Une étude sur le travail des enfants bouscule les dogmes

02/03/2008Par

Le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), dirigé par Daniel Cohen, vient de publier un texte court et incisif sur le travail des enfants dans le monde. Ses deux auteures, Christelle Dumas et Sylvie Lambert, dressent un état des lieux nuancé, à rebours des clichés relayés par certaines associations et médias occidentaux.Pour ces deux économistes, le boycott, dans les pays du Nord, des produits fabriqués par des mineurs dans les pays du Sud, est une pratique peu efficace pour lutter contre ce fléau. Sans craindre la polémique, elles affirment même que le travail peut, dans certains cas, profiter à la formation de l’enfant. 

L’étude s’ouvre par un coup de force méthodologique. La définition classique du travail enfantin, retenue par le Bureau international du travail (BIT), exclut les tâches confiées aux enfants au sein de leur famille. Les deux économistes ont, elles, décidé de prendre en compte, outre le « travail productif » stricto sensu, ce « travail domestique », qui regroupe des réalités très diverses selon les continents : exécution des tâches ménagères, ramassage du bois, puisage de l’eau…

« Il n’existe pas selon nous de différences fondamentales entre travail productif et travail domestique. Car cela contribue, dans les deux cas, au revenu de la famille : le travail domestique des enfants libère du temps pour permettre aux adultes de travailler davantage. En termes de santé et de scolarisation, le constat est le même. Ce sont, dans les deux cas, des tâches potentiellement pénibles et qui peuvent prendre beaucoup de temps à l’enfant », explique Sylvie Lambert.

Partant, les deux chercheuses malmènent quelques certitudes : « L’enfant asiatique travaillant dix heures par jour dans le cadre d’activités manufacturières n’est pas le cas le plus fréquent ». Bien souvent, le travail enfantin prend la forme d’un temps partiel dans des exploitations agricoles, qui touche autant les filles que les garçons. Le recours à cette main d’œuvre est plus répandu en Asie, mais plus systématique en Afrique subsaharienne. « Alors que l’attention de l’opinion publique se focalise sur l’Asie du Sud Est, (…) c’est le continent africain qui est proportionnellement le plus touché. »

Enfin, de manière assez spectaculaire, les ménages les plus pauvres ne sont pas ceux qui font travailler leurs enfants le plus massivement. Christelle Dumas et Sylvie Lambert comparent d’ailleurs deux pays africains, le Mali et la Zambie, dont le PIB par tête est pratiquement similaire (950 dollars environ). La part des enfants « économiquement actifs » de 5 à 14 ans est de 12% en Zambie, contre 65% au Mali. Conclusion, à l’encontre de la majeure partie de la littérature sur le sujet : si les enfants travaillent plus dans les pays pauvres, la pauvreté ne suffit pas pour autant à expliquer à elle seule de telles pratiques.

Autre thèse généralement admise sans ciller : d’un point de vue macro-économique, le travail des enfants n’est pas rentable. Les derniers rapports du programme international pour l’élimination du travail des enfants (Ipec), mesurant les coûts et les bénéfices de la disparition du travail, vont dans ce sens. En effet, les enfants, s’ils se consacrent pleinement à leurs études, accèderont à des emplois plus qualifiés, donc créateurs de davantage de richesses. Et ce gain à long terme est très supérieur au manque à gagner à court terme induit par l’absence de revenus durant la scolarité.

Sur ce point, l’étude du Cepremap ne s’inscrit pas en faux, mais nuance considérablement le propos. Dans certains cas, notamment en milieu rural, le travail des plus jeunes, s’il n’implique pas un volume d’heures trop important, peut compléter de façon bénéfique l’apprentissage scolaire, lit-on dans l’étude. « Le travail des enfants permet une accumulation de compétences, sous forme d’expérience professionnelle, qui peut être valorisée dans les activités économiques futures de l’enfant », écrivent les deux économistes, en s’appuyant sur l’examen du cas vietnamien.

Dans ce contexte, une tendance de fond, identifiée par le BIT, fait l’objet d’un relatif consensus. Le nombre d’enfants âgés de 5 à 17 ans exposés à un travail « dangereux » (susceptible d’avoir des conséquences sur la santé ou la sécurité) dans le monde a diminué de 25,9% de 2000 à 2004, à 126 millions de jeunes travailleurs. Tout en invitant à une certaine prudence sur les chiffres bruts, Christelle Dumas et Sylvie Lambert prennent appui sur cet acquis pour mesurer l’efficacité des politiques de lutte mises en place dans divers endroits du monde.

