Enquête sur la crise financière des Caisses d’épargne 1. Le viol du pacte passé avec la Caisse des dépôts

28/01/2008Par

Le début de l’histoire des turbulences dans lesquelles sont prises les Caisses d’épargne remonte à mars 2006. A cette époque, la Caisse nationale des caisses d’épargne (CNCE) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sont arrimées l’une à l’autre.

L’une détient l’un des deux réseaux, avec celui de La Poste, au travers desquels sont distribués les Livrets A et joue un rôle décisif dans la rémunération de l’épargne populaire. L’autre gère les sommes ainsi collectées et peut y puiser pour assurer le financement du logement social.

Gérant deux missions d’intérêt général complémentaires, les deux institutions ont très logiquement des intérêts communs : la seconde est l’actionnaire de la première à hauteur de 35% de son capital. Les deux groupes sont aussi liés par un pacte d’actionnaires courant jusqu’en 2010, faisant notamment obligation à la CNCE d’informer la CDC de tout changement de stratégie. Les deux groupes, l’un public, l’autre d’origine mutualiste, sont donc, si l’on peut dire, « pacsés » l’un à l’autre. Et visiblement pour longtemps…

Comment imaginer qu’un grain de sable puisse venir gripper ces deux mécaniques, au cœur des politiques publiques françaises depuis plus de deux siècles ? Même les procédures de nominations garantissent la solidité de l’édifice : le directeur général de la CDC est nommé par décret du chef de l’Etat ; le président du directoire de la CNCE l’est par son conseil mais, compte tenu des missions d’intérêt général confiées à la maison, le ministre des finances doit aussi donner son agrément à sa nomination. Il est donc impossible que les deux maisons divorcent. Sauf à penser que la puissance publique puisse un jour se désintéresser de ces deux missions d’intérêt général et laisser l’une ou l’autre des deux entreprises voguer vers d’autres horizons.

C’est précisément ce qui va advenir en ce début d’année 2006. Secrètement, Charles Milhaud a depuis quelques mois pris langue, en violation de son pacte d’actionnaires, avec Philippe Dupont, le patron des Banques populaires, pour lui proposer de fusionner leurs divisions banque d’investissement. Quand l’affaire est ébruitée, elle suscite sur le champ l’indignation. D’abord pour une raison éthique ou morale. Ancien directeur général de la CDC et président l’Institut français des administrateurs, Daniel Lebègue dit sa stupéfaction dans une déclaration au Monde (15 mars 2006) : « Va-t-on enfin se décider à mettre à l'écart de la présidence de l'un de nos plus grands groupes, un homme [Charles Milhaud] qui ne respecte ni sa parole ni l'éthique professionnelle ? C'est une décision qui relève de la responsabilité du conseil de surveillance de la Caisse nationale des Caisses d'épargne et, le cas échéant, de la Commission bancaire, chargée de veiller à l'honorabilité des dirigeants, et du ministre des finances, qui donne son agrément à la nomination du président du directoire des Caisses d'épargne. » 

Deux ans plus tard, le même Daniel Lebègue revient dans la vidéo ci-dessous sur l’affaire et en tire pour MediaPart les enseignements. 
 

 

Autre autorité morale du monde financier, René Barbier de La Serre, ex-président du Conseil des marchés financiers (CMF), dit aussi au Monde (28 avril 2006) sa stupéfaction après ce viol du pacte d’actionnaires : « Je suis profondément étonné par la désinvolture avec laquelle la Caisse nationale des caisses d'épargne traite sa propre signature (...) Dans la vie économique courante, il n'y a pas d'échange sans respect des engagements pris. On aurait tort de penser que la vie financière fonctionne différemment : les marchés financiers requièrent régulation et éthique. »

