Automne 1995, au fond du studio, un boîtier crachotait son petit bruit énigmatique. Un bruit régulier, tititititititiiiiiii-tit-tit
1995. Les premiers webzines [4] (magazines sur le web). Les fondations. Les hésitations. Les grandiloquences. Les sacrées erreurs de jugement et les quelques bonnes intuitions. Un monde s'ouvrait, à la fois concret et parallèle, virtuel et solide, second life et doublure parfaite d'une vie à écrire. Média à part. MédiaPart déjà?
Dans la foulée, nous rédigerons à quelques uns le Manifeste du web indépendant [5] Gratuité, publicité, payant, pas payant, structures de l'info et infrastructures, serveurs, servilité, les questions d'aujourd'hui traversaient déjà le Net d'alors. Un peu partout, avec ou sans naïveté, et beaucoup d'idéal. Confusion, profusion, opposition (révolution ?). Petit débit et grands débats.
Il fallait alors mener deux vies. Diurne et nocturne. Etre journaliste le jour ; internaute la nuit. La carte de presse et la carte mère [6]. Douce schizophrénie qui va durer longtemps. La bataille des logiciels libres sera lancée. Elle fait toujours rage (et le petit finira bien par l'emporter, heureusement). Certains pionniers vont justement choisir cette voie. Donner des outils à tous pour que tous puissent s'exprimer. Plus tard, on appellera ça les blogs. Parallèlement, dans le monde de la presse, c'est l'époque des premiers bugs. La crise qui s'installe. Le déclin d'un secteur qui peine à se rappeler qui il est (ou devrait être): un contre pouvoir.
Les années passent et qu'importe la netéconomie ou pas, les start-up ou les start-down, la folie boursière à la hausse ou à la baisse, le web deuzéro ou zérozérosept, les grands délires ou les petits délices, les modems bruissent toujours. Le Net a changé de visages de multiples fois, par saccades, par à coups. Mais inexorablement, il a tenu son cap: faire circuler les informations, coûte que coûte. Ce sont ses gènes militaires qui parlent: si, pour une raison ou pour une autre, une information est bloquée là, elle passera par ici. A tel point qu'en 2007, il semble que ce soit le même souffle qui court à nouveau, la même utopie concrète, qu'en 1995. Socialement, culturellement, économiquement même. Nous en sommes là.
Désormais, on s'informe sur et par le Net comme un acte social. Comme avant, on achetait Libé, Le Parisien, Les Inrockuptibles, Le Point ou Le Figaro, Les Cahiers du Cinéma ou Positif. Pour dire son appartenance, ses choix. Rejoindre l'équipe ou adhérer comme lecteur à MédiaPart, ce pourrait grosso modo être ça: faire un pari avec soi même. Renouveler le genre, parce que sans renouvellement, tous les genres sont condamnés. Journalistiquement, la période actuelle pourrait bien être la réplique du séisme de 1995. Internet avait déjà secoué tous les pouvoirs, il ne lui en restait qu'un: le quatrième. Dans son dernier ouvrage, Henry Jenkins [7], directeur du programme Comparative Media Studies au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et chantre des « convergences culturelles entre médias » écrit: « Ceux qui font les médias ne pourront résoudre leur crise actuelle qu'en renégociant leur relation avec leurs utilisateurs. Le public à qui on a donné le pouvoir grâce à de nouvelles technologies et qui occupe désormais un espace à l'intersection des anciens et des nouveaux médias exige de participer à cette culture. Les créateurs qui ne parviendront pas à aller au rythme de cette nouvelle culture participante verront leur public et leurs bénéfices décliner. Les luttes et les compromis qui en résulteront définiront la culture publique du futur ».1
Alors, rejoindre MédiaPart. Pour aller au bout de la logique, régler ses comptes à la schizophrénie, et allier le meilleur de l'un et de l'autre, les force du Net et les atouts d'un journalisme sans concession; la souplesse du grand réseau et le recul du journaliste ; la vitalité du premier et la mémoire du second. La liberté de l'un et de l'autre. L'esprit critique de l'un vers l'autre. Certains ici [8] et là [9] ont déjà ouvert la voie. Journalisme et Internet? C'est enfin l'heure du choc (culturel). De ceux qui bouillonnent et vont de l'avant.
Henry Jenkins, «Convergence Culture », 2007, traduit en Français dans la revue Médiamorphoses [10], n°21 : « 2.0 ? Culture numérique, cultures expressives », septembre 2007, INA Publications.
Liens:
[1] http://presite.mediapart.fr/atelier-journal/equipe/david-dufresne
[2] http://www.davduf.net/larafale/
[3] http://presite.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/laurent-chemla-%C2%AB-la-gratuite-des-sites-est-un-mythe-%C2%BB
[4] http://www.davduf.net/larafale/
[5] http://www.uzine.net/article60.html
[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Carte_mère
[7] http://web.mit.edu/cms/People/henry3/
[8] http://www.rue89.com/
[9] http://arretsurimages.net/
[10] http://www.ina.fr/actualites/boutique/livres.html?collec=84