L’une des ambitions de ce pré-site, qui était de lancer un grand débat public autour de la nécessaire indépendance de la presse, est en voie de se réaliser. Suivant l’exemple d’intellectuels, des responsables politiques de sensibilités diverses prennent, les uns après les autres, position en faveur d’un renouveau du pluralisme et apportent leur soutien à notre création d’un journal indépendant en ligne. Après Ségolène Royal le mois dernier [2], c’est au tour du président du Mouvement démocrate (Modem), François Bayrou, de répondre à l’appel de MediaPartet de s’alarmer du système organisé de consanguinité qui existe entre le nouveau pouvoir, celui de Nicolas Sarkozy, et les actionnaires de la presse quotidienne française.
Au cours de l’entretien vidéo, que nous avons eu avec lui mercredi 9 janvier, François Bayrou s’indigne de « l’incroyable imbrication de consanguinité, de complaisance, de connivence, qui régit ce tout, tout petit monde qui se rend des services d’un côté, de l’autre… ». Analysant les difficultés que traverse la presse quotidienne française, il estime qu’elles sont certes en partie d’ordre économique. Mais à cette première crise, poursuit-il, vient s’en ajouter une seconde, « une crise d’indépendance », car il n’existe pas, en France, les garde-fous qui fonctionnent dans les autres grandes démocraties, empêchant une imbrication entre « l’argent, l’Etat, et les journaux ». Résultat, un « cercle infernal » : « les puissance d’argent travaillant avec l’Etat et possédant des journaux ».
Le dirigeant centriste vise explicitement les industriels Martin Bouygues (propriétaire de TF1), Arnaud Lagardère (Hachette), Serge Dassault (Le Figaro), Vincent Bolloré (Havas, Direct-8), « et le réseau qu’anime Alain Minc », le président du conseil de surveillance du Monde, « Il y a une somme d’intérêts croisés qu’aucune démocratie digne de ce nom ne devrait accepter », dit-il.
Multipliant les critiques contre Nicolas Sarkozy, François Bayrou revient aussi sur la soirée du Fouquet’s, le célèbre restaurant des Champs Elysées, où le président de l’UMP a fêté sa victoire, au soir du 6 mai 2007, en présence de la plupart des grands patrons et propriétaires de la presse quotidienne. « Cette nuit du Fouquet’s dit tout de l’état de la presse en France » ; tout des « engagements » de certains journaux, des « partis pris non déclarés… ». Le président du Modem pointe aussi la responsabilité de certaines rédactions où, dans ce climat, règne « moins souvent de la censure que de l’autocensure ». « Nicolas Sarkozy a démontré à plusieurs reprises qu’il voulait pousser la carrière des uns et barrer la carrière des autres », dit-il encore.
Ces propos prennent une importance particulière. De tous les candidats à la dernière élection présidentielle, le dirigeant centriste est celui qui s’est le plus fréquemment alarmé des menaces qui pèsent sur l’indépendance de la presse, et qui a placé au centre de sa campagne cette question du pluralisme. A de nombreuses reprises, avant la premier tour, le président du Modem s’est déclaré favorable à ce que l’on reprenne pour les médias le programme d’action adopté à l’unanimité, le 15 mars 1944, par le conseil national de la Résistance : « Assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent. »
François Bayrou ne s’est d’ailleurs pas limité à des propositions de principe. Rompant avec une règle de prudence de nombreux dirigeants politiques, qui osent rarement mettre publiquement en cause les actionnaires des grands médias de peur d’être privés d’un possible entretien ou d’une invitation à un « 20 heures », il a mis vivement en cause la politique éditoriale des dirigeants de TF1 ou encore de ceux du Monde.
A deux reprises, lors de ses passages aux journaux de TF1, le samedi 2 septembre 2006 [3], puis le samedi 2 décembre 2006 [4], il a eu ainsi une vive altercation avec la présentatrice Claire Chazal, émettant des doutes sur l’impartialité de la chaîne, dont l’actionnaire, Martin Bouygues, est le plus proche ami de Nicolas Sarkozy (son témoin de mariage et le parrain de son fils). Lors du premier entretien, le candidat a en particulier mis en cause « ces puissances économiques [qui] détiennent de très grands médias ».
