Deux juges corses défient le Parquet en décidant d'instruire une affaire de terrorisme

19/02/2008Par

Contre l'avis des parquets de Paris et d'Ajaccio, deux juges corses ont décidé d'instruire une affaire de terrorisme, ce type de dossiers étant pourtant chasse gardée de la justice parisienne. Ce passage en force s'expliquerait par la crainte de voir l'Elysée mettre la pédale douce sur les dossiers sensibles. Révélations et décryptage.

 

Les spécialistes du dossier corse en conviendront sans doute. En se saisissant d'autorité d'une affaire de terrorisme, deux juges du tribunal de grande instance d'Ajaccio viennent, en toute discrétion, de créer un précédent qui pourrait avoir d'importantes répercussions judiciaires et politiques. Tout démarre à l'automne 2007. Le service régional de police judiciaire (SRPJ) d'Ajaccio est destinataire d'un "tuyau" en or. Un informateur signale aux policiers qu'une cache d'armes utilisée par les nationalistes serait dissimulée dans la cave d'un certain Mathieu Altieri-Leca, à Cotti-Chiavari, en Corse-du-Sud. Immédiatement, le parquet d'Ajaccio alerte celui de Paris.

En effet, depuis 1986, le code de procédure pénale prévoit la centralisation dans la capitale des affaires de terrorisme. Si les textes évoquent une "compétence concurrente" et n'interdisent pas à d'autres parquets de se saisir de dossiers terroristes, dans les faits, cette compétence est exclusive. Depuis plus de vingt ans, à chaque fois qu'une bombe explose en Corse, qu'un arsenal est découvert au Pays Basque ou des armes saisies en Bretagne, les parquets locaux se dessaisissent systématiquement au profit de la section antiterroriste -dite section C1- du parquet de Paris. La loi prévoit également un dispositif particulier pour le procès puisque les prévenus ne peuvent être jugés que par une cour d'assises spéciale, composée de magistrats professionnels, dont seul le tribunal de Paris est doté. Jusqu'alors, cette règle n'avait souffert aucune exception. 

A la mi-octobre, les policiers de la SDAT (sous-direction antiterroriste, directement rattachée au ministère de l'intérieur), leurs collègues de la PJ d'Ajaccio et un substitut de la section C1 conduisent une perquisition au domicile de Mathieu Altieri-Leca, un homme de 33 ans sans profession, jusqu'alors parfaitement inconnu des services de police. Son père avait, lui, retenu l'attention des services de renseignements, notamment à la fin des années 1980, du fait de sa proximité avec la mouvance nationaliste. 

Dans la cave, les policiers mettent la main sur une immense glacière. A l'intérieur, un petit arsenal : 25 détonateurs, 110 mètres de cordon détonant et plus de 500 munitions pour différents types d'armes de poing. Les détonateurs et le cordon détonant (qui accentue l'effet de souffle) correspondent à ceux généralement utilisés par les "natios" corses pour faire exploser leurs deux mélanges favoris, le nitrate et le chlorate. Placé en garde à vue, Mathieu Altieri-Leca nie tout lien avec les clandestins et affirme benoîtement avoir découvert la glacière pleine d'explosifs "dans une décharge" et l'avoir ensuite "ramenée chez (lui)". 

Bien entendu, ses explications laissent les enquêteurs circonspects. Au bout de 48 heures, ils décident de prolonger sa garde à vue (la durée autorisée est de 48 heures mais peut être portée à 96 heures dans certaines affaires, comme le terrorisme). Sur la glacière, les policiers découvrent d'autres empreintes que celles du suspect -mais à ce jour, ils ne sont toujours pas parvenus à en identifier les propriétaires.

