Prévoyez le futur (un état d'esprit), par Axel Juaneda

Abonné depuis peu, je n'ai lu qu'une fraction de tous les articles et commentaires, ainsi que des différentes pages de présentation du site et du projet, mais j'y trouve déjà beaucoup de réflexions qui étaient   aussi les miennes, beaucoup de solutions et de plans que j'aurais pu formuler moi-même. C'est agréable et encourageant de voir qu'on est nombreux, que ce soit parmi les professionnels ou parmi les lecteurs comme moi, à penser la même chose et à vivre les mêmes inquiétudes.

Ainsi, tout naturellement nous saurons appréhender les articles et interventions des uns et des autres, avec un peu le même esprit fédérateur, avec la même volonté de fonctionner dans le sens positif pour un renouveau de la presse. Avec le même sentiment positif et le même désir de "bien faire", nous saurons profiter de nos différences et trouver, même dans nos contradictions les plus inconfortables, l'occasion de nous serrer les coudes pour soutenir le projet, pour être toujours capables de maintenir la barre assez haut.

Attention, danger:
Cependant, je crois que je retrouve ici aussi, déjà le signe dangereux que nous ne sommes pas à l'abri de retomber dans les mêmes vieux travers. Je ne suis pas encore prêt à formuler clairement tout ce qui me gêne déjà ici (et je ne le ferai que dans un esprit positif de propositions constructives), mais  je voudrais mentionner tout de suite une réflexion qu'il me parait urgent de considérer.

"Le quatrième pouvoir"?
Pouvoir implique responsabilité. Sans commencer à expliquer ici comment je définis ce pouvoir qui serait "le quatrième", je voudrais seulement attirer votre attention sur un point: ce pouvoir, vous journalistes, l'avez perdu. Nous lecteurs, citoyens du monde démocratique, nous l'avons perdu.

Et comme vous l'avez déjà compris malgré l'absence totale de développement sur ce que je crois être le "quatrième pouvoir", ce qui m'intéresse en lui, c'est la responsabilité qu'il implique.

Vous, journalistes, nous, lecteurs, ce dont nous avons besoin, c'est d'un pouvoir responsable (nous pourrions adresser ce genre de doléance exactement pareil aux trois autres pouvoirs, bien évidemment).

Comment être responsables? Par tous les moyens et ambitions que vous énoncez au chapitre Projet et au hasard des nombreux articles et commentaires, mais aussi en introduisant une nouveauté qui, il me semble, manque significativement aux professionnels qui sont allés à l'école de journalisme (pardonnez mon manque de repères: c'est que je ne connais pas de journaliste et ne suis pas allé à l'école moi-même; il s'agit donc de ressenti personnel par rapport à votre travail et au monde extérieur, autant que par rapport aux transformations qui rendent parfois certaines vieilles méthodes obsolètes voire dangereuses).

Cette nouveauté, la voici en deux mots:

"Prévoyez le futur" :-)
Il ne s'agit bien sûr pas de jouer les devins, ni même (et même surtout pas!) de donner dans la prospective. Ce que j'attends de vous journalistes, c'est que MOI, lecteur, je puisse prévoir le futur, grâce à la lecture de vos articles sur le passé et le présent

Vous n'auriez pas à anticiper quoi que ce soit, votre métier après tout c'est l'enquête sur les faits, mais voilà la vision nouvelle que j'attends pour le 21è siècle du journalisme.

Gardez l'idée, au fond de vous-même, pendant que vous faites votre travail, que vos articles doivent servir à d'autres (les lecteurs) pour prévoir le futur avec raisonnablement de justesse.

Pourquoi je commençais par un "attention, danger"?

Parce que je nous (journalistes peut-être moins que lecteurs, et malheureusement, bien moins que les politiciens qui pourtant sont payés pour cela, prévoir le futur)avons tendance à nous satisfaire d'une bonne analyse des événements présents ou passés. Nous avons tendance à juger qu'un bon journal, c'est celui qui a bien compris ce qui se passe.

