Comment le très discret Monsieur Kieber a mis à mal le secret fiscal du Liechstenstein

10/03/2008Par
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MediaPart

Heinrich Kieber, 42 ans, est un homme discret et solitaire. Un gars simple, amateur de voyages et de mountain bike, comme l'a révélé au magazine allemand Der Spiegel sa maman Maria. C'est pourtant cet homme qui, en monnayant aux services secrets allemands des listings confidentiels d'une banque du Liechtenstein, le Liechtenstein Global Trust (LGT), a fait éclater mi-février un vaste scandale d'évasion fiscale outre-Rhin. Scandale qui dépasse depuis les frontières allemandes et touche également la France.

Heinrich Kieber a grandi entre la Suisse, où vit sa mère et le Liechtenstein, le pays de son père. Dans son parcours, rien de bien remarquable jusqu'en 1996. Cette année-là, Kieber commet son premier méfait. La faute originelle qui va changer son destin. Pour acheter un appartement à Barcelone, Heinrich Kieber signe un chèque sans provisions de 600 000 francs suisses (380.000 euros). L'Espagne lance un mandat d'arrêt international. La police met du temps à retrouver sa trace. Rentré au Liechtenstein, Kieber est embauché en 1999 chez un prestataire de LGT, la banque de la famille princière de la Principauté.

Deux ans plus tard, la LGT l'emploie comme archiviste. Son travail : vérifier que tous les dossiers de la banque, même les plus confidentiels, sont bien numérisés. Mais en octobre 2001, l'affaire espagnole le rattrape. Kieber est condamné par un tribunal du Liechtenstein à honorer ses dettes en Espagne. Il fait appel, et retourne numériser ses archives. Las ! En novembre 2002, le jugement est confirmé. Kieber écope même de quatre ans de prison !

Le si discret M. Kieber panique : pour échapper à la prison, il décide de fuir. Avec, dans son baluchon, quatre DVD contenant des informations détaillées sur 4527 fondations domiciliées au Liechtenstein entre 1970 et 2005. Ces fondations (Stiftungen) sont au cœur du secret fiscal de la Principauté, paravents discrets pour les contribuables allemands, français ou américains qui veulent dissimuler aux services fiscaux de leurs pays héritages, plus-values immobilières ou profits plus ou moins illégalement obtenus.

Mais Kieber se lasse de cet exil forcé. Au bout de trois mois, il décide donc de renouer le contact. Et de taper directement au sommet de l'Etat : Kieber envoie au prince héritier Hans-Adam du Liechtenstein une cassette où il menace de diffuser les DVD aux médias internationauxsi le prince n'intercède pas en sa faveur. Offensé, Hans Adam refuse. Le Liechtenstein lance un mandat d'arrêt international contre Kieber.


Le prince offensé

Mais ce ne seront pas les fins limiers de la police de Vaduz qui le retrouveront. Inquiète des menaces de son ancien employé qui menace de faire exploser la banque, la LGT se met à sa recherche. Et débusque finalement Kieber. Les négociations commencent. En échange d'un appartement et du paiement de ses frais d'avocat, Kieber accepte finalement de remettre à la banque les fameux DVD...
Et en mai 2003, il rentre au pays. Mais la justice du Liechtenstein, elle, n'a pas pardonné l'offense faite au prince. En octobre 2003, Kieber est à nouveau condamné à quatre ans de prison, cette fois pour fraudes, menaces et recel de documents volés. Kieber supplie le prince de témoigner en sa faveur. Cette fois, Hans Adam accepte. Pensant, sans doute, faire taire définitivement ce maître chanteur qui menace la rente de son petit royaume...

Autour de Kieber, l'étau judiciaire se desserre un peu. En janvier 2004, la Cour suprême du Liechtenstein ramène la peine de Kieber à un an de prison et trois avec sursis. En octobre, l'Espagne abandonne définitivement les poursuites dans l'affaire des chèques sans provision. Kieber est laissé en liberté. Mais Kieber n'en démord pas : il veut être innocenté, lavé de toute accusation. En avril 2005, il forme donc un recours pour être gracié.