Là encore, surprise : elles prennent leurs distances avec un discours bien connu, qui en appelle à l’abolition du travail enfantin et/ou le boycott des produits fabriqués par des mineurs. « L’usage de sanctions commerciales (…) ne peut toucher que certains secteurs et n’empêche en rien le transfert des enfants vers des secteurs non exposés au commerce international », avance l’étude. Puisque la majeure partie du travail enfantin ne s’effectue pas entre les murs de l’usine, l’application de sanctions internationales ne peut avoir qu’une efficacité marginale.

L’ouvrage préconise plutôt le développement de « politiques de transferts conditionnels », déjà en place à grande échelle au Brésil (Bolsa Familia) ou au Mexique (Progresa). Soit le versement d’une « somme forfaitaire » aux familles qui respectent certains critères, à commencer par l’assiduité scolaire des mineurs. Mais ces dispositifs, coûteux, n’ont aucune chance d’être déployés en Afrique sans aide internationale, prévient l’étude.

 

kairos

Tout bien pesé, une bonne étude ne pourrait-elle pas montrer que le travail forcé au Goulag a eu quelques effets formateurs pour les populations... Les chiffres ne manquent jamais d'un certaine dose d'humour... noir, bien sûr!

Juste pour revenir sur le Mali et la Zambie: Je suis surpris que pour une telle étude ne soit pris en compte que le PIB/habitant, qui indique peu de choses, et pas l'IDH. Eut-ce été le cas, ces chercheurs auraient remarqué que le taux d'illettrisme chez les adultes de plus de 15 ans est de 76% au Mali, contre 32% en Zambie, et que la différence entre l'illettrisme masculin et féminin est aussi plus forte du côté Malien. Il faudrait vérifier, mais cela laisse présager un système éducatif, au moins en partie obligatoire, ce qui limite le temps disponible pour que ces enfants travaillent. Amartya Sen a reçu un Nobel en économie pour avoir montré, entre autre, que l'IDH est une mesure de la pauvreté, tandis que le PIB/hab n'en est pas une, il est étonnant qu'on l'oublie aussi facilement.

Oui, vous avez tout à fait raison, la prise en compte de l'Indice de développement humain aurait permis d'affiner la comparaison Mali/Zambie. Je vous rassure en partie sur ce point : vous trouverez, dans les pages économie de Mediapart, à compter du 16 mars, une série d'indicateurs macroéconomiques affichés en permanence, dont l'IDH.
Pour autant, et Amartya Sen est le premier à le reconnaître, l'IDH est loin de constituer l'instrument parfait pour mesurer la pauvreté. Il croise, selon des pondérations qui évoluent au fil des années, l'espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation et le niveau de vie (calculé, précisément, à partir du PIB par tête, corrigé en parité de pouvoir d'achat). Les pondérations en question sont arbitraires : de ce point de vue, l'IDH est une simple "convention", ce qui pose problème pour pas mal d'économistes.
Sen, en acceptant, en janvier, de participer à la commission créée par Nicolas Sarkozy sur une mesure de la richesse complémentaire au PIB, avait d'ailleurs reconnu que "son" IDH était plus pertinent pour les pays en développement que pour les pays développés.
Dans la lignée de l'IDH, de nombreux économistes ont tenté de mettre au point des indicateurs synthétiques alternatifs, mieux adaptés aux situations nationales - en France notamment. Ce sont des chantiers statistiques assez passionnants, et très politiques, que l'on essaiera de couvrir au mieux dans les mois à venir, en lien étroit avec le monde de la recherche.

Que dire? Surtout après cette passionnante enquête sur la finance, tout cela semble prometteur. Il semble qu'on puisse enfin s'attendre à une information sérieuse, riche, bref, à tout ce dont manque la presse française, quotidienne comme hebdomadaire. Bref, un équivalent de Prospect, du Guardian des meilleurs jours, et de The Economist. En espérant que cela dure!

Merci à Ludovic Lamant pour cet article. Je finis juste de lire ce texte qui présente un grand intérêt et mérite d'être porté à la connaissance du public.

A Kairos, je pense que vous n'y êtes pas du tout. L'étude ne tend absolument pas à prouver que le travail enfantin n'existe pas. Au contraire, elle tente d'en définir les contours, d'identifier les conditions qui l'incitent et d'analyser les solutions de lutte.

