Communication de crise: de la Société Générale à Richelieu Finance

07/02/2008Par

Au cœur de la crise, il y a la communication de crise. Depuis l'affaire des traces de benzène décelées en février 1989 dans des bouteilles d'eau de Perrier, les entreprises ont appris qu'une communication défaillante pouvait transformer une épreuve en débâcle. 

Dans l'ombre de la fraude spectaculaire et des énormes pertes révélées à la Société Générale, un autre drame s'est joué, au même moment, conduisant la société de gestion Richelieu Finance à perdre son indépendance. 

Richelieu Finance, fondée et dirigée par le très médiatique Gérard Augustin-Normand, est une société de gestion indépendante, dont la spécialité est la gestion de Sicav investies en valeurs moyennes et petites, des "Small caps" en franglais boursier. Ces gestionnaires indépendants ont connu un grand succès après l'éclatement de la bulle Internet, attirant une importante clientèle à laquelle la gestion indiciaire des grandes banques avait fait perdre beaucoup d'argent dans l'effondrement des valeurs technologiques qui pesaient très lourds dans les indices phare comme le CAC 40 à Paris. Les capitaux gérés par Richelieu Finance, et notamment son fonds vedette Richelieu Spécial, vont culminer à 4 milliards d'euros.

 
Toutefois, le retournement boursier dans la foulée de la crise dite des "subprimes" venue des Etats-Unis, crée une situation difficile pour Gérard Augustin-Normand. Par nature, les "Small caps" ont une liquidité beaucoup plus faible que les grandes valeurs du CAC 40. Autrement dit, elles ne sont pas adaptées à une gestion à court terme. Confrontée à des demandes de retrait d'argent par les détenteurs de ses fonds de placement, Richelieu doit vendre des titres dans un environnement boursier de plus en plus hostile. S'y ajoute une vulnérabilité supplémentaire due au choix de son fondateur de prendre des participations importantes dans le capital d'entreprises moyennes/grandes comme le Club Méditerranée ou Eiffage. Ou sur des titres peu liquides comme Elf Aquitaine (un vestige) ou le Titre Participatif Renault (une relique).

 

C'est un talon d'Achille car si on apprend que Richelieu fait face à des demandes de retrait, il est naturel  d'en déduire que la société va devoir céder une partie de ces grosses participations pour respecter l'obligation de maintenir la liquidité de ses fonds. C'est un appel à jouer "court" ces titres pour accentuer leur baisse afin de les racheter plus tard à meilleur compte.

 
Un article du "Figaro" sonne l'alarme

 C'est dans ce contexte que le supplément économique du Figaro publie le 21 janvier, ce lundi noir où les bourses européennes "capitulent" dans la foulée des marchés asiatiques, un article annonçant le prochain adossement de Richelieu Finance à un groupe bancaire européen dont l'identité n'est pas précisée. La source est identifiée comme "un proche du dossier". L'article décrit la crise de liquidité dans la société est l'objet, précisant notamment que Richelieu Spécial a perdu un tiers de sa valeur  entre novembre et la mi-janvier. Il mentionne également les "lignes" qui ont été vendues (les titres les plus liquides comme Total) et celles qui ont fait ou pourraient faire l'objet de l'attention des arbitragistes, notamment l'action Club Méditerranée.

 
Largement repris par les agences de presse et les sites Internet, l'information inquiète plus qu'elle ne rassure, les clients comme les collaborateurs. Dans un marché parisien qui  s'effondre, les retraits s'accélèrent chez Richelieu. Au total, selon nos informations, la publication d'une information exacte mais incomplète coûtera en deux jours quelque 300 millions d'euros en capitaux gérés à Richelieu Finance. La menace qui se profile, c'est la fermeture des fonds. Le mercredi 23 janvier, le gestionnaire indépendant annonce qu'il a cédé 100% de son capital à une filiale du groupe bancaire belge KBC.

 

Incidemment, le cas Richelieu Finance éclaire la communication de crise de la Société Générale, qui commence par trois jours...de silence. Le dimanche 20 janvier, son PDG Daniel Bouton obtient de la tutelle, Commission bancaire et Autorité des marchés financiers (AMF) un sursis pendant lequel l'obligation de communiquer au marché est suspendue au "débouclage" des positions prises par Jérôme Kerviel. Délai que l'état-major de la Société Générale utilise aussi pour garantir, auprès de deux grands établissements financiers américains, Morgan Stanley et J.P. Morgan Chase, une augmentation de capital de 5,5 milliards d'euros permettant de reconstituer ses fonds propres.