Au bout de 75 heures de garde à vue, surprise, le substitut du parquet de Paris informe le parquet d'Ajaccio que cette affaire n'a rien à voir avec du terrorisme mais qu'il relève du droit commun et que la section C1 se dessaisit du dossier. Le procureur d'Ajaccio récupère donc le dossier et, le 19 octobre, ouvre une information judiciaire pour "détention et transport de produits explosifs, d'armes et de munitions de la 1ère à la 4ème catégorie" et "participation à une association de malfaiteurs". Deux juges d'instruction ajacciens sont immédiatement désignés pour instruire le dossier : Michel Bonifaci et Jean-Bastien Risson qui, le soir même, mettent en examen Altieri-Leca et obtiennent son placement en détention provisoire. 

Or, si les deux magistrats reprennent les incriminations visées par le parquet, ils ajoutent dans l'ordonnance de mise en examen que ces délits on été commis "en relation avec une entreprise terroriste"! A l'évidence, les deux juges -qui n'ont pas souhaité s'exprimer-, considèrent l'analyse des parquets de Paris et d'Ajaccio totalement erronée. Ils semblent persuadés que l'arsenal était destiné aux clandestins corses. Ils ont sans doute été confortés dans leur conviction par une expertise informatique. Saisi à la demande des juges, l'ordinateur de Mathieu Altieri-Leca a "parlé". L'expertise rendue le 18 décembre 2007 révèle qu'il contenait des images représentant le logo du FLNC, d'autres où l'on voit le suspect posant avec des armes ou encore des personnes cagoulées...

Au parquet de Paris comme à celui d'Ajaccio, on maintient que cette affaire ne relève en rien de la justice antiterroriste. José Thorel, procureur d'Ajaccio, affirme à MediaPart que "beaucoup d'attentats en Corse n'ont rien à voir avec le terrorisme mais relèvent de différends privés ou professionnels. Dans cette affaire, nous n'avons pas trace de liens avec les clandestins corses. Je maintiens que c'est un dossier de droit commun. Et je peux vous dire que lorsque l'information judiciaire sera terminée, je requalifierai les faits dans ce sens". 

Surpris par "l'entêtement" des deux juges, le procureur avoue : "C'est la première fois à ma connaissance que la justice française est confrontée à un tel cas de figure". José Thorel réfute tout aussi fermement les soupçons sur d'éventuelles interventions au plus haut niveau de l'Etat. "Dans ce dossier comme dans tous les autres, je n'ai reçu aucune consigne", s'emporte le haut magistrat. L'avocat de Mathieu Altieri-Leca lui-même affirme que "cette affaire est anecdotique". "C'est vrai qu'un tel cas de figure est rarissime, mais il ne faut pas y voir la preuve d'un changement de politique de l'Etat en Corse", assure Me Jean-Michel Mariaggi.

Néanmoins, certains spécialistes de la lutte antiterroriste ayant eu à connaître de cette affaire s'interrogent. A leurs yeux, les démarches entreprises pour éviter le dépaysement du dossier à Paris s'inscriraient dans le cadre de la nouvelle politique préconisée par Nicolas Sarkozy à l'égard des indépendantistes corses. Le chef de l'Etat, inquiet du durcissement observé ces derniers mois dans les rangs des nationalistes, tenterait par tous les moyens de faire passer des messages d'apaisement afin de marquer sa "bonne volonté". Or, le transfèrement systématique des procédures à Paris est, de longue date, l'un des principaux motifs de colère du mouvement autonomiste dans son ensemble -mais aussi d'une partie de la classe politique corse-, qui n'a de cesse de dénoncer "une justice d'exception". Les nationalistes ont déjà obtenu des avancées sur le rapprochement des prisonniers

A Matignon, à la Chancellerie ou dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, on confirme que l'Elysée a bien fait passer à plusieurs reprises ces derniers mois le message selon lequel il faudrait désormais, le plus souvent possible, éviter de dessaisir la justice insulaire. "Moi, on ne m'a informé de rien, assure José Thorel. Et si c'était le cas, j'y serais farouchement opposé. Tout le monde sait qu'ici, l'administration est poreuse. Instruire les dossiers terroristes sur l'île serait suicidaire". Etre magistrat en Corse n'a, de fait, rien d'une sinécure. Encore moins depuis que le tribunal correctionnel d'Ajaccio, du fait des importants travaux en cours au Palais de justice, est regroupé à plusieurs kilomètres du centre-ville dans quelques misérables Algeco, à la merci d'un de ces incidents qui éclatent régulièrement sur l'île, notamment ceux qui ont eu lieu lors de la comparution de nationalistes accusés d'avoir mis le feu à l'Assemblée de Corse en janvier (voir document).