C'est vrai, mais cela ne suffit pas. En temps de crise comme celle du monde occidental que nous vivons, et celle écologique que vit la planète, il faut AUSSI que la bonne analyse soit orientée pour déclencher chez les lecteurs, des élans constructifs pour le futur. Des conclusions de nature à lui faire prendre des décisions d'avenir, que ce soit sur sa vie personnelle ou sur son boulot, et alors là où ce serait vraiment d'utilité publique, alors là pour le coup on pourrait parler de "pouvoir":

Si ça pouvait influencer les lecteurs politiciens dans le sens de décisions intelligentes pour la société...

Analogie policière:
Une analogie toute simple pour illustrer ce que j'ai en tête, celle de l'enquête policière. Une bonne enquête policière, idéalement débouche sur un bon procès, d'où une peine adaptée pour le coupable et une bonne réparation pour la victime. Justice est faite et la société a bien fonctionné. Sauf que ç'aurait été encore mieux si on avait pu prévenir le crime avant qu'il soit commis?

Prévoir le futur, pour un policier, ce serait, par les informations qu'il réussit à collecter, par les conclusions qu'il parvient à élaborer, réussir à influencer le cours de l'histoire, si ces informastions étaient utilisées correctement avant le crime, ou peut-être sur une autre affaire.

Ces informations n'étant pas toutes reliées directement à un seul sujet, les utiliser correctement c'est aussi savoir les ressortir au bon moment, et savoir relier des sujets qui apparemment n'ont rien à faire entre eux (soit dans l'espace, soit dans le temps).

Comme vous voyez, un tel "pouvoir" n'est pas entre les mains des seuls journalistes. C'est en fait un jeu qui nécessite deux acteurs, d'égale importance: d'une part les journalistes, d'autre part les lecteurs.

Que les lecteurs gardent à l'esprit leur libre arbitre, leur esprit critique, leur exigence un peu mais surtout le choix d'orientation de leurs priorités, moi, ce que je demanderais aux journalistes en général, et à ceux de MediaPart en particulier, c'est de garder en tête, pendant leur travail d'enquêtes ou de recoupements etc, l'influence de cet esprit d'extrapolation:

"Qu'ils puissent prévoir le futur"...
("...à la lecture de mes articles").

Un état d'esprit pour MediaPart, je l'espère.

On pourrait dire plutot que prévoir le futur, mettre les choses en perspective.

C'est à dire ordonner des événements d'actualité distincts dans le temps, mais cohérents entre eux, pour mettre en lumiére une tendance sociétale, politique ou gouvernementale.

Je prend un exemple qui est de mon domaine de compétence, on entend beaucoup les journaux parler des taxes diverses, comme par exemple la taxe sur les hotels de luxe, la taxe sur les poissons etc.., égrenant les mesures comme des chapelets sans cohérence, et donnant un sentiment du "on en a marre de l'impot".

Mais aucun ne met en lumiére la stratégie fiscale gouvernementale suivie depuis 10-15 ans. Que l'on peut approuver ou désapprouver, c'est un autre débat.

Cette stratégie, d'aprés mes analyses est de basculer les impôts progressifs fondés sur le patrimoine et les salaires (Impôt sur le revenu, ISF, cotisations basés sur le salaire) vers des impôts sur la consommation (impôt sur la consommation pour la rendre écologiquement responsable, impôt affectés, TVA sociale etc..). Créant effectivement une injustice sociale certes, car la progressivité disparait, mais cela participe néammoins à freiner la consommation, ou plutot à intégrer le cout social et écologique de cette consommation dans le prix direct du produit, ce qui en soi peut être intelligent.

Il est important, il me semble, de souligner qu'une politique fiscale sur le long terme répond à une stratégie politique et économique.
Voilà ce que j'attends de media part et ce que j'entends par "mise en perspective".

Le journalisme ce n'est pas de nous dire seulement, "vous allez payer un nouvel impôt...".

Merci prevalli,
pour cet excellent (et intéressant) exemple sur les politiques fiscales; j'approuve complètement vos vues à propos de la "mise en perspective".