Le prince Hans Adam refuse. Kieber enrage. Il décide alors de diffuser les DVD dont il a gardé une copie, contacte les services fiscaux américains et britanniques, puis, en janvier 2006, le Bundesnachrichtendienst, la DST allemande. Dans l'email qu'il envoie au BND, Kieber joue les justiciers. Il dit « ne plus supporter » la magouille et la tricherie et ces multimillionnaires qui continuent d'amasser des fortunes sans payer d'impôts.

Le BND saute sur l'occasion. En juin, Kieber transmet les DVD au BND. Avec l'accord du ministre des finances Peer Steinbrück, les services secrets allemands lui donnent 4,6 millions d'euros (4,2 millions... après impôts) et organisent son exfiltration. Depuis, « Henry » – le nom de code de Kieber – coule des jours tranquilles. Peut-être en Suisse, peut-être en Australie... Kieber, qui a changé de nom, est désormais un homme riche. « Riche mais seul », constate Der Spiegel. A moins que, dans son exil doré, Kieber ne rencontre la femme de sa vie. Interrogée par l'hebdomadaire, sa mère Maria n'y croit pas trop. Son fils, dit-elle, n'a jamais eu de succès avec les femmes.
Mathieu Magnaudeix

Aïe,
moi qui croyais que les services secrets étaient introduits dans le milieu bancaire, dans le cadre d'une saine lutte contre le vrai nouvel ennemi
(qui n'est plus l'URSS et qui n'est que si peu "le terrorisme").

Me voilà ramené à la triste vérité par cette anecdote savoureuse:
Le milieu bancaire serait encore bel et bien à l'abri, sauf hasard malheureux à la Kieber, et les services secrets en seraient donc restés à l'industrie et à leurs autres cibles militaires?

Bonjour Axel,

fichtre, si dans TOUT internaute, il y a un Kieber qui sommeille !!

... et bien on aura bien besoin de médiateurs de choc (on en a déjà tellement besoin d'ailleurs!)

Bonjour Shawford,

Croyez-vous que les services secrets allemands pourraient avoir un agent à Mediapart?
…ah, on ne le saura jamais avec certitude, de toutes façons :-)

bonne idée de lancer sur médiapart un article qui détend et ressemble à un roman policier; ce qui n'empêche pas de songer au monde qui nous entoure;Monique

évidemment ce monsieur Kieber est le contraire d'un justicier! Il n'empêche que ces messieurs "honorables" du Liechtenstein s'enrichissent impunément des grandes magouilles internationales. Qui a dit que la justice n'avait qu'une seule vitesse?

Ça me rappelle les coups que Montebourg avait portés par deux fois à "la Suisse", au moment où le déménagement de Johnny Halliday faisait grincer quelques dents.

TV5Monde alors était fort instructive puisqu'à y suivre le journal du soir de la Télévision Suisse-Romande, on s'apercevait que le sujet était pris très au sérieux en Suisse, repris plusieurs soirs de suite, tourné et retourné dans tous les sens, sur le mode avant tout indigné de bons citoyens Suisses bien sûr.
N'empêche, on y entendait bien aussi des questionnements sans concession, à propos d'un tel "modèle économique" que "certains analysent comme une aide financière internationale qui peut se comparer à l'aide aux pays du Tiers-Monde"...