 

L'information, une fuite ou des rumeurs auraient créé des conditions de marché dans lesquelles le débouclage des positions "longues" (pariant sur la hausse) aurait coûté beaucoup plus cher à la Société Générale. Ce jeu étant à somme nulle, l'argent perdu par la Société Générale a été gagné par les contreparties habituellement actives sur ce marché (parmi lesquelles, selon nos informations, Morgan Stanley et l'inévitable Goldman, Sachs). Au pire, la deuxième banque française pouvait être la victime d'une panique bancaire, comme celle qui a balayé Northern Rock en Grande-Bretagne. La défaillance d'une grande banque internationale, leader sur les marchés de produits dérivés, pouvait à son tour enclencher une crise de système. En dehors du monde politique français, le choix des autorités de surveillance n'a pas été contesté.

 Sur le conseil de l'agence de communication Image Sept

Quand Gérard Augustin-Normand découvre l'article du Figaro le lundi 21 janvier, il a le sentiment d'être tombé dans un piège. 

 

Le "proche du dossier" qui a vendu la mèche, c'est en effet le fondateur de Richelieu Finance lui-même. Contacté le vendredi précédent par la journaliste du Figaro, il accepte de répondre à ses questions le dimanche 20 janvier en fin de matinée, après avoir reçu un avis positif de Catherine Gros, de l'agence de communication Image Sept.

 

Fondée et dirigée par Anne Méaux, qui a fait ses premières armes à l'Elysée du temps de Valéry Giscard d'Estaing, Image Sept exerce avec DGM Conseil, de Michel Calzaroni, un quasi duopole sur la communication de crise des entreprises françaises, surtout les plus grandes. Ce même dimanche, la  direction de la communication de SocGen appelle d'ailleurs en renfort Image Sept, qui délègue le consultant Yves Messarovitch, ancien responsable des pages saumon du Figaro Economie. Il retrouve dans la cellule de crise un ancien directeur de la rédaction du même quotidien, Jean de Belot, devenu consultant indépendant.

 

Retour chez Richelieu Finance. "J'ai le sentiment au mieux d'avoir été mal conseillé, au pire d'être tombé dans un piège", a indiqué Gérard Augustin-Normand à MediaPart. Il n'en dira pas plus mais d'autres "proches du dossier" sont plus diserts et relèvent des éléments troublants.

Première interrogation. La journaliste du Figaro, Bertille Bayard, est l'épouse de Didier Roman, gestionnaire chez Tocqueville Finance, un concurrent direct de Richelieu, animé par un ancien associé de Gérard Augustin-Normand. "C'est moi qui ait alerté Gérard Augustin-Normand", qui ne connaissait pas cette relation, explique Colette Neuville, présidente de l'Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires). "Ce n'est pas très déontologique de décrire les malheurs du concurrent", de la société où travaille votre conjoint, estime-t-elle. Si Le Figaro avait cette information, il aurait pu faire écrire l'article par un autre journaliste, juge Mme Neuville.

La défense de la direction du "Figaro"

Pour Nicolas Barré, directeur adjoint de la rédaction du Figaro, la "campagne" menée par Colette Neuville est incompréhensible. Le fondateur de Richelieu Finance a "confirmé tout ce qu'il y avait dans le papier" et "était d'accord pour qu'il paraisse le lundi", précise-t-il. "Tout ce que la journaliste a écrit était exact" et fut d'ailleurs confirmé le mercredi suivant par l'annonce officielle du rachat de Richelieu Finance par KBC. "L'article précisait que les clients n'étaient pas en danger", souligne Nicolas Barré, pour qui la journaliste n'a pas été alertée ou alimentée en informations par son compagnon. "Où est le problème?", conclut-il. "Si sa communication n'était pas adéquate, c'est son problème", dit-il de Gérard Augustin-Normand.

Selon un proche de Richelieu Finance, Catherine Gros connaissait la relation familiale entre Bertille Bayard et Didier Roman, et n'a pas jugé bon d'alerter Gérard Augustin-Normand, lui indiquant au contraire qu'il pouvait parler en toute confiance à la journaliste du Figaro. Chez Images Sept, on ne souhaite pas commenter pas officiellement cette affaire.