Au Monde, dont le président du conseil de surveillance, Alain Minc, est depuis de longues années le conseiller du même Nicolas Sarkozy, François Bayrou a par ailleurs fait grief de son éditorial juste avant le premier tour. Ecrit par le directeur de l’époque du journal, Jean-Marie Colombani, cet éditorial, publié dans le journal daté du 19 avril 2007, rendait le service insigne au président de l’UMP de le présenter comme le seul candidat légitime de la droite et du centre, à l’exclusion donc de... François Bayrou ! Minimisant la percée du candidat centriste, - due selon lui, uniquement à « une impatience à gauche, face à un PS incapable de faire émerger une force sociale-démocrate moderne », Jean-Marie Colombani appelait clairement à « éliminer » l’intéressé : « Traditionnellement, dans un scrutin présidentiel, l'adage veut qu'au premier tour on choisisse et qu'au second on élimine. Cette fois, il faut éliminer au premier tour pour être sûr de pouvoir choisir au second. En dépit des confusions qui ont parasité la campagne, le seul projet qui s'oppose à celui de Nicolas Sarkozy et qui s'appuie sur une force politique capable de gouverner est celui de Ségolène Royal », écrivait-il.
Ce même 19 avril 2007, de Pau, François Bayrou répliquait à l’éditorial en faisant ce constat : « Naturellement, derrière tout cela, il y a des influences puissantes », des « hommes qui sont engagés dans les milieux d’affaires, les relations avec l’Etat », déclarait-il, mettant explicitement en cause Alain Minc et ses « commanditaires ».
Répondant à nos questions, le président du Modem revient sur « ce coup de pouce incroyable à Nicolas Sarkozy » et fait le constat que, huit mois après l’élection présidentielle, la situation de dépendance de la presse s’est encore aggravée. François Bayrou apporte donc son soutien au projet de journal indépendant en ligne, porté par MediaPart : « Je soutiens ce projet comme je soutiendrai tout projet du même ordre », dit-il. Et quand on lui demande ce qu’il pourrait espérer d’une presse indépendante, la réponse fuse : « le B- A BA : qu’elle respecte le pluralisme ; et qu’elle dévoile le dessous des cartes, sans populisme ».
Son intervention constitue donc une forte invitation à amplifier le débat autour du pluralisme. Dans un communiqué [5], mis en ligne le 14 décembre 2007, sur son site internet « Désir d’avenir », l’ex-candidate des socialistes, Ségolène Royal avait plaidé dans le même sens, et appuyé l’initiative de MediaPart : « Toutes les initiatives audacieuses qui tentent de changer la situation de la concentration de la presse méritent d’être soutenues, au nom de la liberté de l'information et du pluralisme. C'est le cas du récent projet MediaPart, né de la rencontre entre des professionnels du journalisme et des spécialistes du Web (…) Au nom du pluralisme des médias, je vous invite à leur donner leur chance en vous abonnant », écrivait-elle.
Au cours de la campagne présidentielle, la candidate socialiste avait, elle-même, déploré la « concentration des pouvoirs entre quelques mains, économiques et médiatiques ». Les Français, avait-elle encore dit, « ne veulent pas que le pouvoir soit confisqué entre les mains de quelques groupes médiatiques liés aux puissances d’argent et liés à un candidat. Ce n’est pas acceptable dans une démocratie et je crois qu’il faudra faire les réformes nécessaires pour mettre fin à cette concentration ».
Dans les prochains jours, MediaPart se fera l’écho des autres prises de position que nous recueillerons, issues de toutes les sensibilités des courants démocratiques français. Des dirigeants de la gauche radicale à ceux de l’UMP, en passant par ceux du Parti communiste, des Verts ou encore des différentes sensibilités du Parti socialiste, nous les solliciterons tous, pour qu’ils prennent position dans ce débat. De même que nous solliciterons encore d’autres intellectuels, des écrivains, des artistes, des dirigeants syndicaux ou encore des industriels ou des financiers.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/laurent-mauduit
[2] http://www.mediapart.fr/atelier-journal/article/14122007/segolene-royal-francois-bayrou-dominique-de-villepin-vous-et-quelqu
[3] http://www.dailymotion.com/relevance/search/bayrou TF1 2 septembre/video/xfhzu_bayrou-denonce-les-media
[4] http://www.dailymotion.com/relevance/search/bayrou chazal/video/xql52_bayrou-chazale-le-clash-2-decembre_events
[5] http://www.desirsdavenir.org/index.php?c=sinformer_actualites&actu=2013