« The Guardian », « The Sun » : deux poids-lourds muent sur Internet

26/12/2007Par

Pour mieux expliquer les enjeux du projet MediaPart et du journalisme sur Internet, nous sommes partis à Londres, rencontrer des figures de la presse en ligne britannique. Si la presse papier a encore de beaux jours devant elle outre-Manche, le journalisme en ligne est devenu une certitude.

C’est une évidence pour les journalistes  du Guardian (environ 400.000 exemplaires vendus chaque jour), au 119 Farringdon road, tout comme pour  les mauvais garçons du tabloïd The Sun, dans le quartier de Wapping, à deux pas du Tower Bridge. Deux mondes, deux conceptions du journalisme mais une même conviction : Internet est incontournable.  Rencontre avec  Stephen Brook, rédacteur en chef adjoint de Guardian.co.uk, et  Pete Picton, rédacteur en chef du Thesun.co.uk.
 

 

Stephen Brook est « assistant news editor » du site Guardian.co.uk et spécialiste de l’actualité des médias. Il dirige le MediaGuardian, le supplément du lundi dédié à l’actualité des médias.  Mais il consacre la plupart de son temps au Guardian Unlimited, le site web du journal pour relayer ses infos les plus chaudes, comme le licenciement brutal d’un rédacteur en chef ou des scoops qui ne peuvent pas attendre lundi. 


« On travaille de deux manières distinctes, pour des lectorats différents », explique-t-il. Six lecteurs du Guardian Unlimited sur dix ne vivent pas au Royaume Uni et ne connaissent pas, ou mal, le quotidien papier. Avec ses camarades, Stephen Brook se défoule également sur le blog du Media Monkey, où toutes les singeries, coquilles et coups de gueule des confrères sont répertoriés. Depuis deux ans, le site du Guardian est rentable grâce aux revenus publicitaires, aux petites annonces d’emploi et à Soulmates, un site de rencontres. Certaines de ses archives sont payantes. Et il propose à ses lecteurs de payer 30 euros par an pour être débarrassé de tout écran publicitaire ! Il croule sous les distinctions, comme cette année le Webby Award qui récompense notamment le meilleur journal … du world wide web. Il  est au coude à coude avec le site du New York Times, pourtant une référence en la matière.

Plébiscité en Angleterre comme aux Etats-Unis, le site du Guardian dépasse celui du Times ou du Daily Telegraph en chiffres de fréquentation, avec 18,5 millions de visiteurs uniques en octobre. Il surpasse également The Sun  qui, avec 11 millions de visiteurs uniques mensuels, a tout de même progressé de 53% en un an ! « C’est sans doute parce qu’il y a beaucoup de contenu exclusif et, historiquement, nous faisons partie des premiers», explique Stephen Brook.

Le site mise beaucoup sur les podcast, des journaux sonores enregistrés en studio par Jon Dennis, journaliste et musicien à ses heures.  Des fichiers mp3 à écouter sur place ou à emporter, sur son Ipod par exemple. Deux petits studios ont été aménagés au fond de la rédaction. En 2008, le site du conservateur Daily Telegraph pariera plutôt sur la vidéo. Son, images, films : chaque quotidien en ligne investit dans une technologie de son choix mais rendue populaire avec la généralisation du haut débit. « On se sait pas encore quel est le modèle idéal, alors tout le monde essaye de se différencier », explique-t-on au Guardian Unlimited.

A l’autre bout de la ligne éditoriale, il y a The Sun, propriété du magnat australien Rupert Murdoch qui vient de s’offrir The Wall Street Journal. La version papier du Sun se vend à 3.5 millions d’exemplaires par jour mais sa version en ligne rattrape son « retard » à grandes enjambées. Son responsable, Pete Picton, connaît les raisons du succès. Depuis l’année dernière, les journalistes du web ne sont plus calfeutrés dans une salle mais répartis dans tous les services de la rédaction. « Ca permet une meilleure complémentarité. On se concerte tous pour ne pas produire la même chose ». 

Assis à côté de la rédactrice en chef Rebekah Wade, Pete Picton coordonne toute son équipe en silence, via Intranet. 

« Quand un papier est terminé  et mis en ligne, notre linkfarmer  (ou tisseur de liens) envoie les liens des articles à une centaine de journaux, de sites d’informations. Quand un site décide de parler d’une affaire nouvelle, il peut renvoyer le lecteur vers The Sun : on gagne alors en trafic et en popularité. » Ce matin,  Pete peste contre The Huffington Post, un site américain d’infos politiques qui a mis le lien vers un site concurrent à propos de l’idylle entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. « Pourtant on leur avait envoyé l’histoire immédiatement ». Plusieurs fois par jour, quelqu’un lui imprime les statistiques du site.  « Si je constate qu’une petite histoire en bas de page est très visitée alors je la replace en tête  avec plus de photos, ce que ne permet pas un journal papier». 