Bien que rongé par un cancer qui finira par l’emporter à la fin de 2006, le patron de la CDC, Francis Mayer, est lui-même disposé à se battre pour faire prévaloir l’intérêt public. Mais en face de lui, nul soutien : le ministre des finances, Thierry Breton, laisse faire. Quant aux marchés financiers – appuyée par une bonne partie de la presse économique –, ils applaudissent la création de cette nouvelle banque, qui échappe au secteur public. Le mariage des deux divisions banque d’investissement de la CNCE et des Banques populaires (dont Ixis d’un côté, Natexis de l’autre) finit donc quelques mois plus tard à voir le jour et donne naissance à une nouvelle société, baptisée Natixis, contrôlée à parité (34,4% chacun) par les deux groupes fondateurs. 

L’indifférence de la puissance publique, sinon sa complicité, va peser sur la suite de l’histoire. Trahie par son alliée historique, la CDC, qui gère de l’argent public, cherche évidemment à défendre ses intérêts et accepte de sortir du capital de la CNCE, mais à la condition que cette dernière en paie le prix fort. C’est donc le compromis qui est finalement trouvé : la CNCE doit signer un chèque fabuleux de 7 milliards d’euros pour bouter hors de ses murs son actionnaire de référence.

La CNCE gagne donc la bataille. Mais en apparence seulement car – même si nul ne s’en inquiète à l’époque, pas même Bercy - elle sort alors financièrement exsangue, avec des fonds propres qui ont été laminés par son coup de force. Or pour une banque, l’argent c’est évidemment le nerf de la guerre. Après la création de Natixis, la CNCE a donc une épée de Damoclès au-dessus de la tête. L’épée du ratio de solvabilité... Mais ce danger-là n’est pas le seul. Coupant ses amarres avec la CDC, la CNCE ne signifie-t-elle pas également, dès 2006, son désintérêt pour les missions d’intérêt général, et notamment pour sa mission centrale : la rémunération de l’épargne populaire ? Curieusement, à l’époque, nul ne prend garde, non plus, à cet aspect des choses. Deux ans plus tard, on se rend compte qu’il est pourtant décisif. Avec la remise en cause du monopole de distribution du Livret A et celle de la formule d’indexation de son taux de rémunération que le gouvernement vient d’annoncer – deux projets sur lesquels nous reviendrons  dans le fil de cette enquête –, le système français de protection de l’épargne populaire vit sans doute ses derniers jours.

Mardi. Au cœur de la crise des subprimes.

Bonjour,
je me suis abonné voilà longtemps déjà, et je ne le regrette pas. Je vais suivre cette enquête avec une attention particulière; je suis conseiller financier à La Banque Postale. Nous, qui sommes en face des clients, sommes vraiment insignifiants, fêtus de paille devant ces milliards qui défilent. Société Générale, maintenant l'Ecureuil, à qui le tour ? Nous, nous avons eu notre " Bénéfic", qui nous a été bien préjudiciable. A quand un vrai respect du client ? Son argent, oui, mais pourquoi faire ? Il est plus facile de prendre des risques aux Etats-Unis que de vouloir aider nos forces vives, ici, en France notamment pour des prêts aux créations d'entreprises. Au final, les risques seraient encore moins grands en investissant chez nous, et en plus il y aurait des retombées directes. Ne serait-ce pas là ce qu'on pourrait attendre d'une banque. Dans ce cas, on ne peut s'empêcher de penser à qui cela profite-t-il? A quand un juste retour des choses et placer l'homme avant ? Médiapart, je vous souhaite toute la réussite que votre esprit d'entreprise mérite. JL D

Début d'une enquête qui s'annonce passionnante!
Ce genre d'enquête est la plus belle manière de répondre aux critiques qui visent le projet MediaPart et surtout de convaincre les plus réticents de s'abonner afin de soutenir un journalisme d'investigation ;-)

Olivier, 38 ans, vivant à Francfort

Merci pour cet article. Il est à mon avis révélateur de 3 éléments clés qui participent au "déclin" de notre République :
1/ La trahison des élites
Les élites françaises (grandes écoles, Ena...) qui passent allégrement de la grande administration au privé n'ont en général plus aucune conscience d'être au service du peuple. Elles pensent au contraire qu'elles ont le droit de SE servir. Tout leur est dû. Une toute petite minorité contrôle l'économie, l'administration, les médias... Et les nouvelles règles de l'économie fait qu'il est maintenant acceptable, ou du moins accepté, de gagner des millions tout en ayant coulé une entreprise et détruit des richesses. Combien de patrons, de ministres, ont démissionné ces 10 dernières années?

