La première conférence de presse du quinquennat a commencé depuis presque une heure et demie, le président de la République vient à peine de répondre "oui" à une question sur sa volonté d'en finir en 2008 avec les 35 heures, que Christine Clerc, une ex-plume du Figaro, celle que Coluche appelait "la petite soeur des riches", se lève et se présente. "Journaliste indépendante", dit-elle, avant d'interroger sur le pouvoir d'achat et l'attente des français en la matière. Nicolas Sarkozy ne se départit pas du ton qu'il a adopté depuis le début, mi-rigolard, mi-compatissant. "C'est aimable pour les autres". Eclats de rire dans la salle des fêtes de l'Elysée où s'entassent plus de six cents journalistes et cameramen, sans que l'on puisse distinguer si ce rire collectif est jaune ou gêné.
Quelques minutes avant, Laurent Joffrin -qui avait égratigné la veille dans Libération un "Poutine soft [2]" - pose une question à tiroirs dans laquelle il stigmatise une éventuelle "monarchie éclairée" et émet l'hypothèse que certains des ministres du gouvernement Fillon sont en sursis. " Je vous retourne le compliment", cingle le président qui, par deux fois, renvoie le directeur de la rédaction aux difficultés que rencontre son titre. "Vous devez savoir ce que c'est que le sursis", plaisante le maître du pupitre. Silence des confrères.
Mordant, cruel, moqueur, le président aura passé le plus clair de son temps à répondre aux journalistes sur le mode de celui qui surplombe. Un préambule stratosphérique [3] de près de trois quarts d'heure pour justifier "la politique de civilisation" qu'il entend dorénavant incarner, des voeux en passant pour préférer "l'excès de presse plutôt que son absence", et le tour est joué. La convenance républicaine qui commande au premier pouvoir de recevoir chaque début d'année en son lieu de prédilection le quatrième n'a jamais mieux trouvé à s'exprimer. Parce qu'excès, il n'y aura pas. En tout cas, pas du côté des invités. C'est le président qui attaque, vole aux secours de ses amis qui prennent le contrôle des médias, considérant leur arrivée comme "une bonne nouvelle", estimant plus intelligent de réformer la distribution des journaux (contrôlée par Arnaud Lagardère) plutôt que de discuter de l'identité de tel ou tel de leurs propriétaires. L'homme qui fait des cartons d'audience à chaque intervention télévisée, qui multiple les Une depuis les huit mois qu'il a été élu n'a jamais été bousculé, jamais déstabilisé par les questions, même quand il annonce son souhait de voir la publicité quitter le champ de l'audiovisuel public (ce qui fait flamber le cours de TF1, contrôlé par Martin Bouygues).
Il n'y a pas de grand ou de petit journaliste, dans une conférence de presse de ce type, il y a celle ou celui qui tient le micro et le confrère qui ne le tient pas. L'assistance vient donc d'écouter sagement un discours de haute volée tendant à démontrer que la France pourrait être "l'âme de la nouvelle Renaissance dont le monde a besoin" si elle accepte le changement proposé par le chef de l'Etat, qu'une consoeur de la télévision ramène tout le monde à l'essentiel. En l'occurrence, son mariage avec Carla Bruni. Le président attaque encore, ironique et ravi de l'aubaine: " Faut-il que vous me fassiez confiance pour me poser cette question. Pour certains de mes prédécesseurs, vous saviez, vous ne disiez rien". L'ange passe, François Mitterrand, l'avion présidentiel pour Louxor et ses "différentes familles" sont explicitement évoqués par Nicolas Sarkozy. " J'incarne la rupture avec une tradition déplorable de notre vie politique, l'hypocrisie", dit-il, avant de mettre ses éventuels censeurs devant leurs contradictions économiques. "Je n'ai pas demandé que des photographes soient présents à Disneyland, je n'ai pas donné de consigne, pas davantage que je n'ai demandé qu'ils m'accompagnent en Egypte (...) Si vous ne voulez plus qu'on parle de ma vie privée, n'envoyez plus de photographes."
A la fin des questions, il est plus de midi. L'échange, si l'on peut dire, traîne en longueur, une autre journaliste de télévision l'interroge enfin sur son salaire, ses voyages dans l'avion de Vincent Bolloré, l'étalage de sa vie privée. Le président se fait méchant: "Est-ce que vous avez demandé aux autres combien ils gagnaient?". Un autre ange passe, mais cette fois, c'est Jacques Chirac qui est appelé à la barre des témoins. Un brin vachard, un poil grossier après avoir constaté que lui ne cumule pas retraite et traitement, il n'hésite pas. L'ex-candidat du pouvoir d'achat qui s'est substantiellement augmenté balance son ancien mentor. " Ca me fait un peu moins que mon prédécesseur", compte-t-il. Pas de réaction. Quant à la multiplication des emprunts des moyens de locomotion du patron de Direct 8 et autres journaux gratuits, le président reconnaît qu'il pourrait prendre les lignes régulières comme le lui conseille l'opposition, en détaillant le nombre et la qualité de tous ceux qui, des gardes du corps au médecin, sont tenus d'accompagner un chef de l'Etat en déplacement. "Dix personnes suivent" dit-il, sans que l'on voit véritablement le rapport.
D'autres conférences de presse suivront en cette année 2008.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/gerard-desportes
[2] http://www.liberation.fr/actualite/politiques/302095.FR.php
[3] http://www.elysee.fr/documents/index.php?lang=fr&mode=view&cat_id=3&press_id=861