L'avant dernier lien de l'article renvoie vers un article écrit en danois. C'est assez original mais je doute que la majeure partie de vos lecteurs (et j'en fais partie) maîtrise la langue. Existe-t-il une version en anglais ? Merci

Bonjour.
Encore un domaine où l'Europe existe si peu. On a bien une monnaie commune mais on tolère à l'intérieur de nos "frontières" un véritable marché des paradis fiscaux (Jersey, Luxembourg, Monaco, Andorre, Lichtenstein, pour les plus connus, etc....sans compter la Suisse, mecque du secret bancaire...), et encore plus "off shore", marché dont les acteurs se font une concurrence de bon aloi ........
Et nos dirigeants - du monde politique ou des affaires - ne manquent pas de s'indigner périodiquement et de dénoncer tel ou tel scandale qui tombera dans l'oubli d'ici quelques semaines.
A l'époque du virtuel, l'Europe est encore bien , hélas , ce qu'on a fait de mieux !

Je vous rappel que la Suisse n’est pas en Europe, elle est par contre entourée de l’Europe qui cherche à influencer un Etat indépendant et neutre… L’Allemagne se permet de faire une plus grande pression sur la Suisse que sur la Belgique… le Luxembourg et surtout sur les English…

Avant de demander que les «autres» soient plus «propre» qu’on ne l’est soi-même... me semble un peu ridicule ; c’est de la poudre aux yeux pour que vous ne regardiez pas ailleurs… dans vos propre tiroirs !

Nettoyer devant sa propre porcherie avant celle du voisin me semble plus constructif (poutre/paille) car là vous auriez enfin de la crédibilité...

En effet, la Suisse n'est pas en Europe mais elle y vit et elle en vit, cela ne date pas d'hier et tous ses voisins y ont trouvé et y trouvent encore leurs comptes . C'est bien ce qui est désolant pour ce qui concerne le sujet traité : l'évasion fiscale et la dissimulation de capitaux .

Saviez-vous… que la Suisse à un accord avec l’Europe concernant l’évasion fiscale ??? Le pays s’est donné garant face aux nations de l’Europe de prélever l’impôt à la source pour le restituer aux pays concernés ? Les frontaliers sur leurs salaires… les fraudeurs du fisc (à raison de 35% !) !?

La France et l’Allemagne ont demandés cela à la Suisse mais ces deux pays ne rendent pas la même chose… drôle non ???

Le fait de croire et de savoir… quelle différence…

PS : Les multis sont en Suisse mais vous payez notre fromage (AAA) moins cher que chez-nous, idem pour les médicaments ou le chocolat... Et nous on paye les voitures françaises bien plus cher qu'en France... comment cela se fait-il ? (les français profiterai-t-ils de la pseudo richesse des suisses ???)

pour asmussen de M.D
La Fontaine " Les animaux malades de la peste"

Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Alors ça, ça m'en bouche un coin!
Après Victor Hugo (voir le commentaire de Paldrig sur l'article de Vincent Truffy sur le "casse-toi" de Sarkozy), voila que La Fontaine aussi est complètement d'actualité.
Mais où c'est-y qu'on a évolué alors ?
Mais au fait, La Fontaine, c'était pas l'époque du roi soleil ?!.

Drôle votre analyse vue de France… Le gars à demandé à l’Allemagne de lui donner un autre nom pour qu’il puisse «disparaître» car les services secret on divulgué son nom et qu’il est maintenant menacé de mort par les gens «au dessus de tout soupçons» !

Souvenez-vous du suisse qui a fait la même démarche en Suisse il y a quelques années, le gars a du fuir aux states ou il a reçu l’asile politique… pour les mêmes raisons (son nom une fois divulgué par les journalistes, avec l’aide «précieuse» des services d’Etat, fait qu’il est menacé de mort même jusqu’au USA) !

Pourquoi donc (et dans quel intérêts ?) les journalistes se focalisent-ils sur celui qui aide l’Etat plutôt que sur ceux qui ont crée le problème en étant totalement illégal (mais riche) ?

Peur ? Sensationnalisme ? Vexé car eux-mêmes (les journalistes riche) on un risque d’être découvert ??? Cherche-t-on à empêcher ce genre de divulgation ? On ne si prendrai pas autrement !