2/ Le copinage, entre ces élites qui s'entraident
Contrairement à une certaines idée que l'on pourrait se faire du libéralisme, censé récompenser la prise de risque, ces élites ont vraiment le beurre (des rémunérations de plus en plus élevées) et l'argent du beurre (des risques quasi inexistants). De temps en temps, on en sacrifie un qui s'est comporté de façon trop indécente (JM Messier, le chef du Cabinet de Mme Boutin...) ou qui est devenu vraiment trop gourmand, mais c'est pour mieux justifier le système.
A peu d'exception prés, ces élites sont des hommes blancs entre 45 et 65 ans, sortis des mêmes écoles, ayant suivi les mêmes parcours. Trés peu sont nés, ont vécu ou ont travaillé à l'étranger.

3/ L'idéologie de la privatisation
Contre toute analyse factuelle, ces élites défendent l'idée que tout ce qui est public ne peut pas marcher (ou est condamné à court terme) et que la privatisation est la seule voix de progrés. Les échecs majeurs liés à la privatisation, en France (service de l'eau dans les grandes agglomérations, France Télécom, désastre annoncé de GDF) comme à l'étranger (services ferroviaires en UK, énergie aux USA) ne sont jamais analysés ni pris en considération. Ils sont en plus soutenus par l'Europe qui défend elle aussi cette idéologie. Cette catastrophe est renforcée par le manque quasi systématique de véritable concurrence (du fait entre autre du point 2). Rares sont en France les véritables industriels ou créateurs qui ont les moyens de bousculer le systéme.

En bref, nous sommes en train d'assister au torpillage de toutes les grandes infrastructures mis en place aprés la seconde guerre mondiale (ou même antérieures). Cela ne sera pas perdu pour tout le monde....

Vous citez René Barbier de la Serre en le présentant comme ex-président du Conseil des marchés financiers, mais je pense qu'il aurait été bien plus honnête de votre part de le présenter autrement: au moment de l'entretien, il préside le comité consultatif de la Caisse des dépôts. Autant dire qu'il avait plutôt intérêt à défendre la position de la CDC face à l'écreuil dans ce dossier...

Il est exact qu'en 2004 Francis Mayer avait confié à René Barbier de La Serre la présidence d'un comité consultatif chargé de réfléchir aux principes de gouvernance de la Caisse des dépôts. Peu avant, le ministre des finances avait fait appel au même René Barbier de La Serre pour faire un rapport sur le fonctionnement de l'Etat-actionnaire. Dans l'un et l'autre cas, l'intéressé avait été choisi au motif qu'il avait la réputation d'être impartial.
Mais vous avez donc raison: dans un souci de précision, j'aurais dû préciser cette relation entre l'intéressé et la CDC.
Convenez tout de même que cela ne change rien au constat de fond: dans la vie des affaires, le respect de la parole donnée n'a-t-il aucune importance?

Charles MILHAUD n'est pas issu de grandes écoles , loin de là , nous avons , bêtement c'est vrai , toujours plaisanté de son dipôme en chimie.Ce monsieur a commencé comme employé à la CE de SETE où son père travaillait déjà.
Son dipôme ne l'a pas empêché de devenir ce qu'il est.
On n'arrive pas là sans grande volonté et une grande capacité à vouloir se servir des hommes.
Self made man ok mais à quels prix pour les plus fragiles , les plus faibles.