Pendant que nous commencions avec quelques confrères à mettre sur pied le projet MediaPart, un groupe de journalistes américains se réunissait à New York. Pour dresser un constat et formuler des envies professionnelles étonnamment proches des nôtres.
Leur projet s’appelle désormais ProPublica [2], « un journalisme d’intérêt général », disent-ils. Ce nouveau site d’information doit sortir au premier trimestre 2008. Comme le notre. Il sera porté par une équipe de vingt-cinq à trente journalistes. Comme l’est le projet Mediapart. Et il a un objectif prioritaire : faire du journalisme d’investigation –ce mot ne fait pas peur outre-Atlantique - ; remettre sur le devant de la scène ce qui doit être le cœur de notre métier, la recherche d’informations, l’enquête.
Nous ne connaissions pas nos collègues américains. Et en découvrant leur projet, nous découvrons aussi les mêmes préoccupations et des réponses éditoriales très semblables. La baisse de diffusion des grands quotidiens américains, l’évasion de la publicité vers Internet, l’explosion de sites web d’information ont plongé bon nombre de rédactions de la presse papier dans des crises graves. Réductions d’effectifs, plans sociaux à répétition, baisse drastique des moyens consacrés au reportage et à l’enquête, perte de confiance des lecteurs : les ingrédients ne diffèrent guère, même si la presse américaine peut encore s’appuyer des groupes multimédias puissants.
Joint par téléphone, Richard Tofel, directeur général de ProPublica [3], se dit convaincu « qu’il existe une demande non satisfaite pour un journalisme de grande qualité ». « L’arrivée d’Internet, la baisse des volumes publicitaires et
des profits auxquelles est confrontée la presse aujourd’hui, évincent le journalisme d’investigation des salles de rédaction, un journalisme qui est pourtant crucial pour notre métier », ajoute-t-il.
De nouveaux modèles sont à inventer, dit aujourd’hui l’équipe de ProPublica. Elle est conduite par Paul Steiger, un ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal, vieux routier du journalisme et qui peut afficher à son tableau de chasse seize Prix Pulitzer obtenus par les reporters qu’il dirigeait. Son bras droit s’appelle Stephen Edelberg, ancien journaliste du New York Times où il créa et anima la cellule de journalisme d’investigation avant de rejoindre les rédactions de plusieurs grands quotidiens américains régionaux.
Le projet de ProPublica, comme celui de MediaPart, n’est pas de suivre les sites d’information déjà existants, de délivrer un flux continu et non hiérarchisé de nouvelles, de faire mine de « tout » couvrir. Il est de se concentrer sur « quelques histoires très importantes » au cœur de la vie publique. « Nous allons travailler dur sur deux secteurs-clés, le business et le gouvernement, les deux principaux centres de pouvoir », annoncent nos confrères.
« Nous n’avons pas l’intention d’entrer en compétition avec d’autres supports, précise Richard Tofel. En revanche, il s’agit d’attirer l’attention de lecteurs qui sont à la recherche d’une information de qualité et pédagogique, exacte et non biaisée et qui les aident à mieux comprendre le monde et les choix qui se posent à eux en tant que consommateurs, électeurs ou citoyens. » Ici, à MediaPart, nous reprenons bien volontiers à notre compte ces explications.
Mais les Etats-Unis ne sont pas la France ! Et l’autre originalité du projet ProPublica est son financement. L’équipe s’est constituée en association à but non lucratif et le projet est financé par plusieurs fondations. La plus importante d’entre-elles est la Sandler Foundation, créée par le financier Herbert Sandler (le magazine Forbes estime sa fortune à 1,2 milliard de dollars). Cinq autres fondations, dont The Atlantic Philanthropies et Cleary Gottlieb, participeront au financement de ProPublica. Un budget annuel de 10 millions de dollars est d’ores et déjà programmé.
« Les philanthropes qui nous financent ont fait le même constat que nous, explique Richard Tofel. Pour que la presse soit libre, il faut rester vigilant. Et elle est presque toujours remise en question par ceux qui tirent profit du secret ou de l’ignorance. Cela dit, le soutien pour une presse libre aux Etats-Unis, ainsi que dans d’autres parties du monde, reste de taille. »
En France, les fondations ne se sont jamais mêlées d’information. Autre culture, autres pratiques. Au moment où les industriels de l’aéronautique et de l’armement (Lagardère et Dassault), des matières premières et des transports (Bolloré), du bâtiment travaux publics (Bouygues), du luxe (Bernard Arnault et François Pinault) contrôlent une bonne partie des systèmes d’information, cet exemple américain devrait faire réfléchir. Le projet MediaPart a, lui, fait le choix de s’en remettre à ses lecteurs. Vous et vous seuls, lecteurs-internautes, déciderez du succès de ce projet de site d’informations et de débats. En participant à nos échanges et en vous abonnant pour faire vivre ce qui doit devenir une maison commune.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/francois-bonnet
[2] http://propublica.org/index.html
[3] http://propublica.org/index.html