A cmonnom, je précise que les auteures ne se contentent pas de la comparaison Mali/Zambie pour conclure que "si les enfants travaillent plus dans les pays pauvres, la pauvreté ne suffit pas pour autant à expliquer à elle seule de telles pratiques".

Ce que je trouve également intéressant, c'est le fait que l'étude prenne en compte le travail domestique. Cela prend tout son sens, lorsque l'on voit que dans certains pays comme la Tanzanie, 1/4 des enfants effectuent plus de 28 heures de travail domestique.

"Le boycott, dans les pays du Nord, des produits fabriqués par des mineurs dans les pays du Sud" c'est joli et ça donne bonne conscience. Mais si ce n'est pas efficace, c'est peut-être parce que cela masque d'autres réalités.

Pour finir, je cite ici deux extraits de la conclusion:
"Lutter efficacement contre le travail des enfants exige d'avoir correctement identifié les enfants concernés."
"Le seul cas qui conduirait indiscutablement à une amélioration (du) bien-être (des enfants) est celui où le temps libéré serait utilisé pour l'éducation, sans que la consommation du ménage chute du fait du changement d'activité des enfants."

au Mali il y a une tradition ancestrale du travail de l'enfant en agriculture familiale - domestique - même si on n'est pas dans les fermes du Ghana ni chez les vidomégons qui errent en afrique de l'ouest

en Zambie , il y a les enfants du Sida

et dans les deux pays des programmes de limitation de ce travail basés sur une certaine fréquentation scolaire

on ne voit pas bien la cohérence de comparaison entre deux pays de culture et de vie si différentes

"on ne voit pas bien la cohérence de comparaison entre deux pays de culture et de vie si différentes". Absolument, c'est bien ce que disent les auteures.
L'hypothèse communément admise, est que le travail enfantin est dû à la pauvreté. Les auteurs comparent donc les statistiques de type PIB qui "montrent que la participation des enfants à l'activité économique est extrêmement variable d'un pays à l'autre, et ce, même pour des pays de niveau de revenu par tête similaire". S'en suit un développement sur les causes du travail enfantin que je vous laisse lire.

Le boycott est une pratique souvent peu efficace. Faut-il pourtant y renoncer parce que des chercheurs publient une étude qui "bousculent" les idées reçues ? Le boycott et toutes formes d'action pour dénoncer le travail des mineurs a au moins un mérite : cela sensibilise les journalistes et cela permet au Cepremap d'intéresser les médias à son étude.

JR

Oui, vous avez raison. Mais il peut y avoir un côté pervers: faire croire aux gens qu'il suffit de boycotter tel ou tel produit pour résoudre le problème du travail enfantin et ainsi permettre à l'enfant de vivre heureux dans le meilleur des mondes.

Etude et article très intéressants car permettant de sortir des "allant de soi" et montrant la complexité des situations.

La dimension culturelle est en effet à prendre en compte au sens où participer aux travaux (agricoles, artisanaux, domestiques) de la famille (élargie bien souvent) est aussi lié à un certain nombre d'apprentissages sociaux et cognitifs, c'est aussi être confronté à des épreuves concrètes et faire la preuve qu'on peut les surmonter, gagnant ainsi sa place dans le groupe.

Un proverbe chilien dit "l'enfant naît le pain sous le bras" soulignant ainsi l'apport de revenu potentiel à la famille. Faire en sorte que le pain ne soit plus associé à l'enfant paraît en effet la seule solution.

Le programme brésilien est un exemple très intéressant de ce qu'on peut faire : assurer de meilleurs revenus aux familles pour libérer du temps pour la scolarité. Mais cela confronte le pays à la question de l'état de son système scolaire.

Nombre d'enseignants brésiliens font deux journées de travail en une : le matin dans une école, l'après midi dans une autre et le soir aussi. Leur formation, leur salaire, les bâtiments et ressources pédagogiques dont le besoin est accru du fait des incitations à la scolarisation, sont autant de problèmes à résoudre.

On voit là qu'il ne suffit pas en effet de boycotter telle ou telle marque pour améliorer la situation des enfants, même s'il ne faut s'interdire aucun moyen. La question est surtout celle des politiques internationales.

