé : « Méfiez-vous ! Il [Nicolas Sarkozy] va bientôt s’inviter chez vous, dans vos rédactions, peut-être même à votre domicile ! ». Hier, alors que le groupe d’études sur la presse (55 députés), se réunissait pour la première fois depuis le début de la législature, l’avenir du Monde était sur toutes les lèvres, le quotidien subissant actuellement les manœuvres d’Arnaud Lagardère. « Il a longtemps été difficile pour un homme politique de faire intrusion dans ce secteur, mais il y a maintenant urgence », résume le socialiste Arnaud Montebourg (Saône-et-Loire).
A l’origine du mal, le député Jean-Christophe Lagarde (Nouveau centre, Seine-Saint-Denis), ex-UDF rallié à la majorité, pointe une « spécificité française aberrante » : « Les patrons qui investissent dans la presse dirigent des groupes industriels vivant des commandes de l’Etat. Ils n’achètent pas des médias par vocation, mais pour obtenir des moyens de pression sur les décideurs politiques. En échange d’articles bienveillants, ils escomptent des attributions de marchés publics. Pour une rédaction qui résiste, combien cèdent à ces interventionnistes ? ». Dans sa ligne de mire : la censure d’un article du Journal du dimanche (propriété du groupe Lagardère), révélant que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté au second tour de la présidentielle ; ou la publication d’un édito de Serge Dassault à la Une du Figaro, qui congratulait le « dynamique et courageux » chef de l’Etat. Jean-Christophe Lagarde a ainsi dégainé, à l’automne dernier, une proposition de loi visant, entre autres, à prohiber la détention « d’une fraction significative d’une entreprise de presse, de radio ou de télévision par une personne morale ou physique dont l’activité dépend de commandes publiques ». Une initiative illico enterrée. « C’était une bonne idée, considère Jean-Pierre Grand, villepiniste fraîchement suspendu de l’UMP. Mais comment la soutenir sans être ensuite maltraité par des journaux influents ? »
Pour embrayer, plusieurs députés socialistes mijotent une proposition de loi « plus pragmatique » : « Le bon levier, c’est le renforcement du statut des journalistes, estime Michel Françaix (PS, Oise), chargé de composer ce texte, déposé dans les prochains mois. Il faudrait, dans tous les médias, rendre l’existence d’une société des rédacteurs obligatoire, susceptible de jouer les contre-pouvoirs ». Comme nombre de titres (Le Monde, Le Point, Le Figaro…) en disposent déjà, l’élu envisage une seconde mesure, plus hardie : « Pourquoi ne pas donner un droit de veto aux rédactions et permettre que 3/5ème des journalistes puissent s’opposer à la nomination de leur directeur, voire à l’arrivée d’un nouvel actionnaire ? » Michel Françaix renvoie au récent rachat des Echos par LVMH, le groupe de luxe de Bernard Arnault, intime de Nicolas Sarkozy et témoin de son deuxième mariage…
Mais cette « agitation », « ce brouhaha » autour de l’indépendance de la presse, agace le gros des troupes UMP, qui juge son autonomie globalement assurée. Ainsi Frédéric Lefebvre, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, devenu député des Hauts-de-Seine et co-président d’un club parlementaire sur l’avenir des médias (où 80 élus de tout bord côtoient les émissaires de Bouygues ou Endemol), « rappelle qu’il n’y a pas un jour sans qu’une info gênante pour l’Elysée soit publiée. Cette suspicion à l’égard de ceux qui veulent bien investir dans le secteur est franchement déplacée ; que je sache, c’est bien un financier [Edouard de Rothschild] qui a sauvé Libération, sans que j’aie pu constater de basculement à droite des articles ! Les journalistes devraient plutôt s’interroger sur leur dépendance à l’égard de la pub... »
Le jeune député de la Marne Benoist Apparu, en pleine ascension au sein du groupe UMP, résume ainsi l’opinion dominante chez ses camarades : « Savoir qui est propriétaire de quoi, j’en ai rien à cirer ! Tant qu'il existe des journaux de gauche, je trouve ce débat totalement hypocrite. Pour se développer, ou tout simplement survivre, la presse doit se plier aux règles du capitalisme financier ». Interrogé sur le licenciement du directeur de Paris-Match en 2006, sanctionné par le groupe Lagardère pour avoir publié un cliché de Cécilia Sarkozy en compagnie de son amant, Benoist Apparu déplore l’épisode, mais relativise : « Les journalistes s’en sont émus publiquement, démontrant leur capacité à gueuler, à répliquer ; les garde-fous fonctionnent ».
Dans les prochaines semaines, la majorité parlementaire devrait tout de même annoncer des Etats généraux de la presse, un nouveau « Grenelle » : « Sur un sujet qui gratte, on ne veut pas laisser l’initiative au PS », confie l’un des spécialistes des médias à l’UMP, Christian Kert (Bouches-du-Rhône). Les débats se concentreront sur les aides directes de l’Etat aux publications (environ 440 millions budgétés en 2008), jadis créées pour fortifier l’indépendance des titres, mais aujourd’hui estampillées contre-productives par nombre de députés libéraux…
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/mathilde-mathieu
[2] http://www.dailymotion.com/video/x42t8g_pourquoi-je-soutiens-mediapart-fran_news
[3] http://www.mediapart.fr/atelier-journal/article/14122007/segolene-royal-francois-bayrou-dominique-de-villepin-vous-et-quelqu
[4] http://www.mediapart.fr/atelier-journal/article/10012008/au-nom-de-l-independance-de-l-information-francois-bayrou-soutient-
[5] http://www.dailymotion.com/video/x42hke_pourquoi-je-soutiens-mediapart-fran_news
[6] http://www.dailymotion.com/video/x42tyx_pourquoi-je-soutiens-mediapart-arna_news
[7] http://www.dailymotion.com/video/x3zyr1_pourquoi-je-soutiens-mediapart-jacq_news