La crise de direction prend une dimension nouvelle au quotidien « Le Monde ». Lundi 14 janvier, les actionnaires dits « externes » du groupe « Le Monde » ont refusé de nommer à la présidence du directoire Eric Fottorino, directeur du journal.
Il était candidat à la présidence du groupe depuis la démission de Pierre Jeantet, le 4 janvier. Ce refus des représentants des actionnaires extérieures, soutenus par la représentante de l’association Hubert Beuve- Méry, ouvre une nouvelle phase dans la bataille pour le contrôle du groupe.
Lors de ce conseil de surveillance, la société des rédacteurs a violemment mis en cause Alain Minc, président du conseil jusqu’au 31 mars, dont elle demande « le départ immédiat ». Accusé d’avoir volontairement provoqué la crise de direction actuelle en encourageant l’ancien directoire à démissionner, Alain Minc est surtout mis en cause pour organiser la montée en puissance du groupe Lagardère et sa prise de contrôle du quotidien, aux côtés du groupe espagnol Prisa. L’action d’Alain Minc, ajoute la société des rédacteurs dans le texte que nous publions intégralement ci-dessous, vise « à faire perdre son indépendance à l’un des piliers de la presse française depuis 1944 au profit d’un groupe détenu par un proche du président de la République, dont Alain Minc est lui le même le conseiller officieux ».
Un nouveau conseil de surveillance du groupe devrait se tenir le 25 janvier. Eric Fottorino a annoncé qu’il maintenait sa candidature à la présidence du directoire du groupe.
Le texte intégral de la déclaration de la société des rédacteurs lu lors du conseil de surveillance du Monde.
« La Société des rédacteurs du Monde (SRM) prend acte de ce que les administrateurs partenaires ne souhaitent pas présenter formellement la candidature d’Eric Fottorino à la présidence du directoire du groupe Le Monde. Elle regrette profondément que des actionnaires dits « partenaires empêchent le directeur du Monde de concourir à la présidence du directoire de son propre groupe. Pour les raisons qu’elle va maintenant développer, elle demande à Eric Fottorino de maintenir sa candidature. Celle-ci sera soumise au conseil de surveillance du 25 janvier, après que les assemblées générales des sociétés de personnels se seront prononcées.
En effet, la SRM regrette que les sociétés de personnels, malgré leurs demandes, n’aient pas pu rencontrer les administrateurs partenaires avant la tenue de ce conseil de surveillance pour chercher des solutions à la crise ouverte par la démission de Bruno Patino et de Pierre Jeantet. Elle aurait également voulu pouvoir informer chacun des partenaires sur les faits qu’elle va aujourd’hui
aborder.
Cette difficulté à pouvoir dialoguer, dont nous constatons qu’elle résulte de la volonté d’Alain Minc, est un obstacle à la concertation qui doit prévaloir au sein du conseil de LMPA, où sociétés de personnels, de lecteurs, d’actionnaires historiques et de représentants d’un « capital émietté » investi en 1994, ont tout à gagner à marier leurs cultures et leurs compétences. En cherchant à vous joindre, la SRM souhaitait vous exposer la chronologie des faits suivants.
Le 19 décembre, le directoire a démissionné collectivement à la suite de la décision de la SRM de ne pas voter le budget du Monde interactif. Alain Minc a alors menacé de saisir le tribunal de commerce le 4 janvier, date d’effet de cette démission, pour obtenir la nomination d’un administrateur provisoire.
Il est apparu ensuite, dans la semaine qui a suivi, que le président du conseil de surveillance a, selon des protagonistes, « vivement encouragé » le directoire à démissionner, alors que ce dernier pouvait demander un vote de confiance, sur sa stratégie, au conseil de surveillance. Il l’aurait obtenu sans peine, même sans les voix de la SRM. Autrement dit, le président du conseil de surveillance, qui
doit quitter ses fonctions le 31 mars, a délibérément aggravé une situation qui pouvait se régler par le dialogue et par une concertation normale entre actionnaires sur une stratégie d’entreprise.
