Matéi Visniec, le dramaturge, le journaliste et la mémoire

20/01/2008Par

Au sein de la Maison Ronde, à Paris, en face de la Seine, le service en langue roumaine de Radio France Internationale (RFI) abrite un auteur dramatique prisé des amateurs de théâtre contemporain mais inconnu du grand public : Matéi Visniec. Né en 1956 dans la province de Bucovine, au nord de la Roumanie, poète précoce et un temps publié avant que ses romans et ses pièces ne soient censurés avec constance, Visniec passe à l’Ouest en 1987. Il s’établit d’abord à Londres, où il travaille au service extérieur de la BBC, puis s’installe à Paris en 1990, collabore à RFI et obtient, en 1993, la nationalité française.


Photo Claude Chovet

Une trentaine de ses pièces sont publiées dans la langue de Molière. Il fut l’auteur le plus joué en Roumanie après la chute des Ceausescu, en 1989, et il n’y a guère de festival d’Avignon sans son Petits boulots pour vieux clown à l’affiche quelque part. Un globe-trotter pourrait actuellement comparer son Histoire du communisme racontée pour des malades mentaux montée au Théâtre national de Bucarest et présentée, en France, par une jeune troupe clownesque, la Compagnie Umbral. (1)

 Dans chacun de ses textes, Matéi Visniec s’interroge sur la mémoire déniée, la manipulation ou les ravages d’une idéologie toujours dispensée telle une promesse fondée sur une pseudo supériorité scientifique ou une prétendue transcendance religieuse. Du sexe de la femme comme champ de bataille en Bosnie (Ed. Actes-Sud papiers) fut sans doute le texte le plus brûlant qui aborda la question des viols sur fond d’épuration ethnique dans l’ex-Yougoslavie, inspirant quelques débats publics passionnants, avec notamment la sociologue Véronique Nahum-Grappe, à l’issue de certaines représentations. Un producteur, enthousiaste, avait approché Matéi Visniec pour lui demander d’écrire une pièce aussi forte, mais cette fois inspirée par le sida. L’auteur avait décliné.

Son travail de journaliste lui offre certes l’occasion d’être « happé par la réalité », mais Visniec retient que l’irruption de l’actualité va trop souvent de pair avec un oubli des crises du passé : « L’information morcelée, sans analyse, évacue la mémoire et s’érige en lavage de cerveau, alors qu’il faudrait digérer, installer, réfléchir. Parfois, donc, le journaliste que je suis, gorgé de matière première, s’arrête, se dédouble et propose à l’écrivain que je suis aussi par ailleurs d’écrire, avec ses outils, quelque chose qui puisse durer, en trouvant une équation littéraire. »

Funambule du porte-à-faux, Matei Visniec froisse les uns en rappelant que le procès du communisme n’a pas été entrepris en France avec la même sagacité qu’à l’encontre du nazisme : « À croire que certains se sentent plus appauvris d’abandonner ce rêve plutôt que de le cautionner ! » Dans ses pièces, revient la métaphore sarcastique de la mécanique parfaite et cependant victime d’une erreur de pilotage, comme si un guide moustachu de rencontre (Staline) avait à lui seul perverti une conception immaculée…

Mais Visniec chiffonne les autres en critiquant le déclenchement d’une accumulation primitive du capital dont l’Europe centrale est le théâtre depuis 1989, avec pour seul souci d’imiter la société de consommation : « La Roumanie s’est empressée de se doter de romans de gare érotico-sirupeux plutôt que de réfléchir à ce qu’elle venait de traverser. La frime sociale — l’étalage des richesses, des voitures, des vêtements — l’emporte sur tout autre considération. » Selon lui, les dégâts sont plus importants dans ce pays mutant et fragile, où le citoyen sommé de se transformer en consommateur s’exécute illico presto, plutôt qu’en France, où une société sédimentée s’avère davantage à même d’organiser une forme de résistance.


Photo Norbert Choquet

Et le Matéi Visniec, admirateur du Malheur du siècle d’Alain Besançon pour s’être fait contempteur résolu du communisme, se révèle digne d’un partisan de l’écologie politique en fustigeant « l’unique doctrine en cours désormais », qui n’admet que les citoyens bons consommateurs : « Dès que les ménages se jettent un peu moins sur des produits dont ils n’ont pas besoin à 90 %, un vent de panique souffle chez les acteurs et les commentateurs de la vie économique. Rien de plus absurde ! La théorie de la décroissance n’a jamais droit de cité. Tout rêve est désormais cassé, comme en témoigne le « travailler plus pour gagner plus », qui enterre deux siècles d’utopie salutaire sur le temps progressivement libéré du travail grâce au progrès des machines. »

Face à une telle déferlante, Matéi Visniec distingue en Internet une parade : « L’indépendance de la presse s’est déplacée sur la Toile, dont la crédibilité augmente à mesure que s’effondre celle des médias traditionnels, qui ne seront bientôt plus que la libre expression d’une concentration des pouvoirs… Mais outre ce simple phénomène de vases communicants, Internet offre  deux possibilités prodigieuses. D’abord, l’interactivité métamorphose le lecteur en personnage actif capable de désapprouver ou de corriger un article, qui n’a heureusement plus rien de tombé de haut et gravé dans le marbre. Ensuite, l’autre richesse, nuance et liberté de la Toile, c’est d’avoir accès à une mémoire en devenir de l’Humanité, capable de rompre le lien qui s’est parfois établi entre journalisme et amnésie. Ne plus être né de la dernière pluie, c’est déjà peut-être redevenir un citoyen digne de ce nom. »

(1) Dans une mise en scène de Victor Quezada Perez. Jusqu’au 20 janvier au Théâtre de l’Opprimé : 80, rue de Charolais 75012 Paris (01 43 45 81 20). Durant le festival d’Avignon, du 10 juillet au 2 août, au Collège de Lassalle.

Merci pour ce bel article

à vous lire on espère renouer et renouveler de belles sensations : celles de la lecture de l'éphémère "l'autre journal" ou du France culture pas encore bobo ou des "océaniques" de la télévision publique. En bref un accès actualisé à la culture et non du publi-reportage de l'actualité du marché de la culture.
Et enfin une information culturelle qui nous en apprend plus sur une oeuvre que sur l'égo du journaliste qui l'écrit.

Bien à vous

Matéi Visniec aurait pu créer MédiaPart en fait :D

Faire face au prestigitadeur et illusionnistes mal intentionnés qui veulent gommer l'Histoire afin d'écrire leur propre histoire.Défi du 21émé siècle...