Pete Picton nous montre aussi les innombrables forums du Sun, qui parlent de foot, de patriotisme et du retour des Spice Girls. « On assure une modération des commentaires en amont et en aval », prévient-il. Puis le téléphone sonne : une journaliste écossaise propose une pige. Pete Picton pousse un éclat de rire ; l’affaire est réglée en deux minutes, sera en ligne dans trois heures et payée dans sept jours : du très haut débit ! « On compte aussi beaucoup sur nos lecteurs. Ils peuvent appeler le 63000 et vendre une histoire… mais si on peut l’avoir gratuitement, c’est encore mieux. » A quelques mètres de là, les journalistes du service reportage, élevés à l’école de la presse écrite, rient jaune: « Les lecteurs en ligne viennent sur le site parce qu’ils ont tapé ‘’nichons’’ dans Google ».


 

Une toile représentant Rupert Murdoch trône dans le hall d’entrée de News International qui regroupe les rédactions du Times et du Sun notamment. (photo JP)

 

 

Les rédactions du Guardian, The Observer et du site Guardian Unlimited sont regroupées dans le même bâtiment, au 119 Farringdon Road, à Londres. (photos JP).


 

 

Jean-Louis Legalery
J'ai lu votre article avec beaucoup d'intérêt, d'une part parce que je suis enseignant-chercheur en anglais, d'autre part parce que je suis abonné depuis plusieurs années à l'édition électronique du Guardian. Donc je confirme que le site 'www.guardian.co.uk' est remarquable, très ouvert et mis à jour avce une rapidité et une précision étonnantes. Le site est à l'image de la version papier : une référence, qui n'est pas repliée sur le seul Royaume-Uni. Cependant je suis surpris de vous voir associer, dans votre éloge, le site du Sun, qui, lui, est également à l'identique de la version papier : starlettes dénudées, articles sur fond de nationalisme et de haine, bref, à mon humble avis, rien de très sérieux. Avant ce que l'on appelle 'la révolution de Wapping' et, donc, le sinistre avènement de Rupert Murdoch, le Sun était un journal plutôt à gauche et régulièrement lu par la classe ouvrière et le monde syndical. Ce n'est, évidemment, plus du tout le cas.
Cordialement

Loin de nous l'idée de faire l'éloge du "Sun", de ses outrances et de ses violentes campagnes europhobes. Nous nous sentons à plusieurs années lumière de certaines pratiques professionnelles de ce journal. Mais cet article de Jordan Pouille visait d'abord à expliquer comment deux "institutions" de la presse britannique étaient engagées à marche forcée dans Internet, tout en ayant des lectorats et des engagements journalistiques radicalement différents.
Il reste qu'en misant sur un journalisme de qualité, une forte hiérarchie de l'information couplée à une surprenante réactivité, "The Guardian" s'est imposé comme l'un des premiers sites d'information anglophones au monde. C'est aussi parce qu'il a su, par sa curiosité et son ouverture au monde, franchir les frontières et élargir sa couverture de l'actualité. C'est aussi ce que nous aimerions faire à MediaPart.

Deux poids lourds sur le net, qui suivent le sens de l'histoire. D'ailleurs le new york times a fait un pas de plus en ouvrant gratuitement ses archives depuis quelques mois : du coup, le trafic sur son site a explosé : + 64 % entre fin août et fin octobre (source TechCrunch).

Bonjour LaMarqueDuWeb, ce pas de plus s'avère être une manière de rivaliser avec le Wall Street Journal, racheté par Rupert Murdoch qui a promis des changements drastiques avec plus de politique, plus de culture, de suppléments!

Un cauchemar pour le NYT au moment où les revenus publicitaires en presse papier diminuent aux Etats-Unis.

Pour enfoncer le clou, le 13 novembre dernier, Ruppert Murdoch annoncait lui aussi la gratuité possible du contenu du Wall Street Journal en ligne (79 dollars par an/sans pub/très rentable). Mais à la veille de 2008, le site reste payant et rien n'annonce la gratuité.

A suivre...

Selon ses dernières ITV, R. Murdoch veut privilégier des articles courts et factuels (donc plus "net"). En outre, il a effectivement répété qu'il voulait que le site devienne gratuit : il estime avoir les reins assez solides pour se permettre de perdre de l'argent sur une longue période, le temps de gonfler son audience et donc de rafler la majorité des recettes publicitaires. Définitivement, je pense qu'il évolue vers plus de net; avec ou sans la concurrence du NYT.
ps : très chouette tes blogs
C

Juste un commentaire sur la forme, la traduction me parait très approximative. Ce que vous appelez "histoire" (en anglais, "story" j'imagine) ne peut pas se traduire mot à mot. Quel journaliste française parle "d'histoire"? Aucun à mon sens. Sans doute "article" aurait été plus approprié.
Sur le fond, j'aimerais bien que vous nous expliquiez ce qui, je pense, devrait faire l'ossature de cet article: quels rapport entre ces réussites (au moins commerciales pour le Sun) et votre expérience. A part le fait que le Guardian propose de s'affranchir de la publicité pour 30€ par an (ce qui est bien loin des tarifs que vous pratiquez), et malgré tout donne tous ses contenus gratuitement (pardon, financés par la publicité), je ne vois que très peu de rapports entre ces expériences et la votre.