La CGT accuse Michelin d'avoir condamné l'usine en cessant d'y investir

17/02/2008Par
Les grévistes ont finalement libéré, dimanche après-midi 17 février, les deux cadres de l'usine Kleber, à Toul, et mis fin à leur mouvement. Retour sur les raisons du conflit.
Après plusieurs nuits blanches et de nouvelles négociations marquées par un recul de la direction, les syndicats ont finalement obtenu des garanties pour une indemnité minimale de départ de 2500 euros par année d'ancienneté, assortie de 9 à 12 mois de salaire net. Même si les négociations doivent se poursuivre, les salariés se sont engagés à reprendre le travail lundi matin. Mais la fermeture de l'usine, confirmée pour septembre 2009 laisse un goût amère aux 826 ouvriers.

Depuis la nuit de samedi, deux interminables séances de conciliation s'étaient tenues en sous-préfecture de Toul. Samedi-soir, jusqu'à 2 heures du matin, les délégués syndicaux ont ainsi refusé de la direction, et en présence du directeur régional du travail, une proposition à 2000 euros par année d’ancienneté. Le lendemain à 11h, une nouvelle réunion était organisée avec la même proposition de la direction « non négociable », provoquant, de fait,  un nouveau refus. Le médiateur a fait comprendre qu’un tel échec pourrait conduire à l’intervention des CRS, afin de libérer les deux chefs du personnel séquestrés depuis jeudi et évacuer l’usine.

Conformément aux exigences des séquestrés, un ouvrier bloquait l'accès de leur salle (au fond du couloir) aux photographes.
Mais la situation a vite basculé dans l'après-midi. A 13h, Pierre Kovalski, responsable syndical CGT, grimpe sur un tas de pneus et saisit un micro. « La direction ne veut plus négocier. La situation se complique. Je demande aux femmes et aux pitchouns de rentrer à la maison, ça risque de barder » Un ouvrier demande où sont les lances à incendie. En quelques minutes, l’hystérie s’empare de la foule: on court, on rassemble les barrières et une énorme barricade métallique est élevée devant l’entrée principale « Sortez les pneus de l’usine. C’est à nous alors c’est le moment de s’en servir ». 

Un empilement de sacs bloque les entrées du bâtiment où sont retenus les deux cadres. Des litres d’huile ont été répandus sur le sol pour ralentir l’arrivée des CRS, un sac de sel de 200 kilos les attend, en déséquilibre au sommet de l'escalier. « C’est comme à Fort-Boyard sauf qu’il n’y a plus de trésor ». Une partie des grèvistes reste postée devant l’entrée, là où les pneus brulent encore et dispersent un enorme nuage noir.

Les ouvriers s'activent pour barricader l'entrée de l'usine.

A 14h10, la sonnerie de Pierre Kovalski retentit. «  Silence les gars », gueule un ouvrier. Bonne nouvelle : la direction lâche du lest. Depuis le couloir - où une huissière propose vainement aux séquestrés d’ouvrir leur porte pour se rendre aux toilettes ou répondre aux questions des journalistes-, on entend des hourrah de joie. « On s’approche des 2500 euros par année d’ancienneté. Il faut les faire sortir ». Très vite la directrice départementale du travail et une employée des Renseignements généraux se rendent au chevet des sequestrés. 

Les deux hommes peuvent quitter le bâtiment. « Pas d’insulte, les gars ». Les ouvriers improvisent une longue haie silencieuse. Les voitures des cadres s'engoufrent dans le nuage de fumée noire et disparaissent. « Celle-là on l’a bien méritée »: les ouvriers sortent les bières, on rebranche la sono. « Les négociations ne sont pas terminées. Nous devons nous mettre d’accord sur certains points comme le seuil de 30 000 euros d'indemnité, mais l’essentiel est acquis ». Le visage noirci par les cendres de caoutchouc , le responsable environnement de l’usine sort de son mutisme et demande à ses collègues de ne plus faire brûler de pneus. Lundi, le travail devait reprendre et les négociations se conclure.