Sans vouloir répéter les nombreuses idées et doléances déjà évoquées sur le sujet du journalisme et de l'apport particulier de MediaPart, que beaucoup de journalistes, d'adhérents et de lecteurs-commentateurs ont déjà exprimées bien mieux que moi au fil de déjà bien des contributions,
je voulais plutôt m'attacher, en commençant encore un nouveau sujet sur apparemment le même thème, à une sorte de "fil intérieur" invisible, presque inconscient, que j'aimerais sentir ou "ressentir" avec MediaPart.
C'est pourquoi je compte à égale mesure sur les journalistes ET sur les lecteurs qui laissent des commentaires, pour ne pas se satisfaire seulement d'une qualité irréprochable dans le sens de la constatation passive.

"Le journalisme, ce n'est pas de nous dire seulement...
[le journalisme, ce n'est pas seulement des briques parfaites de vérité, qu'il me resterait alors à assembler pour assister au spectacle parfait d'une image globale vraie et incontestable]
"...
Ce que j'essayais d'exprimer, c'est que, nous satisfaisant de la vérité, de la qualité, du professionnalisme retrouvé, nous passerions à côté du mouvement, du mouvement en quelque sorte de la vie elle-même.

Si je savais faire des vers ou des chansons, c'est le support que j'aurais choisi comme plus efficace, pour appuyer la notion qui m'est chère "d'esprit" dans le journalisme
(non de seule technique pure et de seule éthique irréprochable),
mais on devra se contenter de la part d'un laborieux lecteur, d'un texte longuet qui comporte même une analogie policière! :-)

Je tombe par hasard sur votre article, et cela fait longtemps que je souhaitais dire un peu ce que vous avez dit, mais, novice sans doute, je ne sais que faire un commentaire à un article !! J'en profite donc !
Les journalistes subissent l'actualité, et je suis d'accord pour que Mediapart ait un "état d'esprit" vers le futur, anticipe et d'une certaine manière oblige les politiques et gens des médias à aborder des sujets que Médiapart aura décidé de mettre sur la place publique. Voyez vous, la une de Libération du 28 janvier va pour moi dans ce sens. ("J"accuse" de Sandrine Bonnaire)
Bien entendu, celà suppose de l'investigation.
Le sujet de la finance nous est imposé aujourd'hui. Le débat tourne autour de la démission de Daniel Bouton, et des 5 milliards perdus par la SG. Le débat n'aurait pas eu lieu si la SG avait gagné 5 milliards, et on aurait félicité le trader qui aurait agi de la même manière que pour les perdre ! (Aurait on fait appel à la justice en cas de gain ? Je n'ai rien lu ni entendu allant dans ce sens dans les médias)
Le sujet du futur est de savoir si on doit accepter un accroissement exponentiel de la spéculation avec internet et quelles règles peuvent être mises en place pour arrêter les spéculations. Il est exaspérant d'entendre qu'on ne peut pas mettre en place des règles pour limiter les flux qui n'ont aucun sens économique, alors qu'on est capable d'imposer des règles de libéralisation (voir Europe)

Ce qu'il faut aussi, c'est revenir sur des sujets passés qu'on oublie, à froid. Et interpeller les décideurs sur ce qui a été fait, et ne pas les lâcher. (Outreau, Khadafi, nationalisation des autoroutes...)
Enfin, il est important de traiter en profondeur et de mettre en évidence des faits qui passent inaperçus, délaissés par les médias parce que non vendeurs, et qui méritent un débat. (Médiapart peut gagner du temps en faisant son marché sur les sujets à aborder dans le canard enchaîné !)
A bientôt
PS: le traité européen n'est il pas un sujet du futur ? Scandaleux le silence sur ce sujet.

Merci Alexos,
quel bonheur de trouver un tel commentaire à ma pauvre tentative!
Ce que vous écrivez, c'est exactement le genre d'idée que l'espérais mettre au jour, que j'attendais comme commentaires par d'autres, comme vous, capables de les exprimer mieux que moi.

Je n'encombrerai donc pas plus longtemps l'espace, sauf pour dire que je recommande chaudement la lecture de chaque mot de votre commentaire.