Le proche de Richelieu affirme lui de manière "catégorique" à MediaPart que dans la journée de dimanche, plusieurs personnes ont ensuite confié avoir reçu des appels téléphoniques ou SMS de Didier Roman, à la recherche d'informations sur les difficultés de Richelieu Finance. Alors que Gérard Augustin-Normand n'avait mentionné qu'un seul aspect du dossier, la perspective de rapprochement avec un puissant groupe financier européen, l'article et son titre "traduisaient une volonté de nuire", ajoute cette source.

 

Une version de l'affaire démentie par Didier Roman. Il reconnait avoir évoqué, avant le week-end, la situation de "Tintin" (surnom donné dans le milieu à Gérard Augustin-Normand) avec un arbitragiste dans une grande banque française et avec un autre gestionnaire, également investi sur des titres détenus par Richelieu. "Cela n'a pas été au delà. Les problèmes de liquidité de Richelieu étaient connus de tout le monde", explique-t-il. Il souligne que la composition du portefeuille de Richelieu était publique, Bertille Bayard étant même destinataire nominalement des rapports de gestion envoyé par Gérard Augustin-Normand. Il affirme avoir découvert dans Le Figaro le lundi matin un article qui n'a pas fait de bien à Tocqueville Finance. "Le papier nous nuit. Nous avons 5% du Club Med", précise-t-il. Quand l'agence Bloomberg a publié une dépêche indiquant que Tocqueville avait subi une décollecte record en janvier, "nous n'avons pas tiré sur l'agence", dit-il.

 

Pour le proche de Richelieu, l'article du Figaro a également provoqué un très net refroidissement des relations entre Richelieu Finance et BNP Paribas, banque dépositaire des fonds et des titres gérés par la société de gestion, dans un climat de frilosité générale des établissements financiers. 

 

Dans sa négociation avec KBC, Gérard Augustin-Normand s'est trouvé "fragilisé" et a du accepter les conditions dictées par le groupe belge. "Tintin" est devenu le salarié d'un groupe d'Outre Quiévrain, et ne cache pas son amertume.

      
     

Derrière chaque évènement important , se rencontre, aujourd'hui, une entreprise de com en charge d'influencer les médias .
Toutes les infos fournies sont ciblées pour influencer le récepteur peu habitué au décrytage, au recul à prendre pour s'affranchir du point de vue dominant. Cet article, construit dans la durée, tout en restant dans l'actualité permet d'accéder , par l'investigation, à une meilleure compréhension des statégies induites par Méaux et d'autres, leur échec, heureusement, sanctionne parfois un manque d'humanité.
Trop d'habileté masque la pertinence . Crubine

Colette Neuville aime la transparence. Elle veut voir dans les relations entre journaliste et leurs conjoint toutes les sources du mal. Et sa morale personnelle la conduit à préconiser l'emploi de prête-nom pour signer les articles qui donnent un peu de poil à gratter. Mais la "passionaria des petits épargnants" oublie simplement de divulguer sa réelle motivation.
Richelieu finance est un de ses premiers clients et je crois même qu'elle est également souscriptrice des fonds vedette de cette société. Après avoir souffert des effets des fortes convictions de Gérard Augustin Normand qui a pris des parts au capital de certaines sociétés au dela du raisonable et en tout cas affectant la liquidité de ses OPCVM ( dans un monde dénué de morale, ce sont d'abord les fameux CGP, clients de Richelieu Finances les premiers qui ont shorté les valeurs phare des fonds de Richelieu, à commencer par Club Med.....), elle a tout à redouter d'un adossement de cette société indépendante qui a fait depuis des années la preuve de la défense de ses clients en menant si besoin s'en faisait sentir des combats judiciaires. Colette Neuville lui offre comme aux hedge funds qu'elle accompagne, un paravant en menant les actions anonymes sous couvert de sa bannière, l'association de défense des actionnaires minoritaires (Adam) . Fallait-il pour autant que, telle Eve, elle croque la pomme de la discorde ?
Mais ce mélange des genres n'est pas son premier coup de canif blessant son impartialité. Il y a moins d'un mois Colette Neuville est intervenue d'une manière pour le moins équivoque dans un des dossiers qu'elle suit, Eiffage. Elle réclame depuis plusieurs mois que Sacyr qui a acheté des titres Eiffage lance une OPA plus de 120 euros, équivalant au prix payé par l'Espagnol pour ses titres dans le groupe de BTP français. Dans un article paru quelques jours avant que Richelieu ne soit contraint à s'adosser, Colette Neuville a alors effectué un brutal revirement en déclarant que les minoritaires seraient prêts à accepter une offre.... à 90 euros. Elle a simplement omis de signaler que ce volte-face n'était motivé que par les difficultés de trésorerie de son client Richelieu, pris à la gorge par des rachats sur ses fonds. L'Adam est-elle devenue une banque d'affaires ?
Voici les relations claires et objectives qui montrent pourquoi Colette Neuville a franchi la ligne rouge en donnant en pature un syllogisme calomnieux visant un gérant et une journaliste, alors même que le gérant appartenant lui aussi à une société de gestion indépendanteet ne pouvait que redouter que soient mises sous les projecteurs les difficultés d'un de ses concurrents.