Prévues pour accueillir les CRS, les lances à incendie célèbrent la "victoire" des grévistes.

Les raisons d'une grève

Construite en 1969, l’usine Kleber de Toul, propriété du groupe Michelin, emploie aujourd'hui 826 personnes, pour la confection de pneumatiques. Deux cent d’entre elles habitent la commune de Toul. La fermeture de l'usine est annoncée pour 2009. A Toul, ce conflit est une première pour Michelin qui entretenait de bons rapports avec les ouvriers et les syndicats. 

En 2001, Kleber embauchait encore plus de 1100 personnes avec une production de 20 000 pneus par jour. En 1982, Michelin rachète la marque mais ferme une usine Kleber à Colombes. De l’avis des salariés encore présents, les rapports avec la direction se transforment. Dès 1998, l'atelier chambre à air a été délocalisé en Hongrie. En 2001, les ouvriers acceptent la semaine de 40 heures. La concurrence a poussé à délocaliser certaines productions dans une usine polonaise, comme les pneus de camionnette. Importante pour le bassin d’emploi, l'usine Kleber subit la crise comme Miko à Saint-Dizier ou Arcelor-Mittal à Gandrange. D'après la direction, le coût de production de l'usine de Kleber est 50% plus élevé que ceux des autres usines du groupe, sur le territoire français.

"Nous n'en parlions pas aux ouvriers pour ne pas saper leur moral, mais depuis cinq ans il n'y avait plus aucun investissement dans l'usine. Un jour, on a découvert que Kleber avait inventé un nouveau procédé pour remplacer l'ancien, celui de Toul... mais qu'il ne serait pas produit chez nous. On a compris" explique Michel Scheffer, syndicaliste CGT. La fermeture de l'usine avait été annoncée par la direction le 3 octobre 2007. C'est au terme de huit négociations infructueuses avec la direction du groupe à Saint-Dizier que la grève a été déclenchée mercredi 13 février, alors que le groupe Michelin annoncait des bénéfices records pour l'année 2007.

(texte et photos Jordan Pouille)

Lire le reportage sur la journée de samedi, derrière la barricade.

Une classe sociale vivant l'Histoire ,mérite que le journalisme s'y interesse.
Bravo pour votre travail sur le terrain.Parler des luttes et combats sociaux apparait de nos jours tabous.
Cordialement

Toujours le même concert des patrons. Ils délocalisent en douce et puis le moment venu c'est la fermeture en France des usines malgré la progression des bénéfices.
La reconnaissance de tous ces ouvriers qui ont sué et permis au patron de s'enricihir, fermeture chômage.
Sarko que fais-tu? Soit disant pas de délocalisation? Le constat est simple il y a des fermetures partout et bizarrerie le chômage diminue.
La France d'en bas souffre et sera de plus en plus enfoncée
Carton jaune, ligne jaune si cela continue le rouge risque d'arriver!!!
La France, navire en perditon, le bateau coule normalement, la gite à 30° degrés les riches se sauvent, le peuple coule normalement.

Je ne voudrais pas stigmatiser les syndicats, mais enfin, je me demande comment il est possible qu'ils puissent ainsi cacher des éléments aussi importants aux salariés.
Ont-ils le droit de le faire ? Comment s'étonner du manque de salariés syndiqués. Vivement que des salariés, tirés au sort par exemple, et renouvellés régulièrement siègent au côté des syndicats dans les conseils d'administration.
D'un autre côté, si des ouvriers votent à droite, alors...Que peuvent-ils en espérer ?
Et si ceux-ci étaient moins machos ? Moins sensibles aux discours populistes ?
La phrase de L. Jospin " l'Etat ne peut pas tout" a été des plus destructrices.

bravo pour l article sur Kleber à Toul;ns avons pu revivre,gràce à cet article,comment et pourquoi cette action des employés.Le style vivant et les photos ns ont bien informés sur ces journées mouvementées.Merci