La politique de la "main tendue" que semble vouloir initier Nicolas Sarkozy divise les différents services en charge de la lutte antiterroriste, ainsi que l'a illustrée récemment l'affaire Angelini, du nom du leader du parti de la nation corse (PNC), interpellé le 17 janvier à Paris par la direction centrale de la police judiciaire dans le cadre d'un enquête financière. Jean-Christophe Angelini, conseiller territorial autonomiste réputé modéré, a depuis été mis en examen dans l'enquête sur les détournements de fonds à la société méditerranéenne de sécurité (SMS). Il a été arrêté alors qu'il sortait d'un déjeuner avec ... Bernard Squarcini, directeur de la DST et futur patron de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI)! Policier respecté, excellent connaisseur des réseaux insulaires, ce proche de Nicolas Sarkozy n'avait pas été informé par la PJ de l'opération de police visant Angelini, avec qui il était en contact régulier...

A l'évidence, le procureur général de la cour d'appel de Paris, Laurent Le Mesle, qui se rend en Corse cette semaine, ne manquera pas de sujets de discussion.

Je ne comprends pas le titre donné à cet article.

  • Deux juges corses défient le Parquet et décident de se saisir d'une affaire de terrorisme
  • Ces deux juges ne se sont pas saisi d'une affaire (en tant que juge d'instruction il n'en ont d'ailleurs pas le droit : ce sont les procureurs qui décident de l'opportunité des poursuites), il en ont été chargé suite à la décision du tribunal de Paris de se déssaisir du dossier, la qualification d'entreprise terroriste ayant été abandonnée. La seconde partie de la phrase du titre au moins de correspond pas à la suite de l'article.

    La où apparemment est le défi, c'est la requalifiacation des faits par ces deux juges, qui rétablissent le lien avec une entreprise terroriste, sans renvoyer au tribunal de Paris, comme l'autorise la loi conformément à ce que vous racontez par la suite.

    Certes, un journaliste essaie toujours de trouver des titres accrocheurs. Mais il faut toujours penser qu'un lecteur ne lisant que le titre partira avec une information fausse si le titre ne correspond pas au contenu de l'article.

    Cordialement,

    Cher Nicolas,
    vous avez raison sur le fond. Des juges d'instruction ne peuvent se saisir d'une affaire et, de ce point de vue, ce titre "Deux juges corses défient le Parquet et décident de se saisir d'une affaire de terrorisme " est inexact. Pour être l'auteur du titre -pas du papier-, je le reconnais bien volontiers. La complexité des procédures judiciaires rend toujours difficile le titrage de ces affaires. Il ne s'agit pas d'être racoleur mais de montrer de manière très rapide les enjeux. Dans ce cas précis, un conflit avec le Parquet sur une affaire présumée de terrorisme et la requalification du dossier par les magistrats instucteurs: vous conviendrez que cela ne fait pas un titre. Sur vos conseils, donc, je change bien volontiers ce titre et vous propose: "Deux juges corses défient le Parquet en décidant d'instruire une affaire de terrorisme". C'est plus exact mais, convenez que nous perdons l'idée de requalification qui était suggérée par le verbe saisir.
    Bien à vous

    Toujours est-il que le Palais de Justice d'Ajaccio a été mitraillé hier soir et que des gendarmes ont du se jeter au sol...
    Nous pouvons donc nous demander s'il va bientôt y avoir une descente de 1000 policiers en Corse afin d'arrêter les auteurs de ce mitraillage avec autant de journalistes que lors de la descente à Villiers le Bel...

    Et revoila la Corse!!!!