PS: le traité européen n'est il pas un sujet du futur ? Scandaleux le silence sur ce sujet.

En effet, c'est un silence plus qu'assourdissant de la part des journalistes, qui ne reprennent que les gros titres du star system du monde politique et de la haute finance.

Le "mini traité" est une expression fallacieuse et un pur effet de communication qui masque la réalité de ce qui est en train de se jouer au niveau européen et mondial : une ouverture vers le capitalisme pur en gommant tout simplement les acquis de la déclaration des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales. (droit au travail, à l'éducation, à la santé,...)

Où seront les journalistes le 4 fevrier 2008 ?

L'AVENIR
Oui, je souscris, cependant je prèfère le mot avenir au mot futur, pour moi, le mot futur est plus réducteur que le mot avenir, dans le sens que le futur, c'est ce qui va arriver, alors que l'avenir, c'est ce qui peut arriver lorsqu'on aura pris des mesures pour infléchir le cours naturel du futur.
L'avenir, ce serait le futur inventé.
Justement, j'aimerais trouver dans MediaPart des solutions qui pourraient être préconisées concernant les outils de régulation, en matière économique, dont on commence enfin à démocratiser l'expression : en quoi consisteraient-ils ?

Ça fait plaisir Peneloppe,
de voir que nous sommes apparemment assez nombreux ici à être sur la même longueur d'onde :-)

"L'avenir", oui, j'y ai pensé, puis j'ai opté pour l'anglicisme qui, par son caractère presque "technique pure", laisse le champ libre à toutes formes d'imaginations, y-compris la vôtre.

"Trouver des solutions dans MediaPart […]"?
C'est ce qui se passera tant que MediaPart gardera son indépendance et son intégrité: simple outil d'information pour nous, mais aussi pour les politiques, les chercheurs, etc, et dans votre exemple, les économistes, il apportera à la pensée en général, aux créateurs et aux ingénieurs en particulier, l'esprit de vision qui leur fera inventer de nouvelles solutions d'avenir...

Excellent, exactement mon souhait quant à la relation journaliste-citoyen et mieux formulé que je n'aurais pu le faire.

Merci Axel!

Mais, est-ce que la pratique journalistique des dernières années, est-ce que la formation suffit à ce travail de recherche et d'anticipation ?

Est-ce que les finances suffisent à les rémunérer?

Est-ce que les nouvelles structures telles qu'on les voit se mettre en place pourront permettre ce travail de fond ?

Merci Etoile66 pour le compliment,
et ces si pertinents questionnements sur les conditions et paramètres journalistiques actuels.

C'est ainsi que pour moi, je m'en remets aux lecteurs d'abord, qui forment comme "une équipe" avec leurs journalistes
(d'où la notion de "club", peut-être maladroitement formulée par Edwy Plenel pour certains, mais qui à mon avis fait plein sens pour ce fameux "esprit d'avenir" ou "esprit de futur" que je recherche),
on pourrait presque dire, qui forment une sorte de "combat commun", où les journalistes seraient chargés pour leur part -MédiaPart- de faire leur travail correctement (de nouveau après ces 15 ans de lent mais constant décrochage), et d'où un véritable "esprit" se dégagerait, ou s'établirait, inconsciemment, naturellement
(surtout pas en se posant des contraintes ni en y réfléchissant activement).

Plutôt que de mettre la pression, de réfléchir précisément sur les professions du journalisme, mon approche consisterait, pour elles, à justement ne pas penser du tout: s'en remettre à la jeunesse, à la nouveauté,
qui n'a rien à voir avec l'âge d'état civil de nos journalistes, mais avec le caractère de renouveau et de conquête de leur ambitieux projet.

Les résultats alors, d'une telle alchimie transcrite en articles d'un journal, ne se feraient pas attendre chez les lecteurs: les vrais acteurs, citoyens, responsables, "utilisateurs actifs" plutôt que "bénéficiaires passifs", d'une presse de qualité retrouvée.

Bref, une presse de citoyens responsables.