Dans quel but ? Quelques jours avant cette « crise », Alain Minc, selon Didier Quillot, avait demandé à Arnaud Lagardère s’il serait prêt, en cas de crise grave au « Monde » à être une solution pour le groupe. Cette solution s’est matérialisée peu de temps après, le 27 décembre. Le président et la vice présidente de la SRM ont alors été reçus, à sa demande, par Didier Quillot pour leur exposer un projet commun de prise de contrôle du Monde SA par Lagardère et Prisa, par rachat des ORA. Ce projet de prise de contrôle du groupe a ensuite été exposé plus en détail le 8 janvier par Didier Quillot et Juan Luis Cebrian à huit des douze cogérants de la SRM qui les ont reçus au Monde. Pour la Société des rédacteurs du Monde, l’attitude d’Alain Minc, qui a vivement encouragé la démission du directoire, ne peut être considérée que comme un acte incompatible avec ses fonctions, dont le résultat vise:
- tout d’abord, à entacher le nom du journal en le confiant aux mains d’un administrateur provisoire, dont il avait, un temps, menacé le groupe.
- ensuite, à marginaliser le pouvoir des sociétés de personnels en mettant un terme à l’indépendance économique du groupe Le Monde (alors même qu’après la cession des journaux du Midi, aucun péril imminent, sur les plans économique et financier, ne le menace).
- enfin, à faire perdre son indépendance à l’un des piliers de la presse française depuis 1944 au profit d’un groupe détenu par un proche du président de la République, dont Alain Minc est lui le même le conseiller officieux.
La SRM ne met en cause ni le groupe Lagardère, ni le groupe Prisa, qui accompagnent depuis des années le groupe Le Monde pour développer des projets et qui l’ont assisté à des moments difficiles en respectant toujours, jusqu’à présent, sa nature et son indépendance.
En revanche, elle dénonce les procédés mis en oeuvre par Alain Minc dans lesquels ces deux groupes, comme le directoire, paraissent avoir été instrumentalisés.
Cette attitude conduit la Société des rédacteurs du Monde à demander le départ immédiat d’Alain Minc du conseil de surveillance.
La SRM souhaite, d’ici au conseil du 25 janvier, dont elle demande le maintien, rencontrer les administrateurs partenaires, avec les autres sociétés de personnels. Elle appelle les administrateurs partenaires d’ici là à réviser leur premier jugement et plutôt qu’à le sanctionner, à aider Eric Fottorino dans son projet pour que demeurent intactes les valeurs, la qualité et l’indépendance des titres de notre groupe.
Paris, le 14 janvier 2008. »
Le communiqué de la société des rédacteurs du Monde à la suite du conseil de surveillance du 14 janvier 2008
Bonjour à tous,
Neuf administrateurs "partenaires" (externes), présents au conseil de surveillance de LMPA (Alain Minc, Jean-Louis Beffa, Etienne Pflimlin, Pierre Richard, Mario Colaiacovo, Claude Perdriel, Pierre Lescure, Marie-Louise Antoni, Régis de Laroullière) ont décidé, ce lundi 14 janvier de ne pas soutenir la candidature d'Eric Fottorino à la présidence du directoire au conseil de surveillance prévu le 25 janvier. Ils ont précisé cependant être opposés à la nomination d'un administrateur provisoire.
La Société des lecteurs, représentée par Jean Martin, a indiqué qu'Eric Fottorino avait apporté un certain nombre de garanties satisfaisantes, mais qu'elle en attendait d'autres, tout en appuyant un processus de dialogue entre internes et externes.
L'association Hubert Beuve-Méry (actionnaire interne), représentée par Monique Dagnaud, a déclaré sa confiance aux administrateurs externes et indiqué qu'elle s'alignerait sur la position majoritaire de ceux-ci.
Chacune des sociétés de personnels, par leurs représentants, se sont ensuite exprimées.
Face à la position des externes, la Société des rédacteurs du Monde, par la voix de son président, a lu un texte préparé par le conseil de gérance (voir fichier joint) au terme duquel elle a demandé le départ immédiat d'Alain Minc. Selon les informations dont dispose la SRM, il apparaît qu'Alain Minc, enfreignant les règles élémentaires de sa fonction, a vivement encouragé le directoire à démissionner le 19 décembre, après s'être préalablement assuré de ce que le groupe Lagardère, associé au groupe Prisa, était en mesure de prendre le contrôle du groupe Le Monde.
La SRM a demandé à Eric Fottorino de maintenir sa candidature.
Elle a également demandé à rencontrer les administrateurs "partenaires" en les appelant à réviser leur premier jugement d'ici au conseil de surveillance du 25 janvier.
Une première réunion d'information des personnels est organisée cet après-midi, à 15h30, à l'auditorium.
Bien à vous,
Le conseil de gérance.