Cet article est intéressant. Il révèle notre propre perception du travail des enfants et simplement notre perception des enfants.
Les deux notions de travail domestique et de travail productif extérieur à la famille sont clairement précisées. Le travail domestique des enfants existe également « chez nous ». Donc les enfants sont également des travailleurs dans nos régions du monde. Il reste d’autres sujets tabou.
Dans nos sociétés les enfants sont scolarisés. La question qui est généralement posée est de savoir qui est le travailleur dans l’institution scolaire. Les personnels ouvrier, administratif ou d’aide comme à l’école maternel sont considérés comme des travailleurs mais les « Maîtres » enseignants sont considérés par eux-mêmes, les institutions y compris les syndicats comme les seuls et authentiques vrais travailleurs de l’institution scolaire.
S’il y a une révolution à opérer c’est déjà celle d’abandonner l’idée que les enfants sont, de la future chaire à canon, les futures abeilles laborieuses d’une société organisée autour du travail (malgré le chômage), des plantes qu’il faut cultiver ou des êtres biologiques qu’il faut conduire à l’état humain.
Pourtant, dans le cadre scolaire, les enfants sont des travailleurs. Peu de travailleurs salariés accepteraient leurs rythmes et leurs conditions de travail.
L’objectif du cartable à trois kilogrammes démontre la bêtise de l’institution, des associations de parents et l’archaïsme d’une telle proposition qui ne reste qu’un objectif. Un industriel qui afficherait cet objectif serait considéré comme nul.
Le seul objectif industriel digne de ce nom est le « zéro cartable », par cd rom, internet, double jeux de livres et toutes autres méthodes disponibles. Le zéro cartable est tout à fait atteignable dès la rentrée scolaire de 2008.
Ensuite, il y a les toilettes et leur hygiène lamentable. Croyons nous que dans les tours de la Défense, les toilettes des adultes soient plus propres du fait de la bonne tenue des adultes. Ces toilettes ne sont propres que parce que des services spécialisés les nettoient régulièrement tout au long de la journée.
Il suffit de parler avec un responsable des moyens généraux d’un immeuble de bureaux, il vous racontera ce qu’il trouve ou plutôt ce qu’il découvre.
Il faut donc arrêter d’accabler les enfants avec des soi-disant problèmes d’éducation pour ce qui est de l’hygiène des toilettes des établissements scolaires. Ces toilettes doivent être propres en permanence malgré la contrainte de moyens à y consacrer. L’intimité des enfants doit être protégée également et renforcée, dès le plus jeune âge donc dès la maternelle.
Je n’ai pris que ces deux exemples, sans aborder celui de la restauration, celui des rythmes ou encore de la sélection. Les enfants de nos régions de la planète sont des travailleurs et devraient être considérés comme tels. Comment y parvenir ? Quelques objectifs simples pourraient représenter une révolution des comportements aux conséquences positives incalculables aujourd’hui ? Cela doit être le zéro cartable, les toilettes à l’hygiène irréprochable dans 100 % du temps et 100 % des cas .
La création de CHST qui s’attacheraient également à recenser les accidents scolaires qui ne sont pas des accidents de la vie comme cette dérive lexicographique stupide du socialisme mitterrandien a pu nous accabler. Il faut également le zéro accident dans un établissement scolaire, la fatalité n’existe pas. Lorsqu’un accident survient, il faut les mêmes méthodes que dans l’industrie et les mêmes mises en œuvre de mesures correctives. L’amateurisme et l’arrogance doivent disparaître des établissement scolaire et reconnaître que les enfants scolarisés sont des vrais pros et doivent être traités comme tels avec des méthodes et des outils de pros comme dans celui de l’univers des grandes entreprises. Une école de 400 enfants vaut bien une usine de 400 ouvriers.
Nos enfants sont des travailleurs.

Amitiés,

Jacques Eutrope

Si l'on a pas rentré et aidé à fond jusqu'ici ces pays pauvres de l'Afrique dans une bonne éducation massive,c'est parce que Les Etats Unis et l'Europe auraient peur à une trop grande Mondialisation,et donc à un trop grand partage des richesses,mais ils ont bien sût à la place,faire pénétrer La Chine,car celle-ci ne sera pas un pays qui vivra vieux et qui sera sans inconvénients pour eux,quand aux Africains ils sont trés jeuneset coûteraient trop cher à leur pensée de Maîtres du Monde ces deux continents qui se croyent tout permis!
Mais la mentalité d'une partie de cette planète a toujours un regard sur le profit des autres et l'argent avant la misère!Les sentiments s'envolent petit à petit!
Alors dans ces pays l'exploitation des enfants est grande,car ils ne peuvent pas apprendre,mai moi,la première chose que je vais faire aujourd'hui c'est déja un Parrainage pour pouvoir en aider un et peut-ètre deux,et ne pas les enfoncer comme beaucoup de sans-coeur fond actuellement!