Les relations entre journalistes et acteurs de la vie politique et économique est une spécificité francaise. S'ajoute à cela le fait qu'en France le conflit d'intérêt n'est pas un problème, c'est le contraire, c'est la manière dont le système fonctionne. Les journalistes ne recherchent pas l'information, ils utilisent des confidences ou des rumeurs. Et les communiquent, pour générer plus de confidences et de rumeurs.

Un conflit d'intérêt exemplaire pour les journalistes est le haro sur tous les avantages indus des hommes politiques (specialement logement) et l'absence de toute mention des avantages de la carte de presse en matière de soldes privées ou de biens ou services de luxe accessibles à des prix cassés ou gratuits. En échange de bonne presse, bien sûr. Et non imposable, mon bon.

Société des Rédacteurs du Figaro

Paris, le 11 février 2008

La Société des Rédacteurs du Figaro a lu avec consternation l’article de Mediapart signé par Philippe Riès et intitulé "Communication de crise: de la Société générale à Richelieu Finance". La mise en cause des méthodes de travail présumées de Bertille Bayart nous laisse sans voix: tout en admettant que les informations qu'elle a publiées dans le Figaro Economie du 21 janvier étaient, conformément à la déontologie de notre profession, exactes, vérifiées et recoupées – auprès, notamment, du dirigeant de Richelieu Finances –, Mediapart tente de susciter une polémique sur la source potentielle de notre consœur. Non seulement Philippe Riès prétend la connaître, mais il dévoile aussi à ses lecteurs l’identité de la personne qui l’a mis sur cette pseudo-piste... que l’auteur s’est bien gardé de vérifier auprès de l'intéressée.
La protection des sources est l’une des pierres angulaires de la profession de journaliste. La Société des Rédacteurs du Figaro s’étonne que Mediapart méprise cette règle fondamentale, qui plus est sur la base d’informations inexactes, non vérifiées et non recoupées.

Stéphane Durand-Souffland
Président

Philippe Riès

La Société des rédacteurs du Figaro n'est pas sans savoir que les conditions de publication de cet article ont suscité des interrogations au sein même de la rédaction du quotidien. De l'aveu même de Bertille Bayard.
La décision d'interroger, non pas la journaliste, mais la hierarchie rédactionnelle, qui a pris, en connaissance de cause, la décision de publier l'article, est conforme est la pratique que je me suis imposée quand j'exerçais des responsabilités comparables. Je l'assume.
Les "accusateurs" ou critiques de la journaliste du Figaro ont été cités "on the record". C'était une condition sine qua non pour que leurs propos soient rapportés. Incidemment, ils ont été recoupés, puisque démentis.
La "source potentielle" citée par ces critiques a été interrogée et a pu donner sa version, conformément aux principes élémentaires du journalisme (la déontologie ne s'y résume pas).
Médiapart ne cherchait pas à susciter une polémique qui existait déjà (sans être publique). C'est le directeur adjoint de la rédaction du Figaro qui a parlé de "campagne".
L'objectif de l'article était avant tout de réfléchir sur la manière dont, pendant exactement les mêmes journées, la Société Générale a pu conserver la confidentialité sur une information mettant potentiellement en cause son existence. Le parallèle avec Richelieu Finance nous a paru instructif.
Pour finir, et en réponse à un autre commentaire sur cet article, aucun journaliste n'ignore que les sources ont généralement un objectif qui leur est propre agenda et des arrières-pensées. C'est d'ailleurs manifestement le cas de l'auteur du commentaire en question. C'est pourquoi identifier ses sources, toutes ses sources, le plus précisemment possible est une autre règle de base.